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Published on 29 October 2021

France - "La République est juive" : les dessous du projet d’attentat d’une cellule néonazie

En enquêtant sur les réseaux du gourou complotiste, les enquêteurs de la DGSI ont démantelé une équipe de néonazis soupçonnée d’avoir voulu faire exploser une loge maçonnique dans l’Est de la France. Nom de code : «Projet Alsace».

Publié le 29 octobre dans Le Parisien

En cet automne 2020, les grandes oreilles de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) tournent à plein au sein d’un inquiétant groupuscule d’extrême droite baptisé « Honneur et Nation ». Une fois de plus, un de ses membres, Denis L., laisse parler sa haine. « La France ne doit plus jamais être appelée la République, car la République est juive, et la France est française. Cette pieuvre, il faut l’éliminer. C’est dommage car une personne a essayé de le faire et il s’est mis tout le monde à dos, Adolf Hitler. »

Depuis plusieurs semaines, la bande de néonazis que fréquente le quinquagénaire semble avoir changé de cap : ils s’arment et leurs diatribes antisémites s’accompagnent désormais de velléités de passage à l’acte violent. Les juifs ou les francs-maçons sont particulièrement ciblés. L’acmé de cette entreprise de haine ? Le projet de destruction à l’explosif d’une loge maçonnique à Lunéville (Meurthe-et-Moselle). Six personnes dont Rémy Daillet ont été mises en examen ces derniers mois pour « association de malfaiteurs terroriste » en raison de leur implication dans ce « Projet Alsace », branche teintée de nazisme de la vaste organisation clandestine montée par le gourou complotiste pour renverser l’État et révélée mercredi par Le Parisien.

Crâne éternellement rasé, Sébastien D., ancien responsable jeunesse du Front national en Corrèze, fonde en fin d’année 2019 « Honneur et Nation » sur les cendres d’un autre groupuscule d’ultradroite. L’association présentée comme « nationaliste » par son président est en réalité ouvertement néonazie. « On défend la Nation avec honneur et fidélité, parce que mon honneur s’appelle fidélité », lance notamment Sébastien D. sur une vidéo filmée en février 2020 et saisie par la DGSI.

Le mot d’ordre n’a pas été choisi au hasard. « C’est une devise SS », admet-il quelques mois plus tard face aux enquêteurs de l’antiterrorisme en reconnaissant son antisémitisme. « Je ne cautionne pas tout ce qu’Hitler a fait, notamment les massacres et tout, détaille cet adepte des saluts nazis et des drapeaux du IIIe Reich lors de sa garde à vue. Par contre, sur le côté social, j’aime bien ce qu’il a fait. Sur plein de choses, contre la maltraitance animale, les violences faites aux femmes (sic)… »

L’enlèvement de Jacques Attali un temps envisagé ?

Le petit groupe raciste fondé par Sébastien D. agglomère vite quelques militants. Parmi eux, des paumés comme Denis L., alcoolique de 57 ans « tous les jours bourré » et au chômage depuis le dépôt de bilan de sa société, ou Thibaud R., son beau-fils, artisan de 30 ans. Des violents aussi, tel Baptiste C., skinhead dont les loisirs se résument aux bagarres et à l’inscription de slogans nazis dans les rues de La Rochelle… Ensemble, ces hommes vont façonner le « Projet Alsace » imaginé par Rémy Daillet. « Essayez de vous armer, il y a quelque chose qui se prépare et c’est pour bientôt », écrit Sébastien D. à Baptiste C. en avril 2020. À la même période, Thibaud R. se dit « prêt à taper dans la fourmilière » et précise que son beau-père cherche « des hommes prêts à passer à l’action ».

Denis L. vient ainsi d’être propulsé « capitaine » du « projet Alsace » par Rémy Daillet, qui voit en « Honneur et Nation » un instrument utile à son projet de renversement de l’État. Depuis la Malaisie, il demande à Denis L. « de créer des groupes armés et attaquer, la nuit s’il le faut ». Valérie D., une ancienne militaire de 53 ans qui verse dans le complotisme plus que dans le nazisme, est adjointe au projet. Convaincue que « le gouvernement place des puces dans les cartes d’identité pour faire bouillir les chakras », ou que « Johnny Hallyday tuait des enfants pour boire leur sang », cette mère de deux enfants tente de recruter des soldats.

En décembre 2020, elle se lance aussi dans la conception de « chausse-trappes », des pièges destinés à crever les pneus de la police en cas de poursuite après une action violente. De son côté, Denis L. fabrique de la thermite, commande des percuteurs pour de vieilles mitrailleuses MG42 et se renseigne pour acheter du C4, un explosif militaire. Car après avoir un temps envisagé « d’attraper » Jacques Attali, qui est dans leur imaginaire complotiste la figure juive qui contrôle le président Macron – « il aurait pu être question de l’enlever et de le faire parler », selon Valérie D. – le « projet Alsace » a désormais un but concret : « faire exploser une loge maçonnique ».

Déverser des « rafales de kalachnikov » sur les « négros »

La mission a été confiée au groupe par Robert K., un proche de Rémy Daillet basé aux États-Unis. « Il a cherché les loges qui étaient susceptibles d’être des cibles potentielles, explique Denis L. aux enquêteurs de la DGSI le 5 mai. Il y avait une loge qui se trouvait vers Lunéville… » « Tout le monde devait aller là-bas, aller dans la loge et tout faire sauter pour que les autres aient peur », confirme Thibaud R. face aux policiers… Les autres ? « Les francs-maçons. »

« Pour les nationalistes, les francs-maçons, c’est eux qui dirigent un peu tout secrètement », argumente Sébastien D. à la suite de son interpellation. Le projet validé, Denis L. se rend à Lunéville pour repérer la loge maçonnique « située dans une zone commerciale ou artisanale. J’ai fait le tour, j’ai pris une photo pour Robert et je suis rentré. » Le 12 novembre, le téléphone de Valérie D. borne aussi dans le secteur de la loge ; deux jours plus tard, c’est celui de Sébastien D. qui est localisé au même endroit… Un hasard selon eux.

Malgré des intentions belliqueuses – « on prend perpétuité mais je suis prêt mon frère », lance Sébastien D. à Thibaud R. par message – le projet traîne. Denis L. et Valérie D. ne trouvent pas assez d’armes. Baptiste C. et Sébastien D. restent toutefois déterminés : en février, ils se promettent de bientôt déverser des « rafales de kalachnikov » sur les « négros ». Inquiète d’un passage à l’acte, la DGSI ouvre une enquête moins d’une semaine après cet échange.

Le discret travail des espions est finalement précipité par une autre opération qui porte le sceau de Rémy Daillet : le 13 avril, la petite Mia est enlevée par des membres d’une autre cellule créée par le gourou complotiste. La DGSI passe à l’action : Denis L., Thibaud R. et Valérie D. sont interpellés début mai. Fin septembre, Sébastien D., Baptiste C. sont mis en examen à leur tour. Tous ont alors conscience que le dessein final de leur « Projet Alsace » les dépasse : « On savait qu’il y avait du monde derrière, ça c’est sûr, et pas qu’en France je pense », a admis Sébastien D. en garde à vue. À ses côtés dans les cellules de la DGSI en ce mois de septembre, deux hommes impliqués dans l’enlèvement de la petite Mia et le « projet Azur ». Comme un symbole du caractère protéiforme et multiple du projet imaginé par Rémy Daillet…