Jean Pierre Allali

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Lectures de Jean-Pierre Allali - Le diable au Porc. Tabous et interdits alimentaires d’un animal hors norme, par Monique Zetlaoui

16 May 2019 | 193 vue(s)
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Le diable au porc. Tabous et interdits alimentaires d’un animal hors norme, par Monique Zetlaoui (*)

Originaire de Tunisie, historienne et journaliste, grande voyageuse devant l’Éternel, spécialiste des civilisations indiennes, Monique Zetlaoui se lance dans une entreprise aussi étonnante que riche en enseignements de toutes sortes : étudier le cochon sous toutes ses formes et sous toutes les latitudes. Et si l’auteure, dans cette recherche savante sur l’alimentation, ne manque pas, dès les premières pages de son livre, de citer l’incontournable Brillat-Savarin et sa célèbre formule « Dis-moi ce que tu manges, je te dirais qui tu es », elle place en exergue une étonnante citation de Winston Churchill : « J’aime les porcs. Les chiens nous regardent avec vénération, les chats nous toisent avec dédain, les cochons nous considèrent comme des égaux ».

Et pourtant le cochon est honni, notamment par les Juifs et par les Musulmans. Mais pas seulement.

Il y a longtemps que le cochon est abhorré, notamment au Proche-Orient. Par le judaïsme, tout d’abord et en opposition avec la civilisation gréco-romaine : « Le porc fut, d’une certaine manière, au centre des relations gréco-romaine et juive ». On comprend, dès lors, que plus tard, au XVème siècle, lors de la réunification du royaume chrétien, les crypto-juifs d’Espagne étaient appelés marranos, mot qui signifie cochons, car convertis de force pendant l’Inquisition, ils continuaient, dans la clandestinité, à observer l’interdit alimentaire de la consommation du porc. D’une manière plus générale, en Europe, où le cochon était l’animal le plus consommé, les populations, notamment paysannes, avaient tendance à penser que si les Juifs s’obstinaient à ne pas vouloir se délecter de la chair du délicieux animal, c’est qu’ils étaient eux-mêmes des cochons et voulaient éviter l’anthropophagie.

Quant aux Musulmans, s’ils ont emprunté aux Juifs, l’horreur du porc, c’est pratiquement le seul interdit alimentaire qui apparaisse dans le Coran.

Bref, le porc, c’est la civilisation « blanche » en opposition à l’Orient. On découvre, avec Monique Zetlaoui, que « les Gaulois développent un savoir-faire inégalé   dans la préparation de cochonnailles salées et fumées ». Astérix, quand tu nous tiens !

Des pages édifiantes de ce remarquable ouvrage sont consacrées aux procès intentés à des animaux et en particulier à des…cochons ! On croit rêver. En 1120, à Laon, l’évêque prononce une excommunication contre des  chenilles et des mulots au motif qu’ils ravageaient des récoltes. Les porcs, eux, sont souvent accusés d’infanticide. Un premier procès en ce sens aura lieu en 1266 et le porc coupable est incarcéré. La sentence de mort est signifiée à la bête en prison et elle périra brûlée vive sur un bûcher. Autre cas : en 1336, à Falaise, en Normandie, une truie attaque un nourrisson dans son berceau, dévorant un bras et une partie du visage du malheureux enfant et entraînant sa mort. Après un procès de neuf jours, la cochonne est condamnée à la loi du talion. Amputée de son groin et d’une cuisse, elle fut pendue par les pattes arrières jusqu’à ce que mort s’ensuive.

Cela n’empêchera pas Antoine-L’Ermite de s’ériger en saint patron des porcs, des charcutiers et des tripiers !

Une petite digression nous conduit chez les Yézidis qui, eux, ont en abjection les choux, les laitues, les gombos et les fèves ! « Servir ou manger de la laitue devant un Yézidi, est considéré comme une insulte et une agression ». À chacun son cochon ! Les Écossais, eux, sont plus proches des Juifs. Ils éprouvent une aversion profonde pour le porc mais aussi pour les poissons sans écailles comme l’anguille et la raie. Les Écossais, une tribu perdue ?

« Sans l’animal, pas de religion », écrit François Poplin. Il n’empêche que si le cochon n’est pas notre frère de lait, il nous ressemble. Depuis Gallien, on sait que la chair humaine a un goût très proche de celle du porc. La science moderne a mis en évidence de nombreuses similitudes tant sur le plan anatomique que sur le plan immunologique. Le séquençage du génome est formel. Sans oublier qu’en médecine, le diabète de type 1 se traite avec de l’insuline extraite du pancréas de porc et que le  porc reste le plus grand donneur en matière de greffes. « Après avoir été une bête à viande, le porc serait sur le point de devenir une fabrique d’organes. Il pourrait devenir un jour notre frère de cœur ».

Tout donc ou presque sur le cochon dans ce livre bien documenté. On pourra être étonné que l’auteure n’est pas évoqué un événement qui touche plus d’un milliard et demi de Chinois : nous sommes entrés jusqu’au 24 janvier 2020, dans l’année du Cochon. Le 12ème et dernier signe zodiacal chinois célèbre la prospérité, l’opulence et la chance que véhicule le porc, symbole, pour les Chinois, du travailleur obstiné. Le porc, un animal qui gagne à être mieux connu !

 

Jean-Pierre Allali

(*) Éditions Menu Fretin. Avril 2018. 160 pages. 14 €.