Jean-Pierre Allali
Le pays des pas perdus, par Gazmend Kapllani (*)
Petit pays d’Europe à majorité musulmane, l’Albanie a donné au monde de grands écrivains. On pense immédiatement à l’immense Ismaël Kadaré et à ses dizaines d’ouvrages qui sont autant de best sellers. Mais il y a aussi son épouse, Helena Kadaré, Bashkim Shehu, la talentueuse Bessa Myftiu, Besnik Mustafaj, Ylljet Aliçka, qui fut ambassadeur d’Albanie en France , Maks Velo, natif de Paris et le très prometteur Gazmend Kapllani, qui, dans son nouveau roman, a choisi de nous narrer par le menu l’histoire et les aventures d’une petite bourgade de son pays, Ters.
Ters, un mot qui vient du turc et qui signifie « erreur, malchance ». Ters, une ville séparée en deux : la vieille ville, sur la crête de la colline et, en bas, dans la plaine, la nouvelle agglomération, baptisée « Ville du Désert ». Entre les deux parties, un fleuve, la Skamandros, que les Tersaniens, peut-être par admiration de la France, préfèrent appeler « la Seine ».
Ters et ses personnages typiques : Pandi le Fou, Méti, l’ancien boulanger, médium aveugle, spécialiste des baklavas, Jani, l’ancien distributeur de bois, le camarade Loufti S., directeur de l’état civil, Rustem et Falma, le « couple mal assorti, Don Poulbarda, l’archevêque, Idayet, le professeur de musique, spécialiste du jazz…L’Albanie, on le sait, qui fut un royaume sous le roi Zog 1er, a longtemps vécu sous la férule communiste d’Enver Hodja. Les religions : islam, chrétienté et judaïsme y furent strictement interdites.
La vie à Ters est vue à travers la destinée d’une famille, celle d’Omer, de son épouse, Vila et de leurs deux fils, Karl (comme Marx) et Frederick (comme Engels).
Pour distinguer entre le récit de Karl et celui de son frère, l’auteur a choisi une graphie différente pour chacun des protagonistes qui ont, par ailleurs, la particularité de ne pas bien s’entendre.
Longtemps athée irréductible, Omer, avec une bande d’activistes communistes déchaînés, avait participé, aux cris de « L’opium est la religion du peuple », à la destruction de la mosquée, du monastère soufi, des deux églises orthodoxe et catholique et de la synagogue sépharade. Quelle pitié quand on pense que ce qui faisait l’originalité de la ville, c’était la présence de familles bigarrées dont les membres appartenaient à des religions différentes. « Au cours d’une journée, les mêmes hommes allaient d’abord prier à la mosquée, puis dans les deux églises et, quand la nuit tombait, ils se rendaient à la synagogue ».
À propos des Juifs de Ters, une histoire avait été racontée à Karl par son père : son grand-père avait disparu pendant l’occupation allemande. Il avait été accusé par les Nazis d’avoir caché des Juifs. Déporté, il avait probablement été assassiné à Auschwitz.
Karl, qui avait quitté l’Albanie pour la Grèce et l’Amérique, revient au pays pour l’enterrement de son père, qui, depuis, avait retrouvé et pratiqué l’Islam. Sa mère, elle, s’était suicidée il y a quelques années, quatre mois avant la chute de la statue du dictateur Enver Hodja. Frederick et sa famille, préfèrent, eux, fréquenter l’église.
À Boston, Karl, devenu écrivain, vivait avec Clodie, qui, avec sa mère, Hanna, choisira, poussée par l’ambassade d’Israël, d’aller vivre dans l’État des Juifs. Il la retrouvera un jour, par hasard, à Athènes. Elle avait épousé un astronome russo-juif et, avec leurs deux enfants, ils avaient émigré à Boston.
Plus tard, Karl tombera amoureux de Clio. Puis ce sera la jeune Anna. Un regard tendre sur un pays européen original mais peu connu, l’Albanie.
À découvrir !
Jean-Pierre Allali
(*) Éditions Intervalles.2019. Traduit du grec par Françoise Bienfait. 192 pages. 17 €.