Jean Pierre Allali

Jean-Pierre Allali

Lectures de Jean-Pierre Allali - Le Paris de Georges Perec - La ville mode d'emploi, par Denis Cosnard

01 February 2023 | 149 vue(s)
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Opinion

À l’heure de la réconciliation Jérusalem-Ankara, retour sur l’histoire des Juifs de Turquie.

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Le Paris de Georges Perec - La ville mode d'emploi, par Denis Cosnard (*)

 

C’est un magnifique ouvrage très agréablement illustré que nous offre Denis Cosnard. Tout ce que vous vouliez savoir sur Perec sans avoir jamais osé le demandé. Et même encore plus.

Il y a quarante ans, déjà, que Georges Perec nous a quittés, en pleine force de l'âge, vaincu par la maladie. Malgré le temps qui passe, il demeure, dans la mémoire populaire, comme celui qui a été un véritable magicien des mots, un dompteur de la langue, un acrobate, un funambule, qui fut, en son temps, capable d'écrire un roman lipogrammatique de trois cents pages dans lequel ne figurait aucune fois la lettre « e », La disparition. Cet amoureux fou de la langue française, dont les mots croisés ont été parmi les plus recherchés, était, on ne le sait pas toujours, un Juif d'origine polonaise, profondément marqué par la tragédie de la Shoah.

 

C'est à Paris, le 7 mars 1936, que naquît Georges Perec. Il aurait pu naître en Pologne, mais l'Histoire en décida autrement. C'est à Varsovie, en effet, que vivaient ses grands-parents paternels, David et Rozja Peretz. Le quotidien n'était pas facile alors, pour les Juifs en Pologne. Pour  assurer une vie plus tranquille à leurs enfants, David et Rozja décidèrent d'envoyer deux d'entre eux, Esther et Icek Judko à Paris. Quant au troisième, Eliezer, on le dirigea vers la Palestine.

Toujours à Varsovie, une autre famille juive, les Shulevitz, Aaron et Laja, sept enfants dont la jolie Cyrla qui rêvait de la Ville Lumière et de sa Tour Eiffel. Poussés par les pogromes, les Shulevitz gagneront Paris où Cyrla, à l'âge de vingt ans, se retrouva coiffeuse dans le 20ème arrondissement de la capitale.

Et c'est ainsi qu'Icek devenu André et Cyrla désormais prénommée Cécile, se rencontrèrent, s'aimèrent et se marièrent, le 30 août 1934 avant de s'installer, rue Vilin, dans le 20ème arrondissement justement, où ils ouvrirent un salon de coiffure. Une erreur de transcription de leur patronyme par un officier d'état civil fait que Peretz devient Perec, transformant en apparence des Juifs polonais en Bretons de souche.

Le petit Georges naît en 1936. Sa sœur, Irène, née deux ans plus tard, ne vivra que quelques jours.

« Quand je suis né, [écrira Perec] Hitler était déjà au pouvoir et il y avait déjà des camps ». Georges n'a que quatre ans lorsque son père, engagé au 12ème régiment étranger d'infanterie, meurt à Nogent-sur-Seine, victime d'un obus perdu, le 16 juin 1940, jour même de la signature de l'Armistice. Veuve de guerre à 27 ans, Cécile Perec ferme son salon et devient ouvrière dans une usine d'horlogerie. Georges, lui, est placé en nourrice.

1942. C'est le temps de l'Occupation, de la haine des Juifs et de la Shoah. Cécile, comme tous les Juifs de France, est astreinte à porter l'étoile jaune. Prudente, elle préfère mettre le petit Georges à l'abri. Le voilà à Villard-de-Lans, dans un établissement géré par la Croix Rouge. Le jeune Juif d'origine polonaise est désormais un montagnard qui partage son temps entre les moissons et la pratique du ski.

Le 23 janvier 1943, c'est le drame. Prise dans une rafle, Cécile Perec, après avoir été internée à Drancy, est déportée à Auschwitz où elle est assassinée.

Malgré la catastrophe, la vie reprend peu à peu son cours. Après des études secondaires à Paris et à Étampes, Georges Perec entre à l'École Normale Supérieure avant d'effectuer son service militaire dans les parachutistes. Par la suite, il vivra de « petits boulots », notamment comme documentaliste en physiologie du système nerveux central au CNRS. Mais, très vite, la vocation littéraire s'impose. Il bâtit peu à peu une œuvre dans laquelle la disparition tragique de sa mère après celle, absurde, de son père, occupent une place importante. Lorsqu'il publie, en 1969, La disparition, c'est à la disparition de sa mère qu'il dédie son exploit linguistique. Très peu de critiques littéraires en ont alors conscience. Plus tard, en 1972, sortiront Les revenentes, c'est-à-dire, par le retour du « e » précédemment disparu, le retour des camps des rescapés de la mort. Enfin, dans W ou le souvenir d'enfance, W représente Auschwitz, symbole du Mal absolu.

Perec a épousé le 22 octobre 1960, à la mairie du 5ème arrondissement de Paris, Paulette Pétras. Un mariage très discret auquel les familles n’ont pas été conviées ! Le couple ira vivre à Sfax en Tunisie mais leur séjour ne sera pas aussi agréable qu’ils l’avaient espéré et, en 1961, après la crise de Bizerte, les Perec regagneront la France. Sur sa table de travail, Perec gardera longtemps, cependant, un cendrier en forme de main de Fatma, symbole très tunisien. Les Perec avaient une attirance pour les chats. Duchat, celui de Paulette et ses quatre chatons, Délo, celui de Georges. Georges et Paulette se sépareront par la suite.

La gloire va venir avec l'attribution, en 1965 du Prix Renaudot pour son roman Les choses. Perec devient l'un des grands noms de la littérature française contemporaine et rejoint le groupe des spécialistes de la littérature dite « potentielle ». Espèces d'espaces et La vie, mode d'emploi appartiennent à cette veine. Sans oublier ses nombreux films et ses centaines de mots croisés.

Un cancer a emporté Georges Perec le 3 mars 1982. Il allait avoir 46 ans. Denis Cosnard nous apprend qu’il avait fait un jour une tentative de suicide.

Ce bel ouvrage fourmille d’anecdotes peu connues : sa passion pour sa ville natale, sa scolarité difficile, ses études heurtées, ses Lieux ou Soli Loci et ses petits bistros dont La Petite Source que fréquentaient autrefois François Mitterrand et les Volontaires nationaux, le mouvement de jeunes du colonel de La Roque, auquel le futur président de la République avait alors adhéré, son amour du cinéma, son goût pour le jeu de flipper, le jeu de Go et les puzzles, les innombrables petits boulots qu’il dut accomplir pour ne pas mourir de faim, sa prise en main par des psychanalystes comme Françoise Dolto dans son enfance et, plus tard par Michel de M’Uzan et Jean-Bertrand Lefèvre-Pontalis, son amitié avec de nombreux Tunisiens dont le futur Premier ministre Mohamed Mzali, le cinéaste Nourredine Mechri, l’écrivain Abdelkader Zghal et Amor Fezzani, son grand intérêt pour le général napoléonien, Jean-Baptiste Eblé. Ou encore sa relation amoureuse avec Marceline Loridan, rescapée des camps de la mort. On découvre qu’en 1971, Perec avait mis sous enveloppe la liste de toutes ses conquêtes féminines. Il eut notamment, une relation amoureuse avec Suzanne Lipinski en 1968 dont il se séparera en 1971. Sa dernière compagne fut Catherine Binet.

Ethnologue urbain, membre éminent de l’Oulipo de Raymond Queneau, Georges Perec assistera en 15 ans à 64 réunions de l’Ouvroir de Littérature Potentielle de Raymond Queneau.

Juif mais peu attiré par la religion, Georges Perec aura attendu le 2 février 1980 pour se rendre pour la première fois dans une synagogue, celle de la rue Pavée dans le quartier du Marais à Saint-Paul. Il assiste à la bar-mitsvah du fils aîné du réalisateur Robert Bober. Le voilà avec une kippa et un talith. Il se confie à des amis : « Je ne sais pas très précisément ce que ça me fait d’être Juif. Ce n’est pas lié à une croyance. Ce serait plutôt un silence, une absence, une question, une mise en question, un flottement, une inquiétude : une certitude inquiète, derrière laquelle se profile une autre certitude, abstraite, lourde, insupportable : celle d’avoir été désigné comme Juif et parce que Juif, victime, et de ne devoir la vie qu’au hasard et qu’à l’exil ».

Le 13 juin 1994, Didier Bariani, alors Maire du 20ème arrondissement de Paris, a inauguré une rue Georges Perec. Un hommage bien mérité.

Un livre tout simplement magnifique.

 

Jean-Pierre Allali

 

(*) Éditions Parigramme, Septembre 2022, 128 pages grand format, 19,90 €.