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Published on 7 January 2022

France - "L’antisémitisme est obsessionnel, intemporel et universel"

Les antisémites ne considèrent pas les juifs comme des êtres inférieurs à dominer ou à « civiliser », mais comme des ennemis de l’intérieur qui corrodent la société, explique l’historien Emmanuel Debono, dans un entretien au « Monde ».

Publié le 7 janvier dans Le Monde

L’historien Emmanuel Debono est l’auteur d’Aux origines de l’antiracisme. La LICA, 1927-1940 (CNRS Éditions, 2012) et de Racisme dans le prétoire. Antisémitisme, racisme et xénophobie devant la justice (PUF, 2019). Il est rédacteur en chef du DDV. Le Droit de vivre, la revue de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra).

L’antisémitisme est-il un racisme comme les autres ?

L’antisémitisme repose sur un processus d’essentialisation commun à toutes les formes de racisme : ce mécanisme consiste à réduire un individu à une « origine », à une appartenance présumée à une « race », une « ethnie » ou une religion. L’antisémitisme produit, en outre, les mêmes effets que le racisme : mépris, discrimination, exclusion, violences. A ce titre, il n’y a pas de hiérarchie à établir entre ces formes de haine, raison pour laquelle le combat antiraciste ne peut être qu’universaliste. L’absence de hiérarchie ne veut toutefois pas dire qu’il n’y ait pas des différences à établir entre des phénomènes qui ont des dynamiques propres.

Quelle est, à vos yeux, la singularité de l’antisémitisme ?

Chaque racisme a son histoire, mais celle de l’antisémitisme est très singulière : ce système de croyances millénaires qui a débouché sur des persécutions, des pogroms et un génocide est à la fois obsessionnel, intemporel et universel. Il diffère des racismes d’infériorisation qui ont inspiré les conquêtes, la colonisation, l’asservissement et les massacres : aux yeux des antisémites, les juifs ne sont pas des êtres inférieurs à dominer ou à « civiliser », mais une force obscure, des ennemis de l’intérieur qui corrodent la société, haïssent le genre humain et cherchent à dominer le monde.

La question du complot est consubstantielle à l’antisémitisme. Elle s’applique en toutes circonstances et à tout propos : pour un antisémite, tout s’explique par le « juif » et tout ramène au « juif ». Ce fantasme de l’omniprésence et de la puissance juives défie la rationalité, car il fonctionne même en l’absence des juifs. L’antisémitisme est une passion difficile, sinon impossible, à éteindre.