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Publié le 21 Avril 2015

« Offrir une parole et un espace pour affirmer haut et fort la présence légitime des Juifs en France »

Mais pourquoi faut-il toujours que le sang coule pour que le monde réagisse, après ? Pourquoi faut-il attendre que le pire se produise, toujours ?
 

Discours de Sacha Reingewirtz, Président de l'UEJF, prononcé à l'occasion du soixante-et-onzième anniversaire de l'insurrection du ghetto de Varsovie.
Mémorial de la Shoah, 19 avril 2015
Il y a trois mois, je me retrouvais devant les locaux de Charly Hebdo. Sonné, je rencontre les camarades devant le carnage ...
Il y a trois mois, j'étais à quelques centaines de mètres de l'Hyper Cacher quand j'apprends qu'un individu s'est introduit après avoir tiré au hasard sur des clients d'un commerce juif. Tués parce que juifs ...
Rien n'est comparable, et l'analyse historique nous protège des amalgames abusifs. Mais l'imaginaire n'entend pas ces barrières rationnelles.
L'imaginaire s'habille pour moi dans ces instants des récits familiaux, des souvenirs égrenés, des cauchemars et des gloires, des rescapés et des assassinés...
Et mon sang, après s'être figé, n'a fait qu'un tour. Il nous fallait résister, il nous fallait combattre, il nous fallait nous défendre ...
L'UEJF se doit pour moi d'offrir une parole et un espace pour affirmer haut et fort la présence légitime des Juifs en France, le combat face au pire.
C'est ce qui nous a donné la force d'organiser, au lendemain de l'attaque, le rassemblement en leur mémoire.
Que nous enseignent les combattants du ghetto de Varsovie pour le combat pour la liberté ?
Quand Mordechai Anielewicz, quand Marek Edelman, quand ces jeunes femmes et ces jeunes hommes prennent les armes, à peine parviennent-ils à obtenir quelques pistolets usagés de la résistance polonaise. Mais ils sont seuls face à l'ennemi.
A ce moment-là, le monde se moque du sort des Juifs assassinés par millions. Malgré les rapports de la résistance obtenus dès 1942, détaillant le fonctionnement des camps, de l'extermination de masse, des chambres à gaz, aucun avion, aucune munition des forces alliées, ne sera affectée à ralentir le processus de destruction des Juifs, qui lui, au contraire, s'intensifie à la fin de la guerre.
Mais pourquoi faut-il toujours que le sang coule pour que le monde réagisse, après ?
Pourquoi faut-il attendre que le pire se produise, toujours ?
Pourquoi les insurgés du ghetto ont-ils connu la même indifférence des nations qu'avaient vécue, il y a tout juste cent ans, les Arméniens déportés, massacrés et affamés par le régime turc, qui ne reconnaît toujours pas sa responsabilité dans ce génocide ?
Pourquoi, en 1994, alors que nous avions martelé "Plus jamais ça" à travers le monde, les armées occidentales laissèrent se commettre, en connaissance de cause, le génocide des Tutsi au Rwanda ?
Il y a trois mois, après les tueries, nous étions des millions dans la rue.
Mais pourquoi les dessinateurs de Charlie étaient-ils si seuls, lorsqu'il y a quelques années, leur local était incendié, et leurs dessinateurs poursuivis en justice ?
Pourquoi a-t-il fallu se battre si longtemps pour que la France prenne conscience de la montée de l'antisémitisme ?
Et pourquoi, aujourd'hui, dans d'autres régions du monde, en fait-on si peu pour secourir des populations martyres ? Des Darfouris aux Yezidis, jusqu'aux Rohyngas de Birmanie, des Chrétiens d'Orient jusqu'aux étudiants kenyans, qui marchera, qui interviendra pour leur venir en aide ?
On ne connaît jamais l'issue d'une bataille. Lorsque la résistance pour la liberté se met en marche, rien ne garantit que la victoire est au bout du chemin. Quand les insurgés du ghetto entrent en guerre, ils sont presque déjà morts. Et pourtant.
Et pourtant il y a six mois, quand les jeunes combattants kurdes de Kobané, hommes et femmes, décident de faire barrage aux barbares, face aux fous furieux de l'Etat islamique, personne ne croit en leur sursaut. Eh bien, ces jeunes combattants épris de liberté, que tout le monde disait déjà morts, envers et contre tout, n'ont pas cédé une parcelle de leur territoire, face à des ennemis plus nombreux, surarmés, entraînés : ils ont suscité l'éveil des nations, ils ont obtenu des armes, ils ont combattu jusqu'au bout, et ils ont vaincu.
Le voilà, l'héritage des combattants ghetto de Varsovie, dont nous essayons d'être dignes, et qui nous demande aujourd'hui, au-delà d'un devoir de mémoire, de faire preuve d'un véritable devoir de conscience, en portant ici, les combats qui sont les nôtres contre toute forme de racisme et d'antisémitisme, et en sachant là-bas, faire preuve de solidarité avec les insurgés du monde entier qui chérissent la vie et la liberté.