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Illustration : Sarcelles, ce mardi. Michel Waksberg. LP/Anne Collin
Publié le 21 juillet dans Le Parisien
« Faire une comparaison pareille, c’est écœurant ! » Depuis la manifestation anti-pass sanitaire ce week-end, où des symboles de la barbarie nazie et du drame de la Shoah ont été détournés, pour s’opposer aux dernières mesures sanitaires prises par le gouvernement, des voix de survivants, de témoins de l’histoire, s’élèvent pour dénoncer un parallèle « honteux ».
Michel Waksberg, 80 ans, est de ceux-là. Il ne décolère pas. « On peut être pour ou contre la vaccination, ce n’est pas la question, même si personnellement j’ai du mal à comprendre que l’on soit contre, mais quand j’ai vu ces images, j’ai été très choqué. Quand on voit des gens d’extrême droite en tête de cortège cautionner ces agissements, ça fait forcément écho », souffle cet ancien enfant caché pendant la Seconde Guerre mondiale.
Car si aujourd’hui l’octogénaire, ancien élu municipal, vit tranquillement et aux yeux de tous à Sarcelles (Val-d’Oise) depuis 1970, c’est dans la clandestinité que ce Parisien de naissance a dû passer les premières années de sa vie, aux côtés de sa sœur mais séparée de sa mère et orphelin de père. Tous traqués comme tant d’autres parce que juifs. Au total, l’entreprise de mise à mort menée par l’Allemagne nazie et ses collaborateurs a fait six millions de morts chez les juifs d’Europe.
Pour lui éviter une mort certaine, sa mère le cache avec sa sœur
Parmi eux, son propre père, en France. « Je suis né en avril 1941. Mon père a été arrêté dans le cadre de la rafle du billet vert en mai de la même année », explique Michel, en référence à la première vague d’arrestations massives de juifs sous le régime de Vichy, avant la rafle du Vél d’Hiv à la mi-juillet 1942, commémorée ce week-end à Sarcelles. « Il a été interné à Pithiviers avant d’être déporté en juin 1942 par le convoi 4 à Auschwitz. »
Ce dernier ne reviendra jamais. Sa famille apprendra qu’il a été fusillé le 8 juillet. Même destin funeste pour sa tante. « Elle a été arrêtée en 1942 en tant que résistante. Emprisonnée en France à la prison de la Santé, on ne sait pas ce qu’elle est devenue ensuite malgré nos recherches. » Une autre mort sans tombeau.
Désormais veuve et face au danger grandissant, les dénonciations et arrestations se multipliant, la mère de Michel se résout à l’été 1942 à se séparer de ses enfants pour les cacher hors de Paris. « C’est une voisine qui lui avait parlé de quelqu’un de sa famille qui pourrait nous accueillir ma sœur et moi, mais pas gratuitement », souligne Michel.
En caution, sa mère devra donner l’entièreté de son linge de maison et terminera de donner ses maigres affaires par la suite pour la vie de ses bambins. Elle reste, elle, à Paris, cachée seule dans une minuscule chambre de bonne. « Elle n’a jamais voulu en parler ensuite. Ce que je sais c’est que cela l’a marquée à vie et que sur son lit de mort, elle ressentait toujours cette peur que l’on soit découvert, elle comme nous, et assassinés. »
La fratrie passa ainsi la fin de la guerre à Erondelle, un petit village de la Somme, dans une ferme à l’écart du village. Au vu de son jeune âge pendant cette période, Michel ne sait de sa vie d’enfant caché que ce qu’on lui en a raconté, notamment sa sœur âgée de huit ans de plus que lui, décédée très récemment.
Marqués dans leur chair par toutes ces horreurs
« Elle m’a raconté quelques anecdotes comme le fait qu’elle avait dû faire la vaisselle à la suie faute de produit et que ça ne s’était pas passé comme prévu. Je sais aussi qu’elle a été à l’école là-bas et que, moi, apparemment, j’étais toujours avec le fermier qui m’emmenait partout, même sur sa barque à la pêche. Mais c’est à peu près tout. »
Car, au vu des circonstances, Michel et sa famille n’ont pas gardé de lien avec leurs gardiens après leur retour à Paris, en 1944. « Nous avons été traités correctement et on a été nourris contrairement à ma femme et sa sœur, elles aussi enfants cachés dans un autre département, qui ont eu très faim et vivaient dans de mauvaises conditions », précise Michel, désormais veuf.
Il se rappelle davantage de l’après-guerre où les conséquences de ce terrible épisode de l’histoire ont poursuivi sa famille. « Nous n’avions plus rien. Après la Libération, notre ancien appartement de Paris accueillait depuis peu une famille qui elle aussi avait tout perdu, donc on n’a pas pu le récupérer. Jusqu’à mes 18 ans, nous avons vécu entre la petite chambre de bonne, puis diverses maisons d’enfants dans lesquelles ma mère était lingère. Quand elle a enfin pu obtenir un logement, en dehors de Paris, nous étions déjà mariés ma sœur et moi. »
Alors à l’évocation de ses douloureux souvenirs, mais aussi de ceux racontés par ses voisins, ses amis, eux aussi marqués dans leur chair par toutes ces horreurs, la colère de Michel reprend. « Se servir de tout ça, s’affubler de l’étoile jaune aujourd’hui parce qu’ils ne peuvent juste pas aller dans un lieu de loisirs, ce n’est vraiment pas possible ! »
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