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Le Crif : Après le vote de la motion de censure par le Nouveau Front Populaire (NFP) et le Rassemblement National (RN), puis la chute du Gouvernement Barnier, est-il selon vous non seulement souhaitable mais possible de réaliser une entente à l’Assemblée allant du Parti Socialiste (PS) à Les Républicains (LR) ?
Violette Spillebout : Le vote de la motion de censure plonge la France dans une situation inconnue, qui affaiblit notre pays notamment dans le domaine économique, dans son attractivité pour les investisseurs. Un grand nombre de nos concitoyens, en particulier les agriculteurs, les entrepreneurs, les artisans, ou encore les personnes en recherche d’emploi ont toutes les raisons d’être inquiets de cette situation d’incertitude, qui ne doit pas durer.
Il faut donc collectivement aborder la période qui s’ouvre avec, à la fois, gravité et esprit de responsabilité. Je suis personnellement pro-active actuellement dans les échanges à mener avec les autres groupes politiques pour trouver un accord qui n’a pas pu être noué lors du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Au-delà de ce qui est fait opportunément par les présidents de groupe, comme ce qu’a proposé le nôtre Gabriel Attal pour notre groupe Ensemble pour la République, nous avons, nous tous et toutes député(e)s, le devoir de cultiver des relations et des échanges ouverts avec les collègues d’autres groupes de l’arc républicain.
Le Crif : Rejoignez-vous la proposition, énoncée à gauche notamment par l’écologiste Yannick Jadot, de conclure au moins un pacte de non-agression, de non-censure, entre divers courants jusqu’à présent opposés à l’Assemblée nationale, considérant qu’il faut transitoirement trouver un terrain d’entente ?
Violette Spillebout : Oui, je suis favorable à cette idée. Cela fait longtemps d’ailleurs que je regrette que certains dirigeants du groupe Les Écologistes se montrent aussi dogmatiques, que certains aient refusé jusqu’à présent des discussions et des rapprochements de points de vue avec le socle commun. Localement à Lille, les discussions que j’ai pu proposer ont été refusées. À l’Assemblée nationale, avec certain(e)s député(e)s de cette partie de la gauche, des discussions ont en revanche eu lieu et parfois, sur certains textes, des convergences se sont manifestées. Il est bien sûr souhaitable, maintenant et pour la période à venir, que des convergences complémentaires puissent se manifester concrètement pour éviter toute nouvelle motion de censure. Que ce soit avec les socialistes ou avec les écologistes, je pense que nous pouvons réussir cette évolution, compte tenu de la gravité de la situation dans laquelle notre pays se trouve. Nous n’aboutirons sans doute pas à une convergence sur tous les sujets bien sûr – chacun des courants gardant naturellement sa spécificité et ses projets de long terme – mais sur quelques points et sur l’idée d’exclure toute nouvelle censure dans la période qui s’ouvre nous pouvons espérer aboutir. Comme l’a souligné le Président de la République, c’est l’intérêt général qui est en jeu.
Pour cela, chacun doit faire des pas vers l’autre dans une logique de compromis. Y compris nous-mêmes, au sein de ce qu’on appelle « le bloc central ». Je pense par exemple à notre position de principe de ne pas rehausser les impôts : pour autant, on l’a vu, nous n’avons finalement pas bloqué les mesures envisagées par l’ancien Premier ministre Michel Barnier de taxer davantage et provisoirement les plus hauts revenus et les très grandes entreprises, ceci pour permettre de réduire le déficit budgétaire. Nous avons donc déjà prouvé que nous sommes susceptibles de trouver des solutions dans le dialogue. Cette capacité au compromis doit se manifester précisément du côté du NFP, en tout cas du côté du PS et des Écologistes qui ont commencé à évoquer plus clairement cette logique de dialogue et de compromis. C’est d’ailleurs ce que font toutes les démocraties européennes qui entourent la France.
Le Crif : En ce qui concerne les grands acteurs du compromis qui peuvent émerger au sein de l’arc républicain, pensez-vous par exemple que François Bayrou, qui a été reçu jeudi à l’Élysée par Emmanuel Macron, ou encore Bernard Cazeneuve, qui avait démissionné du PS sur la question de l’alliance de ce parti avec LFI, peuvent être particulièrement en situation pour incarner un consensus républicain dans cette période troublée ?
Violette Spillebout : Ces deux personnalités peuvent en effet correspondre à la nécessité actuelle de dépasser les frontières partisanes car la question n’est pas pour moi d’être de droite ou de gauche mais d’être solidement attaché aux valeurs de la République, d’être ancré dans les valeurs d’humanisme, d’agir en politique dans le respect de chacun, dans une vigilance sans faille en ce qui concerne la lutte contre le racisme et l’antisémitisme.
Il est important que des personnalités, réputées pour leur ouverture d’esprit et leur méthode de travail, puissent en effet permettre à notre pays, dans le dialogue et le respect des identités politiques de chacun qu’il ne s’agit pas de nier, de sortir de la situation de crise politique qui ne peut pas durer longtemps sans dommages pour les Français. Une et des personnalités qui, par leur expérience du Parlement, ont su non seulement écouter mais travailler avec différents groupes politiques, doivent apparaître dans ce contexte pour ouvrir une séquence constructive. L’exercice était finalement devenu quasiment impossible pour Michel Barnier. Il faut donc trouver quelqu’un de particulièrement adroit, respecté et expérimenté dans les négociations, pour pouvoir favoriser les bonnes convergences au sein de l’arc républicain.
Le Crif : Concernant la flambée des actes et menaces antisémites qui est apparue depuis le 7-Octobre 2023 en France, quelles sont les axes de mesures qui doivent selon vous être privilégiés pour endiguer ce fléau ?
Violette Spillebout : La première des choses en ce qui concerne la lutte contre l’antisémitisme est de clairement le nommer quand il apparaît et menace. Je suis consternée d’apprendre par exemple que, lors d’une réunion préparatoire du conseil municipal de Lille quand est venue une discussion sur le plan de lutte contre le racisme et l’antisémitisme, certains élus Les Écologistes ont souhaité enlever le mot « antisémitisme », en considérant que le mot « discrimination » suffirait. Cette attitude est affligeante. Nous aurons une discussion sur ce sujet lors de la prochaine réunion du conseil municipal de Lille, qui doit avoir lieu le 13 décembre. Il est en effet insupportable de voir que partout il y a des personnes, et même des élus, qui essaient de minimiser le fléau de l’antisémitisme, et donc de le banaliser.
Bien sûr, il faut lutter contre toutes formes de racisme, c’est un devoir pour tout élu de la République, au niveau local comme au niveau national. Mais ne pas nommer l’antisémitisme est évidemment un recul, il est inacceptable, dans la période trouble que nous traversons et au regard de l’histoire. C’est pourquoi quand il y a, dans les institutions nationales ou locales, des personnes qui veulent empêcher qu’on nomme et qu’on parle de l’antisémitisme, il faut mener le combat. Le premier combat est de ne rien laisser passer.
Le second combat pour moi est celui qui doit conduire à la fermeté sur le plan judiciaire et à l’intransigeance sur le plan républicain. Il ne faut laisser passer aucune parole publique qui porte un relent d’antisémitisme ou qui contribue à une atmosphère politique qui amplifie l’antisémitisme. Je pense en particulier, dans mon territoire du Nord de la France, au député LFI David Guiraud, au sujet duquel j’ai tenu à émettre un signalement au Procureur de la République au titre de l’article 40 du Code de procédure pénale, après ses déclarations scandaleuses faites en Tunisie en compagnie de Rima Hassan, déclarations qui ont choqué la France entière et qui ne peuvent pas restée impunies. Nous avons été plusieurs collègues députés à invoquer cet article 40, qui oblige toute autorité publique prenant connaissance d’un crime ou d’un délit de le communiquer au Procureur de la République. J’ai demandé à la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) de relancer le Procureur général de Paris, instance judiciaire où peuvent être regroupées les diverses plaintes sur ce même sujet, pour que nos plaintes soient entendues et traitées par la Justice.
Le Crif : Vous n’avez toujours pas eu de réponses du Parquet ?
Violette Spillebout : Pour l’instant, nous n’avons pas eu de réponse du Procureur de Lille, comme de celui de Paris. Je regrette que, sur ces sujets d’importance et des déclarations venant d’élus et de parlementaires, que la Justice ne soit pas plus rapide et plus efficace pour répondre aux plaintes, compte tenu de la gravité et de l’importance des faits reprochés. Il faut en effet, pour tous les acteurs qui cherchent à attiser les braises de l’antisémitisme, qu’ils sachent qu’ils auront non seulement nos principes, notre détermination et notre intransigeance d’élus de la République face à eux, mais aussi que la Justice agira. Il faut qu’elle soit plus rapide et efficace pour faire valoir avec fermeté le droit et les principes de notre République.
Propos recueillis par Jean-Philippe Moinet
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