Parce que sans doute il y a eu l’expérience tunisienne auparavant. L’Union européenne était non présente dans le déroulement de la crise tunisienne, et elle voudrait être plus présente dans la crise égyptienne d’une part. En second lieu, il y a certainement aujourd’hui un intérêt beaucoup plus stratégique pour l’Egypte que pour la Tunisie, et c’est ce qui explique que l’Union Européenne ne voudrait pas être totalement absente de ce qui se passe en Egypte.
Mais les pays européens et surtout les Etats-Unis se gardent bien de demander le départ d’Hosni Moubarak. Pourquoi ?
Il faut se rendre compte à quel point Hosni Moubarak c’est le régime, mais c’est également l’armée. Il était commandant en chef de l’armée de l’air. Il a été obligé par ces “compères” samedi soir de nommer un vice-président, poste vacant depuis 30 ans, un général, et de nommer un Premier ministre général : l’armée a repris les rênes du pouvoir, totalement. L’armée c’est le régime, le régime c’est l’armée.
Et pour l’armée égyptienne, existe-t-il une menace islamiste aujourd’hui ?
Oui certainement, tout d’abord il y a la nomination du général Omar Souleiman qui est l’ennemi juré, la bête noire des islamistes, des Frères Musulmans. Les Frères Musulmans n’avaient pas suivi le mouvement dès le début. Ils ont annoncé dans un communiqué qu’ils ne manifestaient pas, et puis devant l’ampleur de l‘événement ils ont voulu le récupérer, d’où leur présence dans les deux places fortes, Alexandrie et Suez, et ils ne veulent surtout pas être mis de côté.
Mais Monsieur Sfeir, est-ce que les Frères musulmans peuvent remporter d‘éventuelles élections ?
Non, je ne crois pas dans la mesure où les Frères Musulmans se sont attaqués au tourisme, à travers des groupuscules qui étaient issus des Frères Musulmans. Et le tourisme fait vivre deux à trois millions de familles égyptiennes, donc il y a aujourd’hui cette crainte de voir les Frères Musulmans remporter réellement les élections, et l’armée ne laissera pas faire, dans la mesure où les Frères Musulmans ne cherchaient pas à remporter tout de suite les élections. Quadriller la société est leur priorité, ensuite participer à un jeu démocratique, un processus démocratique, pour avoir un argument de poids vis-à-vis de l’Occident, des puissances occidentales, en leur disant : vous voyez bien, c’est la démocratie qui nous a amenés au pouvoir, vous ne pouvez pas nous refuser. Bien qu’aujourd’hui, malheureusement l’Occident ne sait pas, ou du moins les Etats-Unis d’Amérique essaient de composer avec les Frères Musulmans et ne sont pas en train de prendre en compte l‘épée de Damoclès qu’ils représentent.
Antoine Sfeir est directeur des Cahiers de l’Orient. Propos recueillis par Frédéric Bouchard pour Euronews.
Photo : D.R.