Par Yonathan Arfi, vice-président du CRIF
Le 7 avril 1994, démarrait le génocide des Tutsis au Rwanda. En 3 mois à peine, 800 000 victimes périrent aux mains de leurs bourreaux hutus. Génocide à la fois singulier et universel, le massacre des Tutsis interroge nos consciences égarées.
Il y eut d’abord cet assourdissant silence du monde. Silence qui renvoie, sans un mot, à ces autres silences qui ont aussi accompagné en leurs temps le génocide arménien puis la Shoah.
Et puis il y eut l’oubli, qu’il s’agisse d’une paresse confortable ou d’une volonté coupable. Car quel que soit le projet génocidaire, le combat des victimes, nous le savons, ne s’est jamais arrêté avec la fin de l’extermination. Il ne s’est pas arrêté en 1915 pour les Arméniens, en 1945 pour les Juifs ou en 1994 pour les Tutsis. C'est à ces dates, au contraire, que le combat pour la mémoire n’a fait que commencer.
Le combat pour la mémoire, c’est tout d’abord de redonner un nom et un visage aux victimes. Comme par le passé dans le monde juif, c’est tout le sens du travail inlassable qui est mené au Rwanda depuis 22 ans pour donner une sépulture digne aux victimes.
Le combat pour la mémoire, c’est également la lutte contre le négationnisme et pour la vérité historique. Il est aujourd’hui encore difficile pour le génocide des Tutsis de trouver toute sa place dans le récit national, tant au Rwanda qu'en France. Bien-sûr, il faut saluer la tenue, il y a 2 ans, du premier procès en France contre les génocidaires des Tutsis et la condamnation de l’un des bourreaux, Pascal Simbikangwa, à 25 ans de prison. Bien-sûr, la Mairie de Paris s'apprête à inaugurer aujourd'hui même un lieu dédié à la Mémoire du génocide des Tutsis pour que celle s'inscrive, quelque part, dans nos consciences. Mais l’on sent bien que le génocide dérange et que nombreux sont ceux qui en voulant tourner la page, refuse surtout que le livre de cette histoire soit même simplement écrit.
Enfin, le combat pour la mémoire, c’est essayer de comprendre ce que les génocides disent au monde. Le génocide des Tutsis nous rappelle ainsi combien, chaque génocide est unique et commun à la fois. Unique en ce qu’il est toujours exceptionnel et spécifique de par son contexte historique ou culturel. Au Rwanda, par exemple, la spécificité de ces masses de bourreaux, contributeurs individuels endoctrinés, se chargeant de massacrer leurs propres voisins. Mais en même temps, au cœur de ses spécificités, l’universel de la part inhumaine de l’homme, que l’on retrouve, en puissance, dans toutes nos sociétés contemporaines.
Rien ne prédestinait les Tutsis et les Juifs à se rencontrer dans l'histoire. Pourtant, nous partageons aujourd’hui, avec d’autres, une lourde charge, celle d’une responsabilité face au monde. Avoir été victime de génocide n’est pas un privilège. Cela ne donne aux héritiers que nous sommes aucun droit mais, au contraire, d’immenses devoirs. C’est, au fond, une lourde responsabilité que nous partageons, mélange de conscience et de vigilance pour l’avenir. Car Tutsis, Juifs et Arméniens, savent que les injonctions de « Plus jamais ça » se sont heurtées jusqu’à présent à chaque fois avec fracas sur la répétition de l’histoire.