Richard Prasquier

Ancien Président du CRIF

Blog du Crif - De l’instrumentalisation des réfugiés

18 November 2021 | 100 vue(s)
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Le 10 janvier 2023, Yonathan Arfi, Président du Crif, s'est rendu à la cérémonie en hommage aux victimes de la rafle de Libourne du 10 janvier 1944. Il a prononcé un discours dans la cour de l'école Myriam Errera, arrêtée à Libourne et déportée sans retour à Auschwitz-Birkeneau, en présence notamment de Josette Mélinon, rescapée et cousine de Myriam Errera.  
 

La 12ème Convention nationale du Crif a eu lieu hier, dimanche 4 décembre, à la Maison de la Chimie. Les nombreux ateliers, tables-rondes et conférences de la journée se sont articulés autour du thème "La France dans tous ses états". Aujourd'hui, découvrez un des temps forts de la plénière de clôture : le discours de Yonathan Arfi, Président du Crif.

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La « crise des réfugiés » à la frontière entre Pologne et Biélorussie focalise l’attention des médias malgré la rareté des documents du fait de l’état d’urgence décrété par le gouvernement polonais qui sait qu’une image dramatique suffit à changer la donne psychologique et politique.

La question des réfugiés, ou plus généralement des migrants, est omniprésente dans le débat en France, et pas seulement chez Eric Zemmour. Celui-ci, comme d’habitude, a distordu la réalité en insultant François Hollande pour avoir soi-disant criminellement laissé les terroristes entrer en France, alors que les assassins du Bataclan étaient de nationalité belge ou française.

Ce qui est d’ailleurs le problème…

Ma chronique de la semaine dernière portait sur la Nuit de Cristal, après laquelle les Juifs allemands ont cherché refuge dans des démocraties qui leur fermaient la porte.

Le prétexte au pogrom avait été le meurtre d’un diplomate. L’auteur était un Juif né en Allemagne, mais considéré comme étranger dans ce pays où le droit du sang primait sur le droit du sol. Ses parents venaient d’être expulsés vers la Pologne où ils étaient nés, mais celle-ci refusait de les recevoir. 15 000 Juifs croupissaient dans des conditions épouvantables dans un no man’s land à la frontière entre Allemagne et Pologne.

Comparaison n’est pas raison, mais l’analogie m’a interpellé.

Depuis plusieurs mois Loukachenko a orchestré, avec la complicité de compagnies touristiques et aériennes, une arnaque qui a soutiré plusieurs milliers d’euros à des irakiens ou syriens à qui on a fait croire que atterrir à Minsk permettait d’aller en Allemagne, leur rêve.

Que voulait le dictateur biélorusse ? Son mobile n’était pas que financier. Espérait-il que, si elle les rejetait, l’Europe dévoilerait sa férocité et son hypocrisie  par rapport aux règles humanitaires dont elle se targue ? Ou si elle les acceptait, qu’il s’enclencherait une réaction d’extrême-droite, avec laquelle les régimes dictatoriaux sont toujours plus à l’aise?

Ou voulait-il seulement se venger d’une Europe qui le traite en paria, lui qui ne cherche qu’à continuer paisiblement de truquer des élections, pourchasser et enlever les opposants pour poursuivre une dictature qui dure depuis un quart de siècle ?

Loukachenko joue pour Poutine le même rôle que le dictateur coréen pour la Chine. Quand le vassal devient un chien fou, on se tourne vers le suzerain pour qu’il remette de l’ordre. Mais celui-ci ne le fait pas sans contre-partie….

L’enjeu à long terme, c’est le démantèlement de l’Europe. A court terme, c’est le gaz, non pas le gazoduc qui traverse la Biélorussie, mais Nord Stream 2 qui passe sous la Baltique et qui doit être mis en service prochainement. Les Américains redoutent qu’il accroisse la dépendance de l’Europe par rapport à la Russie et qu’il déstabilise l’Ukraine où passe un ancien gazoduc. Pour Poutine, qui manipule déjà les prix du gaz, les gesticulations de Loukachenko permettent de montrer qui est le véritable maitre du jeu, notamment à la future coalition gouvernementale allemande où les Verts sont des opposants au gaz sous la Baltique.

Quatre mille réfugiés auxquels font face quinze mille soldats polonais mettent l’Europe en émoi, alors qu’elle en a laissé entrer un million après la photo de l’enfant syrien noyé sur le rivage turc.

On est choqué devant l’exploitation cynique de la misère des réfugiés, mais Loukachenko n’est qu’un pion dans la guerre hybride menée contre les démocraties occidentales par les stratèges chinois et russe, sans parler des turcs et des iraniens. Dans ce monde des autocrates, ce qui compte est la capacité de nuisance.

Le dictateur biélorusse n’est même pas un précurseur. C’est Kadhafi et Erdogan qui ont ouvert et fermé le robinet des migrants  dans l’espace Schengen.

Et auparavant, c’est l’instrumentalisation des réfugiés palestiniens qui est le modèle de transformation de réfugiés en armes de guerre. Les états voisins, qui se proclamaient leurs frères, auraient pu les intégrer comme ce fut fait pour des dizaines de millions de réfugiés dans le monde. Au lieu de cela, ils les ont gavés de mythes, de rêves et de violence.

L’Europe n’en a pas fini avec les réfugiés. Moi qui fus un réfugié pendant les quinze premières années de ma vie, j’ai appris que ce qui compte, ce n’est pas tant ce qui se passe à la frontière, que la transformation du migrant en vrai citoyen. En France aujourd’hui, il y a beaucoup, beaucoup à faire…

 

Richard Prasquier