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Réponse : Pour la première fois suivant le souhait de l’Émir du Qatar, la conférence de Doha au Qatar qui s’est tenue les 29 et 30 Juin à l’invitation de la Faculté de Droit du Qatar, a été une véritable conférence interreligieuse avec la présence de représentants des trois religions monothéistes. Lors des précédentes conférences, les organisateurs n’avaient pas invité de représentant du judaïsme. Cette année donc, le judaïsme a été représenté par les personnalités venant des États-Unis et de France et j’ai été pour ma part extrêmement conscient de l’importance de l’événement. Je rappellerai seulement que les autorités du Qatar se sont trouvées confrontées à des difficultés lorsque le projet a été annoncé publiquement mais l’Émir du Qatar a personnellement maintenu sa position et cette conférence a eu lieu.
Question: Qu’avez-vous dit et comment votre allocution a-t-elle été accueillie ? La question palestinienne n’était elle pas au centre des débats ?
Réponse : J’ai pour ma part eu l’honneur de prononcer l’allocution d’ouverture de cette conférence dans laquelle je me suis situé comme étant juif, fils d’Israël, descendant des patriarches Abraham, Isaac et Jacob et appartenant à une tradition qui a reçu des mains de Moïse le Livre - la Révélation - à l’origine des religions monothéistes. Je me suis également positionné comme français, fils d’émigrés - la France étant ma patrie d’accueil. J’ai ajouté qu’à travers la laïcité, j’ai pu accéder à de hautes responsabilités universitaires et nationales. Cette prise de position, en présence notamment de l’Ambassadeur de France mais aussi d’une partie du corps diplomatique représenté à Doha et des universitaires du Qatar autant que des responsables religieux venant de tous les pays du Moyen-Orient, (notamment l’Irak, l’Iran, le Liban, l’Égypte, la Syrie), semble avoir été bien entendu à travers ce qui est ressorti dans les différents organes de presse du Qatar et particulièrement de la chaîne de télévision Al-Jazira qui émet comme chacun le sait, depuis le Qatar. La question palestinienne n’a pas été vraiment au centre des débats mais chacun des orateurs a tenu a souligné comme une ritournelle que l’application de la justice, vertu cardinale de l’enseignement de la Bible, devait s’appliquer aux palestiniens. Néanmoins, aucune critique frontale concernant Israël ou le chef du gouvernement ou d’autres personnalités israéliennes, ont été prononcées.
Question : Vous semble t-il important de dialoguer avec les plus hautes autorités du monde musulman ? Retournerez-vous à Doha l’année prochaine ?
Réponse : C’est important et c’est même un privilège de dialoguer avec les plus hautes autorités du monde musulman. Bien entendu, il s’agit de ne pas verser dans un angélisme naïf, s’imaginant qu’une seule conférence serait suffisante pour créer les conditions de véritable dialogue et dont les conséquences seraient immédiatement visibles. Inversement, il est important de dire aux plus hauts responsables de l’État et des Églises, représentés par leurs évêques ou archevêques, que l’éthique du dialogue consiste à ne pas mélanger politique et religion tout autant que d’expliquer le terrorisme par des considérations religieuses. Il était important d’ajouter que des publications comme « Les protocoles des Sages de Sion » et surtout « Mein kampf », succès d’édition dans certains pays musulmans, ne sont pas compatibles avec la volonté de dialoguer.
Enfin et pour répondre à la seconde partie de votre question, si les dix résolutions publiées par la conférence interreligieuse de Doha entre en application en 2006 -notamment la création d’un centre d’enseignement, de réflexions, regroupant les représentants des différentes religions- donc, si cette résolution était mise en application et que l’on fasse appel à moi, je serais présent à Doha l’année prochaine.
Question : Pourriez-vous nous parler du travail qui est accompli par votre commission ? Quels sont les gens que vous recevez ?
Réponse : La commission « relations avec les musulmans » au CRIF que j’ai l’honneur de présider s'est donnée pour projet d’établir le plus large contact avec les représentants d’associations musulmanes. En France, au premier lieu, le Conseil Français du Culte Musulman (CFCM), son président, son secrétaire général et les personnalités actives autant que les responsables des différentes fédérations qui composent ce CFCM, notamment l’Union des Organisations Islamiques de France (UOIF). La commission reçoit également des personnalités politiques, responsables des cultes au Ministère de l’Intérieur ou au Quai d’Orsay, les conseillers des Ministres en charge de l’organisation de l’Islam en France, le Ministère de l’Intérieur ou les proches du cabinet du Premier Ministre autant que des personnalités intellectuelles, des sociologues, géopoliticiens, journalistes avec lesquels il est toujours utile et agréable d’établir un dialogue qui semble avoir été très fécond.
Question : Le 9 Septembre 2004, votre commission a reçu pendant 90 minutes une délégation de l’Union des Organisations Islamiques de France, conduite par Fouad Alaoui, en présence de Roger Cukierman, Président du CRIF, et du journaliste Jean-Pierre Elkabbach, « témoin muet ». Cette démarche a été très critiquée. Que répondez-vous à vos détracteurs ? Par ailleurs, quelles ont été les suites de cette rencontre ?
Réponse : Parmi les personnalités marquantes, la rencontre qui a été la plus médiatisée était celle qui a eu lieu avec le Secrétaire Général de l’UOIF, Fouad Alaoui. Cette démarche a été critiquée au prétexte que le CRIF décernerait une certaine légitimité à cette institution. Mais nous avons de nombreux points de désaccord avec l’UOIF et nous avons exposé nos désaccords. Par ailleurs, nous avons expliqué à l’UOIF que l’antisémitisme qui se développe en France est de nature à troubler les relations entre les communautés. Le CRIF a dit également à nos interlocuteurs que la mise en vente de certains ouvrages, comme « Les protocoles des Sages de Sion » et leur diffusion dans certaines librairies est grave. Par la suite, notre relation s’est déroulée sur cette base et nous avons demandé le retrait de la vente d’ouvrages antisémites ou anti-israéliens, en particulier les cassettes de certains prédicateurs ou de certaines associations comme le Comité d’Aide à la Palestine, lors de la journée de l’UOIF, au Bourget.
Question : On vous dit proche de Dalil Boubakeur, Recteur de l’Institut Musulman de la Mosquée de Paris et Président du Conseil Français du Culte Musulman. Comment estimez-vous l’homme ?
Réponse : Dans ce dialogue avec les responsables associatifs des musulmans de France, la personnalité de Dalil Boubakeur, Recteur de l’Institut Musulman de la Mosquée de Paris et Président du Conseil Français du Culte Musulman, est effectivement un élément essentiel, dans la mesure où les fonctions qu’il occupe à la Grande Mosquée de Paris et dans sa communauté, font de lui un interlocuteur privilégié. Il faut souligner l’amitié qu’il porte à la communauté juive française et ses représentants. Il faut remarquer son soutien indéfectible et constant à la République, notamment au moment du vote de la loi sur l’interdiction de signes distinctifs ostensibles à l’école tout autant que son attachement à la laïcité. Ces positions font de lui une personnalité centrale de la vie publique française.
Question : Dans un appel publié dans le Figaro le 18 Novembre 2003, vous aviez, avec Dalil Boubakeur, dénoncé « les extrémistes qui utilisent le conflit israélo-palestinien et les difficultés d’intégration et d’émancipation des musulmans de France pour imposer leur modèle de société », et dont « les victimes sont les juifs et les musulmans modérés qui souhaitent non seulement la paix au Proche-Orient mais également l’harmonie entre leurs communautés au sein de la société française ». Vous en avez appelé à la France de « ne pas rester impassible devant les agissements des fondamentalistes que les médias appellent pudiquement « communautarisme ». Pensez-vous que ce genre d’appel puisse être entendu ?
Réponse : L’appel publié dans le Figaro le 18 Novembre 2003 a semble t-il, été entendu. Nous avons reçu beaucoup de messages sur Internet et par courrier, autant des pouvoirs publics que de journalistes et de responsables associatifs, notamment.
Question : Des observations faites par des journalistes, des enseignants et des sociologues confirment que l’antisémitisme ne peut être seulement attribué au seul vieil antisémitisme traditionnel, mais qu’il est aussi le fait, plus ou moins avéré, « d’individus d’origine arabo-musulmane.» Comment expliquez-vous ce phénomène à vos interlocuteurs ? Que disent-ils ?
Réponse : Les personnalités que nous côtoyons nous indiquent qu’en plus du vieil antisémitisme traditionnel de droite, il existe un antisémitisme militant « d’individus d’origine arabo-musulmane.» Cet antisémitisme est probablement aujourd’hui le plus vivace et le plus nouveau dans le paysage politique français bien que les thèmes soient d’une banalité affligeante : les juifs ont tout - les radios, les journaux, les postes universitaires, ils ont l’argent, le pouvoir et nous musulmans, nous n’avons rien! Ceci assorti à une phraséologie assez limitée dans son expression, agressive et ambiguë dans ses contenus rassemblant antisémitisme, antisionisme, anti-France, anti-américanisme, anti-capitalisme, tiers-mondiste. Cette mouvance-là crée une situation extrêmement précaire pour la sécurité des juifs de France. Nos interlocuteurs musulmans n’ont pas vraiment de programme de lutte contre ces agissements.
Question: Que répondez-vous, pour terminer, à ceux et celles qui pensent que le dialogue avec les musulmans ne mène à rien ?
Réponse : Le travail qui est mené par la commission est bien apprécié. Mais il est clair qu’il s’agit là d’un travail de très longue haleine. Ce dialogue doit être poursuivi notamment parce que nous parlons avec nos interlocuteurs de la gravité de l’antisémitisme et du risque de destruction du tissu social.
Propos recueillis par Marc Knobel