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Le Crif : Rompant avec l'attitude de tous les dirigeants occidentaux (à l'exception du hongrois Viktor Orbán) depuis plus de deux ans, Donald Trump a entamé un dialogue avec Vladimir Poutine. Quel sens cela revêt pour vous ?
Jean-Christophe Cambadélis : Le vote pour Trump est clair : « les Américains, avant l’empire ». Les Américains sont fatigués d’être les gendarmes du monde. Ce qui veut dire que les intérêts des États-Unis ne sont plus forcément ce qui permet la permanence de « l’empire », seuls vont primer les intérêts bruts de la seule Amérique. L’intérêt principal de l’Amérique, c’est de réparer la nation et la grande confrontation en Asie (avec la Chine, ndlr). Tous les autres fronts sont secondaires. Donc, Trump se prépare à faire ce que l’Allemagne a prévu : réduire son soutien financier à l’Ukraine, advienne que pourra ! C’est le sens de la dernière sortie de Trump, selon lui, Zelensky pleure qu’on lui supprime son argent de poche. Et il attend de Poutine qu’il s’arrête là.
Le Crif : Mais les Européens seront-ils capables de s'unir et de se défendre face à la Russie de Poutine, qui a attaqué militairement l'Ukraine pour l'envahir et peut-être aller plus loin ? Pensez-vous, comme l'a déclaré dimanche dernier le Ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, que les Européens font face à « un risque existentiel » ?
Jean-Christophe Cambadélis : Les Européens réagiront en ordre dispersé. L’Allemagne est secouée par une crise politique, la France tout autant et, en attendant, l’Espagne et la Pologne ne présenteront pas un front uni face à la partition de l’Ukraine et leurs peuples ne sont pas prêts à mourir pour Kiev.
En revanche si, comme Trump s’y prépare, il déclenche une guerre commerciale avec l’Europe alors je pense que celle-ci réagira pour la défense de son commerce et de son industrie, et le fera avec fermeté. Ce qui aura des conséquences pour l’économie européenne, qui se trouve dans une très mauvaise situation, et stimulera les nationaux-populistes déjà en dynamique en Europe.
Le Crif : Le Parti socialiste (PS) a toujours affirmé un fort attachement à l'Union européenne et ses valeurs. Son alliance avec La France insoumise (LFI) de Jean-Luc Mélenchon peut-elle se prolonger sachant que sur ce sujet majeur, comme sur la Laïcité et les principes républicains, les positions de la plupart des socialistes semblent aux antipodes de celles des « Insoumis » ? Un compromis sur ces enjeux ne finit-il pas en compromission ?
Jean-Christophe Cambadélis : Dès la création de la Nupes, j’ai été dans les premiers, si ce n’est le premier, à dire que ce type d’union préconisé avec Mélenchon était une reddition. Le problème du PS est avant tout celui de son effacement devant le populisme de gauche des « insoumis ». Il ne s’agit plus d’une compromission pour gagner une élection. Il s’agit d’une disparition, déléguant le leadership de la gauche à Mélenchon.
Le Crif : Pensez-vous qu'un Congrès socialiste doit et peut clarifier la stratégie du PS et assurer non pas la disparition mais l'avenir du courant social-démocrate français ?
Jean-Christophe Cambadélis : Le Congrès du PS est une des clés de la situation politique française. Son objectif est de décider une nouvelle direction : l’affirmation d’une autonomie stratégique du PS avec un nouveau programme et un nouveau leadership. Le PS doit dire maintenant : « nous aurons un candidat à la présidentielle ». Et pour préparer cette échéance, nous préparons un « Épinay 2 » (ndlr : en 1971, le Congrès d’Épinay, « d’unification des socialistes », avait mis sur pied une stratégie politique autour de François Mitterrand) où nous rassemblerons tous ceux qui veulent une gauche de Gouvernement et nous proposerons à la France une nouvelle doctrine, un nouveau chemin social-démocrate.
Le Crif : La flambée d'antisémitisme ne cesse depuis le 7 Octobre, en France et en Europe. Comment interprétez-vous et qualifiez-vous les violences terribles qui se sont déchaînées contre des Juifs dans les rues d'Amsterdam ?
Jean-Christophe Cambadélis : Cette ratonnade contre les Juifs est intolérable, inacceptable. Le fait qu’elle se déroule quasiment le jour anniversaire de la nuit de Cristal (ndlr : pogrom contre les Juifs du IIIème Reich qui se déroula dans la nuit du 9 au 10 novembre 1938) en rajoute à l’horreur. Le glissement de propos tenus par certains supporters de l’équipe de football d’Israël ne serait être une excuse ou une explication à ce violent déchaînement d’antisémitisme. On peut évoquer certaines causalités mais ce n’est pas le sujet. Il faut s’élever, vite et fort, sans ambiguïté contre ce fait : on a fait la chasse aux Juifs dans les rues d’Amsterdam.
Le Crif : Pour endiguer le fléau de l'antisémitisme, quelles sont les mesures qui vous semblent devoir s'imposer prioritairement en France, dans cette période inquiétante ?
Jean-Christophe Cambadélis : il nous faut redoubler de vigilance et de détermination dans l’action. La combinaison de la montée des nationalismes xénophobes, de la libanisation des esprits et du conflit au Moyen-Orient exige aujourd’hui une grande détermination. Il faut être intransigeant contre toutes formes de racisme. Le PS s’honorerait d’adopter une charte solennelle sur ce sujet majeur. Il aurait valeur d’exemple pour toutes les représentations politiques.
Propos recueillis par Jean-Philippe Moinet
- Les opinions exprimées dans les entretiens n’engagent que leurs auteurs -