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Published on 21 July 2022

Crif/Vel d'Hiv - Discours de Pierre-François Veil, Président du comité français pour Yad Vashem, à la cérémonie d'hommage

La cérémonie nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites et d'hommage aux Justes de France, commémorant la rafle du Vel d’Hiv, a eu lieu dimanche 17 juillet 2022, en présence de Madame la Première ministre, Elisabeth Borne. Nous vous proposons de (re)découvrir le discours prononcé par Pierre-François Veil, Président du comité français pour Yad Vashem.

Discours de Pierre-François Veil, Président du comité français pour Yad Vashem, à la cérémonie d'hommage

"Madame la Première Ministre,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Madame le Maire,
Mesdames et Messieurs les élus,
Madame et Messieurs. les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs,

L’histoire est tragique ! Où, mieux qu’ici, s’en souvenir !

Il y a 80 ans, jour pour jour, cette terrible rafle organisée à Paris et sa banlieue, et mise en œuvre par la police française sous les ordres directs du sinistre Bousquet, allait ramener dans ses filets, comme du bétail à conduire à l’abattoir, 3118 hommes, 5119 femmes et 4115 enfants, pour la plupart tous français parce que tout simplement nés sur le territoire national, pourtant coupables, déjà si jeunes, du seul crime d’être juifs, au mauvais moment, au mauvais endroit.

Mais y avait-il alors, en Europe, la terre de Goethe et de Voltaire, devenue celle des autodafés et des chambres à gaz, un bon endroit où être juif ?

Et, comment considérer sérieusement qu’ils partaient pour des camps de travail alors qu’on embarquait indifféremment les enfants, les invalides, les vieillards.

Dans les six semaines suivantes, plus de 20.000 personnes, hommes, femmes et enfants seront encore arrêtés pour être ensuite déportés jusqu’au 30 septembre ; arrêtés en particulier en zone-sud, dite libre, jusqu’à l’intervention publique des autorités religieuses, et notamment la fameuse lettre pastorale de Monseigneur Saliège, archevêque de Toulouse, lue, le dimanche 23 août 1942, dans toutes les églises du sud-ouest.

Paradoxe sordide, pendant tout ce mois d’août 1942, les enfants sont l’objet d’un affreux marchandage : administratif : cependant que les nazis refusent de les déportés, non par humanité, bien sûr, mais simplement parce que les installations de mise à mort de Birkenau ne sont pas terminées, les autorités françaises, Laval et Bousquet en tête, elles, insistent pour ne pas séparer les familles, pas plus par humanité, mais simplement pour gonfler les statistiques des déportés et atteindre au plus vite les quotas exigés par l’occupant ; peut-être aussi pour éviter de se retrouver avec tant d’enfants abandonnés si jeunes à prendre en charge.

Ainsi, les deux tiers des victimes, ont été déportés en six à sept semaines.

Et à la fin de 1942, en à peine 6 mois, comme le rappelle Serge Karsfeld, sans relâche, pour que l’on n’oublie jamais, 42.000 juifs ont été déportés de France, près des deux tiers de la totalité des déportés de France.

Ensuite, grâce aux nombreux réseaux d’entraide juifs et non juifs, et à la réaction de ce que l’on n’appelait pas encore la société civile, les 3/4 de la population juive de France seront sauvés.

Ainsi, oui, c’est tristement vrai, en dépit des tentations révisionnistes de certains, ce jour-là, « La France, patrie des lumières et des droits de l’homme, terre d’accueil et d’asile, la France, ce jour-là, accomplissait l’irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leur bourreaux ».

Il aura donc fallu plus de 50 ans pour entendre du Président Jacques Chirac, ces magnifiques paroles tant attendues, qui ont réconcilié notre pays avec un passé qui ne passait pas, comme une insulte non seulement aux victimes, mais aussi aux nombreux français, reconnus ou restés anonymes, qui, tournant le dos à cette politique officielle d’abandon puis de collaboration, souvent au péril de leur vie, parfois même de celle des leurs, avaient sauvés des juifs de la déportation, de l’enfer, et en définitive de la mort.

En manifestant ces valeurs de compassion, de solidarité et de fraternité, ils ont préservé l’âme et l’honneur de notre nation.

Pour les proscrits, et plus généralement pour l’humanité qui vacillait, ils ont été une lueur dans les ténèbres.

Reconnus, ils ont reçu de l’état d’Israël, le titre de « Juste parmi les Nations ».

A ce titre, je m’honore, au nom du Comité français de Yad Vashem, d’instruire encore chaque année, plusieurs dizaines de dossiers de nouvelles demandes qui continuent de nous parvenir et que le Mémorial de Yad Vashem, à Jérusalem, honore ensuite, à l’issue d’une délibération de son conseil présidé par un membre de la Cour suprême, du titre de « Juste parmi les Nations », la plus haute distinction civile de l’Etat.

Mais désormais, les derniers témoins disparaissent, les grandes voix s’éteignent, et dans le même temps, comment ne pas s’inquiéter.

Après 70 ans de paix, la guerre est revenue en Europe, comme une malédiction ancestrale ; à moins de deux heures d’avion, sur notre continent à nouveau rongé par ses vieux démons du nationalisme, de l’extrémisme, du populisme, de la peur et de la haine de l’autre.

Souvenons-nous des messages d’espoir et d’humanité de Primo Levy ou d ‘Elie Wiesel, leur témoignage nous rappelle combien la vie est fragile et qu’il faut toujours la préserver.

Plus que jamais, le Monde, notre Europe, celle de la civilisation et des lumières, a besoin d’honorer et d’affirmer ses valeurs de tolérance, de fraternité, d’humanisme et de paix.

Nous sommes tous comptables du monde que nous laisserons à nos enfants.

C’est en nous tenant fidèles à nos valeurs démocratiques mais respectueux de nos différences, intraitables contre l’intolérance, la haine et la violence que nous resterons, sans trahir leur mémoire, fidèles aux victimes et dignes des Justes parmi les Nations.

Je vous remercie."

Pierre-François Veil, Président du Comité français pour Yad Vashem