Jean Pierre Allali

Jean-Pierre Allali

Lectures de Jean-Pierre Allali - Des vérités boiteuses, par Émile Brami

20 February 2024 | 83 vue(s)
Catégorie(s) :
Opinion

Par Chloé Blum

Jean-Pierre Allali partage avec vous ses appréciations littéraires au fil de ses lectures. Aujourd'hui, il nous parle du livre de Techouva, de Frédéric Lauze.

Jean-Pierre Allali partage avec vous ses appréciations littéraires au fil de ses lectures. Aujourd'hui, il nous parle du livre de Dina Porat, Le Juif qui savait Wilno-Jérusalem : la figure légendaire d’Abba Kovner, 1918-1987.

"On s'est dit au-revoir. C'était un au-revoir mais qu'y avait-il derrière cet au-revoir ?"

Pages

Des vérités boiteuses, par Émile Brami (*)

 

Juif d’origine tunisienne, Émile Brami, qui est né en 1950 à Souk-el-Arba, l’ancienne El Barraka, aujourd’hui Jendouba, est un écrivain-peintre-libraire-galériste. Considéré comme l’un des meilleurs spécialistes de l’œuvre de Louis-Ferdinand Céline, il est l’auteur de nombreux ouvrages dont « Histoire de la poupée » (Écriture, 2000), prix Palissy du premier roman. Dans ce nouveau récit, entre autofiction et quête mémorielle, Brami remonte le cours de l’histoire, à la recherche de ses racines, de la tragédie vécue par son père, Haï Victor, en 1964 et plus généralement de l’exil d’une communauté chassée par les soubresauts de l’Histoire, d’une terre où elle était établie depuis des millénaires. Des vérités, donc, mais volontairement boiteuses. Car, quoique l’on fasse, la mémoire est infidèle et, comme le dit l’adage yiddish : « Sans mensonge, il n’y a pas de vérité ».

Émile Brami voit le jour donc le 19 avril 1950. Il raconte comment son père, Haï Victor, dans l’attente impatiente de l’accouchement de son épouse et fortement éméché par l’absorption s’une forte quantité de boukha, l’alcool de figue tunisien, le déclara en mairie sous les prénoms de Émile, Meyer, Africain Brami. C’est toujours l’identité de notre auteur qui explique qu’Africain renvoie à un film projeté à l’époque, « Émile l’Africain » de Robert Vernay et dont la vedette était Fernandel.

En 1957, la famille choisit de rejoindre la capitale Tunis où Émile sera scolarisé au fameux lycée Carnot. C’est là, en 1964, que survient l’événement tragique qui conduira la famille, Haï Victor, son épouse et leurs trois enfants, à fuir leur pays natal à la recherche de cieux plus cléments. Dénoncé par son ami et associé Abdallah S. comme faisant partie de l’organisation « La Main Rouge », Haï Victor Brami est roué de coups et torturé par des « policiers ». Il en gardera des cicatrices profondes. Ils auraient pu choisir Israël, dont les émissaires sionistes en Tunisie vantaient à longueur de journée les avantages mirifiques qui se révéleront, hélas, pour beaucoup, très décevants, mais ce sera, finalement la France.

Le petit Émile fera tout son possible pour s’acclimater et adopter sa nouvelle patrie mais, contrairement à ses parents qui ne voulurent jamais entendre parler d’un voyage du retour au pays dont ils avaient été chassés, il retournera au pays natal en 1995. Il constatera que pour beaucoup d’habitants musulmans, les jeunes, notamment, l’existence d’une communauté juive millénaire dont la présence était antérieure à celle des Arabes avait été purement et simplement gommée. « Que racontez-vous là, mon bon monsieur, il n’y a jamais eu de Juifs dans notre pays ». Comme aimait le dire Romain Gary propos des Juifs d’Europe décimés par le génocide hitlérien : « Les rue ssont pleines de Juifs qui ne sont pas là ».

Par-delà ses souvenirs émouvants, Brami, nous parle de ses ennuis de santé, des traitements expérimentaux qu’il sera amené à suivre et de sa guérison miraculeuse. Il évoque sa passion dévorante pour les livres et nous brosse des portraits savoureux de personnages de sa famille et des proches : Célestin Cohen, le facteur, Pétronille Cohen, sa grand-mère maternelle et son mari Chemhoun (Simon), le rabbin Fraji Beuchmout (Gabriel Bismuth), Meïr le conteur, Na’âma, l’arrière-grand-mère maternelle, l’arrière-grand-père paternel Daoud (David) ; assassiné  près de Constantine en 1905, Louna (Yvonne) et Haï (Victor)…

On découvre aussi son amour d’enfance, Deborah dite Debby, son chien Bobby, le peintre Michel Nedjar, la moitié de cheval qu’il possédait à l’hippodrome de Kassar-Saïd dans la banlieue de Tunis  les boxeurs « tunes », Young Perez et Félix Brami , la tribu des Berbères judaïsés, les Bahoussis, les Taxis-Bébés ou encore le fléau épisodique des invasions de sauterelles.

Original et sympathique.

Jean-Pierre Allali

 

(*) Éditions Écriture. Septembre 2023. 192 pages. 19 €.

 

- Les opinions exprimées dans les billets de blog n'engagent que leurs auteurs -