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Publié le 13 septembre dans Le Point
Le pape venait d'écouter avec gravité le témoignage d'un survivant né en 1942 et qui n'a pas souvenir de ses parents disparus, lors d'une rencontre sur la place Rybne, à Bratislava, où se trouvait autrefois une imposante synagogue démolie en 1969 par le gouvernement communiste pour faire place à un pont routier.
Un mémorial érigé sur cette place en 1996 commémore les 105 000 victimes de l'Holocauste en Slovaquie.
Trois jours avant l'arrivée du pape, Bratislava a présenté ses excuses officielles pour l'héritage sombre de l'époque du président Jozef Tiso, un prêtre catholique qui accepta d'envoyer des dizaines de milliers de juifs dans les camps de la mort allemands.
"Le nom de Dieu a été déshonoré: dans la folie de la haine, durant la Seconde guerre mondiale, plus de cent mille juifs slovaques ont été tués. Et puis, lorsqu'on a voulu effacer les traces de la communauté, la synagogue a été détruite", a dénoncé le pape François.
"Ici, devant l'histoire du peuple juif, marquée par cet affront tragique et indescriptible, nous avons honte de l'admettre : combien de fois le nom ineffable du Très-Haut a été utilisé pour commettre des actes indicibles d'inhumanité ! Combien d'oppresseurs n'ont-ils pas déclaré : +Dieu est avec nous+ ; mais c'était eux qui n'étaient pas avec Dieu", a-t-il poursuivi, sans toutefois nommer Jozef Tiso.
Après la création en 1939 de la première République slovaque, un pays totalitaire satellite de l'Allemagne nazie, plusieurs lois antijuives ont servi de base aux déportations de dizaines de milliers de juifs slovaques.
S'unir contre l'antisémitisme
Moins de 300 survivants restèrent dans le pays à l'issue de la guerre. Aujourd'hui la communauté juive ne compte plus qu'environ 2.000 personnes.
Le pape a appelé à être "unis dans la condamnation de toute violence, de toute forme d'antisémitisme". Il a lancé un appel similaire dimanche à Budapest, première étape de son voyage.
Les relations entre catholiques et juifs ont pris un nouveau départ après le document du Concile Vatican II, "Nostra Aetate", qui en 1965 a enfin prôné le respect du judaïsme. Pendant des siècles, l'origine juive de Jésus avait été occultée et les Juifs présentés comme un peuple déicide dans les sermons d'Eglise.
La place où s'est rendu le pape est considérée comme un symbole de cohabitation historique, car pendant des siècles, la synagogue avait existé à côté de la cathédrale Saint-Martin.
Dans la foule, Samuel Richard Toth, un étudiant de 22 ans, confie à l'AFP que la présence du pape était un "moment fort", véhiculant "la vision d'une Europe dépourvue d'antisémitisme" dont il a pourtant été témoin dans le pays "sous la forme de plaisanteries inappropriées et de discours de haine contre les juifs".
Selon une étude publiée l'an dernier par Globsec, un groupe de réflexion slovaque, 51 % des Slovaques estiment que "les juifs ont trop de pouvoir et contrôlent secrètement les gouvernements et les institutions du monde entier".
Richard Duda, président de l'Union centrale des communautés juives de Slovaquie, espère lui que la présence du pape François contribuera à améliorer les relations entre catholiques et juifs. A l'image de sa propre vie: "avec ma chère épouse, nous sommes un couple indissoluble judéo-chrétien depuis plus de trois décennies", a-t-il confié devant le pape.
Une fraternité post-pandémie
S'exprimant lundi matin devant les autorités politiques et civiles de ce pays de 5,4 millions d'habitants, le pape a aussi prôné "une fraternité" dépassant les frontières dans une Europe qui doit désormais relancer son économie affaiblie par la pandémie, grâce à des plans de relance.
La Slovaquie avait enregistré en début d'année les taux de contagion et de mortalité au Covid-19 par habitant les plus élevés du monde et comptabilise plus de 12.000 morts.
Le souverain pontife argentin avait publié en novembre 2020 une lettre encyclique intitulée "Fratelli tutti" (Tous frères), appelant de ses voeux un monde post-pandémie plus solidaire avec les plus faibles, en rupture avec "le dogme néolibéral".
Lors d'une rencontre dans une cathédrale avec les évêques, prêtres et religieux de Slovaquie - ancien pays communiste qui se dit catholique à 60 % mais fréquente peu les églises-, le pape leur a conseillé plus de souplesse et plaisanté en semonçant ceux qui font des homélies trop longues.
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