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Published on 17 October 2023

L'entretien du Crif - Manuel Valls : « l’islamisme nous mène une guerre en Europe »

Juste avant de se rendre en Israël, l’ancien Premier ministre et ancien Ministre de l’Intérieur Manuel Valls évoque pour nous la gravité de la situation et de la menace terroriste en France et en Europe. En réponse aux questions de Jean-Philippe Moinet, il souligne les contours de « la guerre que nous mène l’islamisme », la nécessité d’une vigilance maximale et de l’unité nationale. Il dénonce fortement les positions de la France Insoumise (LFI) et de Jean-Luc Mélenchon qui sont « sortis de l’arc républicain » : ce sont, dit-il « les idiots utiles de l’islamisme » et, en plus, « les idiots utiles de l’extrême droite RN ». Il réaffirme son soutien à Israël, son « droit à se défendre » contre l’organisation terroriste Hamas et, avant l’opération militaire terrestre de Tsahal présentée comme imminente, nous déclare : « il faudra être fort et continuer de soutenir Israël dans ces moments d’épreuves supplémentaires ».

Le Crif : Vous avez été Premier ministre et Ministre de l’Intérieur, pouvez-vous nous préciser ce que représente en gravité le niveau maximum de « Sentinelle », nommé « Alerte-attentat » ?

Manuel Valls : La France est face à une menace constante, depuis au moins 2012 avec les attentats perpétrés à Toulouse et Montauban. Certains pourraient croire que l’islamisme agit de manière intermittente. Or, il est toujours en action, à bas bruit parfois, dans les prisons, sur les réseaux sociaux, dans certains quartiers, certaines mosquées, il s’infiltre dans des cellules familiales. Il peut frapper à tout instant, par des groupes organisés comme le 13 novembre 2015 (au Bataclan) ou quand il est demandé à des éléments fanatisés djihadistes de frapper à n’importe quel moment, avec une arme, un simple couteau ou une voiture, un camion, comme cela a été tragiquement le cas à Nice le 14 juillet 2016.

Cette menace est devant nous. J’avais dit devant des lycéens, peu de temps après les attentats de Charlie Hedbo et de l’Hyper Cacher, que leur génération allait devoir vivre avec cette menace, qui est une menace mondiale, par la puissance des réseaux des « Frères musulmans » et salafistes en Europe. Leur objectif d’ailleurs c’est l’Europe, où ils cherchent à embrigader les communautés musulmanes, les prendre en quelque sorte en otage pour les soumettre à leur cause fanatique et meurtrière. Dans un contexte international aussi abrasif que celui que nous connaissons depuis quelques jours au Proche-Orient, depuis le 7 octobre et l’attaque terroriste du Hamas contre Israël, les passages à l’acte en Europe sont possibles, il a été malheureusement effectif en France, avec l’attaque dans l’école d’Arras qui a tué le professeur, Dominique Bernard.

 

 

« Il faut rappeler que la police, les services de renseignements déjouent beaucoup d’attentats terroristes et que le "risque zéro" n’existe pas, nulle part,
mais que naturellement tout est fait pour empêcher ces actes »

 

 

Pour cela, la vigilance s’impose, les services de renseignements, intérieurs et extérieurs, les forces de sécurité dont l’armée sont mobilisées pour protéger les écoles, les sites cultuels et culturels de la communauté juive notamment, pour protéger bien-sûr l’ensemble des Français. Nous vivons malheureusement et durablement avec cette menace d’un Islam politique, d’un islamisme qui nous mène une guerre.

 

 

Le Crif : Avec les épreuves terroristes vécues par les Français depuis une bonne dizaine d’années, pensez-vous que nos concitoyens ont acquis une forme de résilience, ont-ils gagné en perception des menaces et en matière de responsabilité civique à avoir en ces périodes de menaces dans laquelle nous sommes à nouveau ?

Manuel Valls : Pour la première fois depuis longtemps – la guerre d’Algérie, a fortiori la Seconde Guerre mondiale – nous avons connu un nombre très élevé de victimes en France, plusieurs centaines de morts, de blessés, de familles endeuillées. Oui, je crois en la capacité du peuple français à surmonter ces épreuves, ils attendent naturellement des autorités de la fermeté et des moyens pour lutter contre le terrorisme, le gouvernement et les responsables politiques doivent faire preuve de pédagogie, il faut rappeler que la police, les services de renseignements déjouent beaucoup d’attentats terroristes et que le « risque zéro » n’existe malheureusement pas, nulle part, mais que naturellement tout est fait pour empêcher ces actes.

Il faut lutter, comme la loi contre le séparatisme le prévoit, continuer de mettre en œuvre toute une série de mesures comme la loi l’autorise en matière de renseignements et de lutte contre le terrorisme (avec les lois de 2012, de 2014, de 2015 notamment). Cela doit se poursuivre et s’amplifier, cela appelle aussi la mobilisation de tous les Français, qui demandent dans leur très grande majorité l’unité des responsables politiques dans cette bataille. Notamment pour une partie de la gauche, ce n'est malheureusement pas le cas…

 

 

« Les dirigeants de LFI sortent, de fait, de l’arc républicain, ils jouent un rôle très dangereux car en France comme ailleurs en Europe,
notamment à cause de mouvements de gauche radicale, le Hamas bénéficie d’une certaine audience »

 

 

Le Crif : Oui, on constate d’un côté, à LFI notamment, un sidérant déni de réalité, le refus de nommer et dénoncer le caractère terroriste du Hamas qui a frappé Israël avec sauvagerie et à une échelle sans précédent ; et d’un autre côté, la tentative d’exploitation cynique des peurs par l’extrême droite, qui développe des polémiques le jour même où un professeur a été tué, comme à chaque épisode tragique traversé par le pays. Comment faire unité en France, pourquoi n’est-il pas possible de faire ce que la démocratie israélienne réussit à faire (pour quelques mois au moins) : faire bloc quand le terrorisme frappe ?

Manuel Valls : Je garde un souvenir d’unité, après les attentats de Charlie Hebdo et d’Hyper Cacher en 2015, l’énorme manifestation républicaine du 11 janvier, l’accueil à mon discours ensuite à l’Assemblée nationale. Cet esprit « Nous sommes Charlie » reste présent, très majoritairement dans le peuple rançais.

Il ne reste pas moins qu’une certaine gauche, de la « France Insoumise », qui représente une audience et des scores électoraux élevés, casse cette unité nationale et républicaine à des fins électorales, en refusant en effet de nommer ce qu’est le Hamas, une organisation terroriste, porteuse d’une idéologie totalitaire, antisémite. Les dirigeants de LFI sortent, de fait, de l’arc républicain, ils jouent un rôle très dangereux, car en France comme ailleurs en Europe, notamment à cause de certains mouvements de gauche radicale, le Hamas bénéficie d’une certaine audience sur fond d’antisionisme, de fanatisme, de haine de l’Occident et de la France, patrie des libertés et de la Laïcité.

Il faut donc être très attentif, dans un pays fracturé, qui a traversé par ailleurs plusieurs crises ces derniers mois, les émeutes urbaines de juin-juillet dernier ont aussi mis en lumière des délinquances graves, des réseaux criminels, de trafics de drogue notamment, qui peuvent parfois être imbriqués avec des réseaux islamistes. Nous sommes en France dans une situation périlleuse, qui nécessiterait beaucoup plus de hauteurs de vue et de sens des responsabilités.

LFI et Jean-Luc Mélenchon sont à la fois les idiots utiles de l’islamisme mais aussi de l’extrême droite. C’est ce qu’ils souhaitent : par le chaos, le soulèvement, ils favorisent une demande d’ordre, bien-sûr naturelle pour notre pays mais sur laquelle l’extrême droite RN peut surfer. Nous sommes vraiment dans un moment d’une grande tension en France, c’est pour cela que le sens des responsabilités et le sens de la République sont indispensables.

 

 

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« Cette guerre n’est pas une guerre entre Israéliens et Palestiniens mais une guerre entre une démocratie et le terrorisme. C’est pour cela aussi que cette guerre nous concerne. »

 

 

Le Crif : En Israël, au moment de la mobilisation des réservistes de l’armée, Tsahal, et à l’approche [au moment de cet entretien] de ce qui est annoncé comme une opération terrestre imminente de Tsahal à Gaza, on voit que le Hamas essaie d’assimiler son djihadisme à la cause palestinienne alors qu’on peut constater que sa stratégie tend à prendre en otages la cause et le peuple palestinien de Gaza. Êtes-vous optimiste ou non d’une part de la capacité d’éclairer l’opinion française sur cette stratégie du Hamas et sur la capacité aussi de distinguer, dans l’opération militaire, les cibles du Hamas et les populations civiles ?

Manuel Valls : C’est une question fondamentale. Je ne suis pas forcément optimiste sur la bataille de l’opinion mais il faut la mener, non seulement dans notre pays mais au niveau global. Je l’ai fait à mon niveau, le Président de la République aussi avec des mots forts, rappelant que cette guerre n’est pas une guerre entre Israéliens et Palestiniens mais une guerre entre une démocratie et le terrorisme. C’est pour cela aussi que cette guerre nous concerne. Parce que nous avons été touchés par l’islamisme et le djihadisme, et parce que, il y a une semaine en Israël nous avons des compatriotes qui ont été sauvagement tués, blessés et, pour certains, pris en otages.

Il faut le rappeler sans cesse. Israël a le droit et même le devoir de se défendre, d’essayer d’en finir avec le Hamas, de viser à détruire son appareil terroriste, de tenter bien sûr aussi de récupérer des otages. Cette bataille sera difficile dans une bande qui compte plus de deux millions d’habitants, pris en otages par une organisation qui, depuis des années, les terrorise, poursuit les homosexuels, discrimine violemment les femmes, qui a éliminé, après les avoir torturé, des milliers de responsables de l’ex-OLP, le Fatah, une organisation, le Hamas qui, dans sa charte, projette la destruction d’Israël, qui ne veut donc pas la paix mais lance la guerre, qui veut aussi éviter tout rapprochement d’Israël avec les pays arabes, notamment du monde sunnite, une organisation qui cherche à régionaliser le conflit, avec en particulier le soutien de l’Iran et du Hezbollah.

Nous sommes dans une période très tendue, une guerre ce n’est jamais facile, une intervention militaire est toujours d’une grande complexité et il risque d’y avoir encore beaucoup de victimes, d’autant que le Hamas refuse tout couloir humanitaire pour pouvoir précisément maintenir sa diabolique méthode des boucliers humains. Donc, il faudra être fort, déterminé, et continuer de soutenir Israël dans ces moments d’épreuves supplémentaires face à une opinion ou certains médias qui peuvent évoluer dans les jours ou semaines qui viennent.

 

 

« Quand on attaque les Juifs de France, on attaque la France, ses valeurs, ses institutions, en l’occurrence (vendredi) l’école, la liberté de conscience, l’esprit critique, la Laïcité, tout ce qui fait la République Française »

 

 

 

Le Crif : Vous rendant en Israël dans le cadre d’une délégation de parlementaires français, quel message adressez-vous à Israël, à son peuple, aux compatriotes français vivant là-bas et à la communauté juive de France aussi ?

Manuel Valls : C’est un message de soutien et d’amitié dans l’épreuve. Nous allons rencontrer les familles de nos compatriotes français et d’Israéliens qui ont été frappé le 7 octobre par ces actes barbares, d’une violence et sauvagerie inouïe. On ne peut imaginer la souffrance de tous ceux et de toutes celles qui ont vu cela, qui ont perdu des proches, des parents, des enfants, des frères ou des sœurs, ou qui ont vu des proches être pris en otages par le Hamas. Il s’agit d’apporter un soutien à ces familles, d’analyser la situation aussi, au plus près.

C’est la première délégation de parlementaires français qui se rend en Israël, depuis l’attaque terroriste du Hamas, le lien que nous avons entre nos deux pays la rend nécessaire et importante, bien-sûr, dans ce contexte. Moi qui connais bien Israël, je suis fier de m’y rendre, en cette période si difficile pour l’État hébreu.

À mes compatriotes Français juifs, je veux leur dire plus que jamais qu’on les soutient, qu’on est solidaire d’eux et qu’on a besoin d’eux. Mais mon message va bien au-delà. Car l’assassinat d’un enseignant à Arras comme celui de Samuel Paty il y a trois ans, démontre d’une manière générale que quand on attaque les Juifs de France, on attaque la France, ses valeurs, ses institutions, en l’occurrence l’École de la République, la liberté de conscience, l’esprit critique, la Laïcité, tout un ensemble qui fait la République et la France, un ensemble de choses que ne supportent pas le fanatisme islamiste. Pour conclure, je reviens sur une expression de votre question : oui, il faut « faire bloc » pour défendre une civilisation, qui est celle de la démocratie, de la culture de Liberté, et cette culture de la démocratie et de la Liberté, Français et Israéliens la partagent.

 

Propos recueillis par Jean-Philippe Moinet 

 

- Les opinions exprimées dans les entretiens n'engagent que leurs auteurs -