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Photo : Représentants religieux, citoyens et autorités civiles et militaires ont honoré la mémoire des victimes de la rafle du Vél d’Hiv, dimanche 21 juillet à Orléans.
La cérémonie s’est déroulée Place de la République, à Orléans, le dimanche 21 juillet
Nous sommes ici, à Orléans, non loin des lieux où, comme l’a écrit Henry Bulawko « l’horreur fit étape ».
L’horreur du génocide programmé du peuple juif, inscrit dans une « culture européenne qui a fantasmé la destruction d’une partie de l’espèce humaine pendant des siècles » (Georges Bensoussan) : La Shoah…
Prenant sa revanche sur la Démocratie, le régime de Vichy, soumis à Hitler, fut le complice zélé de ce projet mortifère, par son administration tatillonne : lois, décrets, actes signant la persécution des Juifs étrangers (la rafle du 14 mai 1941), puis des Juifs français : exclusions sociales, expropriations, spoliations, dénaturalisations, marquage, internements, rafles et transports vers le camp de la mort, Auschwitz Birkenau. Sans oublier le rôle criminel des membres de la haute fonction publique dans l’organisation des rafles, puis de la milice (1943), auxiliaire de la Gestapo, « bras armé de la collaboration française » dans la traque, la torture, les exécutions sommaires…
Sans refaire l’histoire de la Shoah, je voudrais, aujourd’hui, souligner brièvement deux points marquants de cette période :
La Conférence d’Évian – juillet 1938 – sur l’accueil des réfugiés juifs persécutés en Allemagne et en Autriche, a conclu au maintien des « quotas », donc au refus des grandes puissances d’ouvrir leurs frontières. Le permis de tuer est donné à Hitler.
Au printemps 1939, le ST Louis, navire transportant des centaines de passagers juifs fuyant l’Allemagne, erre pendant des semaines à travers l’Atlantique à la recherche d’un port d’accueil, en vain ! (nombreux autres exemples).
Il y eu un enchaînement de politique « d’apaisement », d’indifférence, d’aveuglements, de lâches alibis, « une démission de gouvernements démocratiques et d’organisations humanitaires internationales » (Gérard Rabinovitch).
« L’effroyable volonté d’anéantissement total et sans échappatoire fut subie dans une solitude extrême » (Gérard Rabinovitch et Georges Bensoussan).
Mais, à cet instant, j’apporte une nuance en rappelant l’héroïsme discret des Justes parmi les nations, ces milliers d’hommes et de femmes de condition souvent modeste, personnes connues ou inconnues, qui sauvèrent la vie de familles désemparées et celle de nombreux enfants juifs en les accueillant, les cachant, accomplissant ces gestes salvateurs nommés « actes saints », selon la tradition juive, privilégiant la vie et non le martyre.
Il y eut des Justes au sein de l’Église catholique et de l’Église protestante, comme dans la police (à Nancy), Paul Grüninger à la frontière suisse, et dans le monde diplomatique, le Consul portugais Aristides de Sousa Mendes ayant délivré des milliers de visas, comme le consul japonais Sempo Sugihara.
En 1940, l’historien Marc Bloch écrivait « [nous sommes] dans un monde assailli par la plus atroce barbarie ». Qu’en est-il aujourd’hui ? Qu’en est-il du « plus jamais ça » ? Comme l’avait prévu Primo Lévi, lucide : « C’est arrivé, cela peut donc arriver de nouveau ».
Dans un monde où « murmure le potentiel barbare de nos sociétés » (Georges Bensoussan), entamant l’avenir du peuple juif, la possibilité de destruction de l’État d’Israël évoquée depuis de longues années, a été tentée le 7 octobre 2023 :
Les hordes de terroristes du Hamas ont perpétré un gigantesque massacre de nature génocidaire en Israël, planifié de longue date. Son atrocité nous a sidérés au point de ne pas savoir comment le nommer. Il s’inscrit dans « la longue liste des nombreux et très violents pogroms commis en Palestine depuis 1834 jusqu’en avril 1948, bien avant la création de l’État d’Israël ». (Georges Bensoussan).
Le 7 octobre 2023, dans une rage de destruction totale-projet sadique d’anéantissement d’un peuple, semblable au projet nazi sur ce point, les terroristes ont massacré, torturé, brûlé vifs, égorgé, décapité, pris en otages et violé hommes, vieillards, femmes-certaines, enceintes, – enfants, bébés.
Au delà du viol, la profanation des corps signe le projet de déshumanisation et d’extermination d’un peuple (Renée Frégosi). La différence avec les crimes des nazis qui tenaient au secret de leurs exactions, les terroristes du Hamas, dans l’hystérie, la jouissance indécente et l’exaltation, riaient, se filmaient, se vantant au téléphone, assurant la mise en spectacle de leurs crimes atroces.
Les réactions face à cette tragédie : « le plus grand coming-out de l’antisémitisme depuis 1945 qui ne se cache plus… claironné sous le signe de l’antinazisme » (Pascal Bruckner) par falsification, ignorance de l’Histoire, le dévoiement des mots, le négationnisme sur les faits actuels…
Depuis plus de vingt ans, nous avons vu la montée et la pérennité de l’antisémitisme dans notre pays, mutant comme un virus meurtrier, indestructible.
Aujourd’hui, en France : explosion exponentielle de l’antisémitisme « nourrie par l’ineptie, l’ignorance, la haine et les mensonges » ( Jacques Tarnero) hurlés dans des manifestations d’élus de la République, héroïsant les massacreurs du Hamas, appelant à la destruction de l’État d’Israël dans le slogan : « From the river to the sea ».
Dévoiement du féminisme : le 8 mars, les féministes juives insultées et menacées dans la manifestation de la journée internationale du droit des femmes.
Le geste barbare de la lacération sauvage des visages des otages.
« On dépouille les Juifs de leur propre tragédie » (Raphaël Enthoven).
À cet instant, je rappelle le viol sauvage d’une fillette de douze ans par trois garçons de son âge, à Courbevoie, le 15 juin 2024… Ces garçons, nés en France et scolarisés à l’École de la République.
La victime était juive et il fallait « venger la Palestine » !
Face à ce crime antisémite particulièrement odieux, le constat est terrible : la haine anti juive a gagné et gangréné une bonne partie de la jeunesse ; elle n’est pas venue naturellement. Cela interroge la violence des paroles entendues dans le cadre familial, le quartier, la diffusion des images insoutenables des viols sur les réseaux sociaux, les discours incendiaires d’élus de la République, complices et relais de la propagande antisioniste des terroristes du Hamas.
La cible : Israël et les « sionistes », le masque, le substitut pour qualifier les Juifs. L’antisionisme étant la nouvelle « idéologie » à la mode, en particulier dans la jeunesse.
La conséquence, illustrée par ce viol, le passage à l’acte, filmé et revendiqué avec fierté par les jeunes agresseurs, « bons combattants du Hamas ». Je cite la mère de la petite fille violée : « Il y a un mimétisme entre les actes perpétrés par les terroristes du Hamas dans les kibboutz et ce que notre fille a subi, en bas de chez nous, à Courbevoie ».
Je voudrais terminer par un constat amer.
Comme après les assassinats de citoyens juifs français, dont les petits enfants de Toulouse, les manifestations ont rassemblé, en majorité, des citoyens juifs français, des institutions juives et un certain nombre de citoyens français, non juifs. Tous indignés par les crimes commis dans notre pays.
Ma question : où était, où est l’ensemble du peuple français quand les victimes sont juives ?
Je me souviens de la foule après le terrifiant attentat contre les journalistes de Charlie…
L’absence d’une même foule, l’indifférence réelle ou supposée de nos concitoyens avive le sentiment de la précarité de notre existence…
Ceci m’amène à rappeler que la lutte contre l’antisémitisme nous concerne tous, citoyens français, car ce qui menace les Juifs menace nos libertés, menace la République.
Il nous incombe, comme il incombe aux politiques, de mener un combat civique, celui de la civilisation contre la barbarie.
Éliane Klein, déléguée du Crif Région Centre - Orléans, 21 juillet 2024