Jean-Pierre Allali
Les presque soeurs, par Cloé Korman (*)
Entre 1942 et 1944, l’infâme gouvernement de Vichy a séquestré des milliers d’enfants juifs orphelins, leurs parents ayant été déportés et, pour a plupart, assassinés dans les camps de la mort nazis.
Le récit de cette véritable enquête de terrain réalisée par Cloé Korman nous conduit de Montargis à Paris et à sa banlieue, en passant par Beaune-La-Rolande.
Les Presque Sœurs, ce sont six fillettes que la tragédie de la Shoah et de la folie meurtrière nazie a réunies. Les trois cousines du père de l’auteure, Mireille, Jacqueline et Henriette Korman et leurs trois compagnes d’infortune, André, Jeanne et Rose Kaminsky. Les unes ont été arrêtées chez une brave commerçante, Anne-Laure Mourgue, non Juive mais épouse d’un Juif et, dès lors, « éligible à être l’hôte d’enfants juifs dont les parents ont été raflés ». Outre les trois adolescentes, madame Mourgue est en charge d’un nourrisson, Madeleine qui sera épargnée car « que ferait la Wehrmacht d’un bébé qui fait pipi partout ? ». Les autres ont été raflées dans la cour de leur école pendant une récréation. Tout au long des jours, les six presque sœurs se cherchent et se retrouvent dans les baraquements. Et c’est l’aînée, Andrée, qui s’occupe de la toilette des petits, Andrée, qui survivra et sera, pour l’auteure, un témoin précieux.
Parallèlement à l’épopée des six fillettes, on découvre l’horreur des camps du Loiret, Pithiviers et Beaune-La-Rolande. Voici le cameraman Paul Engelman, Szmul Lewin avec sa casquette blanche, Zalma Wojakowsli en train d’écrire une missive à sa famille. Voici aussi, arrivées le 17 juillet 1942, Chava, Lysora, Nathan et Hélia. Des hommes, des femmes, des enfants. Les maladies sont endémiques : dysenterie, rougeole, diphtérie, impétigo. Il n’y a pas de soins et les plaies suppurent. Le 13 août 1942, un télégramme des Allemands parvient aux autorités françaises : « Autorisation de déporter les enfants ». On imagine la suite.
Le 10 décembre 1942, les six fillettes sont l’objet d’un arrêté de « libération » de la préfecture du Loiret. « Libérés », « Consignés », « Au Purgatoire », « En sursis ». Chacun appréciera selon sa sensibilité. Direction Paris et les foyers, les asiles et les homes gérés par l’UGIF (Union Générale des Israélites de France). En compagnie de Berthe Asher, d’Édith Adler et des sœurs Grycman, Annette et Louisette, la bande des filles gravit en autobus la butte Montmartre pour rejoindre le Centre Lamarck où l’on s’apprête à allumer la huitième et dernière bougie de Hanouka. Changement de décor, donc, mais ce n’est pas encore la fin du cauchemar car « au printemps 1943, les foyers d’enfants de l’UGIF se mettent à dépendre directement du camp d’internement de Drancy, et Drancy ne dépend plus de la hiérarchie nazie installée en France mais directement de Berlin ». Certains enfants vont se retrouver à Saint-Mandé, d’autres à Louveciennes. Andrée, elle, ira au foyer de la rue Vauquelin à Paris. Une incroyable épopée.
Une enquête très intéressante. On regrettera la multiplication des personnages qui déroute un peu le lecteur. À découvrir !
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions du Seuil, août 2022, 256 pages, 19 €.
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