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Published on 2 November 2021

France - Au procès du meurtre de Mireille Knoll, le souvenir d’une "femme rayonnante"

Au troisième jour du procès des deux accusés du meurtre de l’octogénaire, la cour a retracé le parcours de vie d’une femme bienveillante, à l’immense joie de vivre.

Publié le 28 octobre dans Le Point

Il n’y a pas assez de qualificatifs pour décrire la bonté de Mireille Knoll. Elle était « joviale », « généreuse », « bienveillante », « rayonnante », « curieuse », « douce », « attachante ». Jeudi, au troisième jour du procès des deux hommes qui sont accusés de l’avoir tuée, avec la circonstance aggravante de l’antisémitisme, une enquêtrice de personnalité est venue à la barre dresser son portrait posthume.

Et dans l’enceinte de la cour d’assises se sont un instant envolées les terribles images de son corps meurtri par les coups de couteau et les flammes qui ont brûlé sa peau. Son visage est apparu souriant sur les photos en noir et blanc projetées à l’écran. Les photos des jours heureux, entourée des siens, qu’elle aimait tant. Mireille Knoll est née Kerbel le 28 décembre 1932 à Paris. Elle a vécu les dix premières années de sa vie dans un foyer « chaleureux », « rempli d’amour » et de « bonne cuisine ». Son père était son héros.

À cette époque, la petite Mireille fréquente l’école communale et n’a pas vraiment conscience de ce qui viendra bientôt bouleverser son existence : elle est juive. Ses parents, qui ont tous les deux fui les pogroms de l’Europe de l’Est, ont élu domicile à Paris, où ils se sont rencontrés. Mais, en 1941, Mireille est brusquement arrachée à l’écrin de tendresse qui l’enserrait. Cela fait déjà un an que son père est parti pour le sud de la France quand survient la rafle du Vélodrome d’Hiver. Ce 16 juillet 1942, sa mère et elle parviennent à quitter Paris pour rejoindre le Sud à leur tour.

De cette époque Mireille Knoll parle peu. Elle préfère raconter les souvenirs heureux. La famille passera quelques années au Canada, avant de rentrer en France en 1947 pour retrouver leur appartement du Marais. C’est ici qu’elle vivra jusqu’à son mariage. Elle a 18 ans, porte une épaisse robe de taffetas blanc et vient d’épouser Kurt, de 10 ans son aîné. Kurt est un rescapé d’Auschwitz, où il a passé trois ans, entre 1942 et 1945. « La joie de vivre de maman ne pouvait que séduire cet homme revenu de l’enfer », dira plus tard Daniel Knoll, le cadet de ses fils.

« Mireille Knoll était une femme toujours tournée vers les autres »

De leur union naissent en effet deux enfants, Alain, en 1952, puis Daniel, en 1956. Le couple retournera quelques années au Canada, avant de définitivement rentrer à Paris. Mireille Knoll gardera un attachement au judaïsme, célébrant les fêtes bien qu’elle ne fût pas pratiquante. Ils s’installent au 10 puis au 30 de la rue Philippe-Auguste, dans le 11e arrondissement, où Mireille Knoll vivra pendant presque soixante ans, avant d’y être violemment tuée. Kurt est représentant de commerce dans le vin et retourne souvent en Allemagne, dont il est originaire. Il finira par s’y établir.

Le couple se sépare, mais ils garderont toujours une grande affection l’un pour l’autre. Mireille Knoll ne renonce pas à sa vie de femme, tombe amoureuse d’un Australien et part même le rejoindre pendant un an. « Vous vous rendez compte, c’est formidable », glisse doucement son fils à la barre. À 75 ans, elle rencontrera David lors d’un voyage à Venise organisé par la Mairie de Paris. Lui aussi est rescapé des camps de la mort. Ensemble, ils vivent une belle histoire, jusqu’à ce qu’il soit emporté, en 2017. Sa mort l’a beaucoup affectée.

Dans l’immeuble du 30 rue Philippe-Auguste, Mireille Knoll est connue de tous. Un jour, ses voisins lui ont même organisé une fête, car elle était la plus ancienne occupante des lieux. « Elle était un peu la mamie de tout le monde », dira l’un d’eux. Parmi les 22 familles qui résident dans l’immeuble, il y a Zoulikha Khellaf, la mère de Yacine Mihoub, l’un des deux accusés. Son fils connaissait Mireille Knoll depuis ses 8 ans et lui rendait parfois de menus services contre un petit billet. Quand la sœur de Yacine est décédée, c’est Mireille Knoll qui s’est démenée pour organiser une collecte afin que son corps soit rapatrié en Algérie, selon le souhait de sa mère. « Mireille Knoll était une femme toujours tournée vers les autres », dit l’enquêtrice. « Une présence chaleureuse », lui ont confié ses proches. « C’était une grand-mère bienveillante, une femme très calme, toujours joyeuse et qui ne voyait le mal nulle part », confiera son petit-fils Alexandre.

Une femme « tout en douceur »

C’est aussi ce qu’est venue dire Renée, 85 ans, les cheveux aussi violets que sa veste en cuir. Renée, c’est l’amie de vingt ans. Ce jeudi, ce petit bout de femme dynamique s’est doucement approché de la barre pour venir témoigner. Elle se tient debout, sa canne accrochée par un lien à son poignet. Elle est « un peu dure de la feuille », mais irradie la salle d’audience. Et Renée de raconter Mireille, cette « bonne amie », « intéressante », « toujours rayonnante et bienveillante » et qui ne se méfiait de personne. « Alors, elle, tout le monde pouvait entrer chez elle, hein ! » s’exclame-t-elle. « Elle était même parfois un peu naïve », dira un de ses fils à l’enquêtrice.

Avec Renée, elles allaient se balader, au cinéma, mais ce qu’elles aimaient par-dessus tout, c’était « le restaurant », raconte-t-elle, se tournant vers les parties civiles pour leur lancer un petit sourire complice. Renée fait rire la salle aux éclats. On les imagine, ces deux petites mamies, à refaire le monde autour d’un verre de porto, l’alcool préféré de son amie. « Mireille était très coquette, tout le temps arrangée et bien habillée », souligne Renée. Soudain, sa voix se brise, comme si le souvenir l’avait brusquement envahie.

En 2013, c’est le début de la maladie de Parkinson et les accidents. Mireille Knoll se casse le col du fémur puis le fémur en quelques mois à peine. « Elle est plongée dans une dépendance qu’elle vivait mal », raconte l’enquêtrice. Mireille Knoll est désormais très limitée et ne se déplace qu’en déambulateur. « Cela crée chez elle une forme de solitude », ajoute l’enquêtrice. Une aide-soignante interrogée se souvient d’une femme « fragile et menue avec une voix très douce, comme celle d’une petite fille ».

Mais Mireille Knoll garde son esprit vif et toutes ses capacités mentales. Elle continue de se rendre deux fois par mois chez le coiffeur, de choisir soigneusement ses vêtements chaque matin et sollicite tout le temps du monde pour qu’on vienne la voir. Renée, elle, lui rend visite tous les vendredis. « Mireille était toujours assise dans le salon », se souvient-elle, sans se douter que ce détail a son importance. Le 23 mars 2018, le corps de Mireille Knoll sera retrouvé lardé de 11 coups de couteau et en partie calciné en travers de son lit. Or tous les proches sont formels : elle se rendait rarement dans sa chambre pendant la journée et ne pouvait pas se coucher seule. Tous s’accordent aussi sur le fait que Mireille Knoll ne disait jamais du mal de personne. « Une femme tout en douceur », avait déclaré son ancienne aide-soignante.

Renée dit aussi que Mireille Knoll ne se plaignait jamais, parle de sa grande pudeur. Elles n’ont, par exemple, jamais vraiment évoqué la guerre. « Je ne voulais pas être trop curieuse, alors je ne posais pas de questions. Elle a eu ses problèmes, j’ai eu les miens », dit simplement Renée. Son fils rappelle aussi que sa mère n’était pas bien riche, « 800 euros de revenu par mois, APL comprises ». « Mais c’était comme ça, et elle était heureuse. »

Lors de sa séparation avec Kurt, Mireille Knoll avait été contrainte de trouver un travail, la seule pension ne suffisant pas. Elle a ainsi travaillé quelques années en tant qu'« aide aux personnes ». « Toute sa vie, elle n’a fait que du bien autour d’elle », dit son fils. Le soir des faits, c’est une cousine de Mireille Knoll qui l’a appelé pour lui dire qu’il y avait le feu chez sa mère. « J’ai ensuite eu un pompier qui m’a dit : “Venez, Monsieur.” Et là, j’ai compris que c’était mauvais signe », se souvient Daniel. Sur les images qui sont toujours projetées à l’écran, on voit les murs de l’appartement recouverts de photos de famille. Toutes ont brûlé dans l’incendie criminel. Et Daniel d’ajouter : « Ce jour-là, ils n’ont pas que pris notre mère, ils ont aussi pris nos souvenirs. »