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Published on 24 September 2024

Lettre aux élus #3 - Juifs de France : « Fous de la République » ?

Découvrez la nouvelle publication du Crif. La lettre aux élus du Crif apporte une information factuelle et précise aux décideurs publics sur des sujets d’actualité en rapport avec les causes défendues par le Crif (lutte contre l’antisémitisme, mémoire, défense des valeurs républicaines…).

ÉDITO DU PRÉSIDENT DU CRIF
 

Le 27 septembre 1791, l’Assemblée nationale constituante émancipait les Juifs de France, promus pour la première fois en Europe au rang de citoyens comme les autres.

Mais le 27 septembre 1791, c’est aussi le triomphe de l’universalisme des Droits de l’Homme, promis par l’idéal républicain. Pour les Français juifs, cet universalisme a été le synonyme à la fois de la liberté et de l’égalité. Pourtant, aujourd’hui, l’idéal républicain, l’universalisme, la laïcité sont trop souvent moqués ou contestés, accusés d’être les armes d’une oppression des minorités.

Redisons-le avec force : la République universaliste n’opprime pas, elle protège. Face au défi d’une société française qui ne sait plus ce qu’elle partage, elle n’est pas le problème mais bien la solution.

Soyons lucides, ce qui se joue sous nos yeux est une bataille idéologique : la République et ses valeurs contre le multiculturalisme, l’indigénisme, le wokisme, l’individualisme.

De cette promesse du 27 septembre 1791, nous, Français juifs, avons gardé et chéri la passion de la République, universaliste et fraternelle.

 

Yonathan Arfi, Président du Crif

 

 

LE COMBAT POUR L’ÉMANCIPATION

 

La France a été la première nation européenne à attribuer la pleine égalité de droits aux Juifs. Cet événement s’inscrit dans un long processus politique qui commence avant la Révolution française, dans l’esprit des philosophes des Lumières.

 

En 1787, la Société royale des sciences et des arts de Metz propose comme sujet de concours : « Est-il des moyens de rendre les Juifs plus utiles et plus heureux en France ? ». Trois lauréats se partagent le prix : l’abbé Henri Grégoire, l’avocat Claude-Antoine Thiéry et l’écrivain juif Zalkind Hourwitz. Tous les trois affirment que l’émancipation des Juifs et la suppression des mesures restrictives dont ils souffrent garantiront leur intégration.

Deux ans plus tard , la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, adoptée le 26 août 1789, met fin à toute discrimination entre citoyens. La revendication d’une égalité des droits pour les Juifs se fait de plus en plus jour. L’Histoire retiendra la célèbre formule du député Clermont Tonnerre : « Il faut tout refuser aux Juifs comme nation et tout accorder aux Juifs comme individus ».

Après d’âpres discussions, le décret relatif à l’émancipation des Juifs est adopté le 27 septembre 1791 et promulgué par le roi Louis XVI.

 

Décret d’émancipation des Juifs adopté le 27 septembre 1791
par l’Assemblée nationale constituante et promulgué le 13 novembre de la même année par le roi Louis XVI.

 

L'enthousiasme d'être citoyen

Les Juifs de France ont accueilli avec espoir et enthousiasme leur émancipation. C’est ainsi en France que naquit l’idée de faire des Juifs des citoyens à part entière en mettant fin à leur statut de « peuple à part ». S’il a pu être entamé par les vagues d’antisémitisme après notamment l’Affaire Dreyfus ou les persécutions antijuives dont l’État français s’est rendu coupable durant la Seconde Guerre mondiale, l’attachement des Juifs à la République française a toujours été vivace depuis.

Dans l’un de ses ouvrages consacrés à l’histoire des Juifs de France, l’historien Pierre Birnbaum utilisera l’expression « fous de la République » pour souligner leur amour inconditionnel pour les principes républicains.

 

PRIÈRE POUR LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

 

Fidèles à une tradition officialisée lors de la création du Consistoire israélite en 1808, les Juifs élèvent une prière pour la France dans leurs synagogues, chaque semaine, lors des offices du matin de shabbat.

Cette prière débute ainsi : « Bénis et protège la République française et le peuple français. Que la France vive heureuse et prospère. Qu’elle soit forte et grande par l’union et la concorde. Que la France jouisse d’une paix durable et conserve son rang glorieux au sein des nations ».

En 2012, le texte a été enrichi avec une invocation « pour nos soldats qui s’engagent partout dans le monde pour défendre la France et ses valeurs ».

À la suite des attentats terroristes islamistes de 2015 qui ont ensanglanté la France et notamment visé les Juifs avec l’attaque contre l’épicerie Hyper Cacher, un hommage aux forces de l’ordre, policiers et militaires mobilisés pour la protection des lieux juifs (synagogues, centres communautaires, écoles…) a également été ajouté par le Grand Rabbin de France Haïm Korsia.

 

L'ANTISÉMITISME, SYMPTÔME D'UNE RÉPUBLIQUE FRAGMENTÉE ?

 

« Toucher à un juif en France, c’est toucher toute la République », a déclaré le Ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin au lendemain des attaques du 7 octobre 2023, alors qu’apparaissaient les premières menaces sur la sécurité des Français juifs. Dans les semaines suivant le 7 octobre, les actes antisémite ont augmenté de 1 000 % par rapport à la même période en 2022.

Au cours de l’Histoire, l’antisémitisme s’est toujours présenté comme un mal précurseur, annonciateur d’autres maux touchant le reste de la société. S’il touche une partie bien entendu minoritaire de la population française, il incarne, aux côtés d’autres atteintes (contre les élus, contre la liberté de la presse, contre la laïcité, contre les institutions…), un signe de la fragilisation de la République tout entière. Bien souvent d’ailleurs, ces maux se complètent : ceux qui alimentent l’antisémitisme sont aussi ceux qui menacent la démocratie.

La situation des Français juifs demeure, telle un baromètre, un indicateur de l’évolution de l’édifice républicain, dont l’équilibre fragile peut constamment être remis en cause. De nos jours, les Français juifs, qui représentent moins de 1 % de la population, concentrent encore plus de 60 % des actes anti-religieux. Signe du long chemin qui reste à parcourir pour tendre vers l’idéal républicain.

 

CITATION

 

« Depuis 1791, les Juifs français étaient, en principe, des citoyens comme les autres, jouissant des mêmes droits et soumis aux mêmes lois. Première nation européenne à accorder aux Juifs une totale égalité des droits [...] cette parfaite égalité faisait la gloire de la France [...]. Ainsi rayonnait la République française dans les communautés juives, et Paris exerçait sa fascination aussi bien sur les intellectuels et les artistes juifs que sur le prolétariat du Yiddishland. »

Robert Badinter, Idiss (2018, Fayard)

 

LE VRAI OU FAUX : COMMUNAUTÉ OU COMMUNAUTARISME ?

 

Avoir des traditions religieuses, une culture et une identité singulières ne constitue pas du communautarisme. Le communautarisme consiste à vouloir placer des règles particulières au-dessus des lois et des valeurs républicaines.
Cela n’a jamais été le cas des Français juifs, qui prônent le respect des lois civiles au-dessus de toutes les autres, et demeurent attachés à ce principe talmudique selon lequel « la loi du pays est la loi ».

Depuis 1905, comme pour les protestants, autre minorité religieuse présente en France à l’époque, leur identité s’est toujours inscrite dans le respect de la laïcité. Pour eux, elle est un bouclier et une protection face aux menaces des intégristes qui sont très souvent aussi antisémites qu’hostiles aux principes laïcs et républicains. Pour les Français juifs, les lois laïques ne sont pas liberticides. Elles constituent, au contraire, des lois de protection, d’équilibre et de liberté.

L’attachement des Juifs à la République est une réalité palpable. Comme l’a rappelé le Premier ministre Manuel Valls à la tribune de l’Assemblée nationale après l’attentat de l’Hyper Cacher en 2015, « la France, sans les Juifs de France, ne serait pas la France ».

Si des quartiers, par leur histoire, peuvent regrouper d’importantes communautés juives, il s’agit bien souvent avant tout de la conséquence d’une insupportable montée de l’antisémitisme dans de nombreux territoires français que les Juifs ont été contraints de fuir pour assurer leur sécurité et celle de leurs enfants.

Que les Français juifs expriment une sincère préoccupation face à la montée de l’antisémitisme ne constitue pas une forme de communautarisme.
Au contraire, il s’agit bien, s’il le fallait, d’une preuve supplémentaire de leur attachement aux valeurs républicaines. C’est parce que leur conscience citoyenne est forte et historiquement ancrée et parce que leur devenir est intrinsèquement lié à celui de la République qu’ils disent, à haute voix, le péril qui les menace tous deux.

 

POUR ALLER PLUS LOIN :

 

  • Robert Badinter Libres et égaux, l’émancipation des Juifs de 1789-1791 (Fayard, 1989)
     
  • Pierre Birnbaum Les fous de la République : Histoire des Juifs d’État de Gambetta à Vichy (Fayard, 1992)
     
  • David Feuerwerker L’émancipation des Juifs en France de l’Ancien Régime à la fin du Second empire (Albin Michel, 1976)
     
  • Rita Hermon-Berlot L’émancipation des Juifs (Presses universitaires de France, 1999)

 

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