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Ils suivirent, de ce point de vue, les Tunisiens qui avaient commencé ce qui allait devenir, quelques mois plus tard, leur révolution. Ils précédèrent les Libyens qui devaient débuter, quelques mois plus tard, leur révolution aussi.
Dans ces trois cas, le phénomène révolutionnaire a suivi un développement similaire : peuple opprimé pendant plus de deux décennies, maîtrise totale du pouvoir militaire par des pouvoirs exécutifs aux légitimités discutables, utilisation de ce pouvoir militaire pour étouffer les premières fumées du feu révolutionnaire, feu révolutionnaire entretenu par un peuple opprimé devenu, entre-temps, peuple révolté aux aspirations révolutionnaires, révolution et, donc, destitution des pouvoirs exécutifs.
Cette similarité s'est doublée d'une simultanéité, puisqu'en l'espace d'un an seulement, les Tunisiens, les Libyens, les Égyptiens (et les Syriens) ont réussi à fissurer et à déchirer les supports bien bétonnés, quoique bien mal assis pourtant, de leurs régimes autoritaires. "En l'espace d'un an", et donc, instantanéité partagée du phénomène. Qui aurait pu prédire, à la fin de l'année 2010, que le Noël à venir serait célébré sans Ben Ali, Kadhafi, Moubarak et avec un El-Assad au bord du gouffre diplomatique ?
Ce phénomène caractérisé - similarité, simultanéité, instantanéité - a reçu un nom sonnant comme un label, mais qui soulève l'espoir : le Printemps Arabe. Un nom qui a vite été conjugué au pluriel, comme l'obligeait la diversité politique, historique et culturelle des pays concernés. Diversité des faits, mais unité du phénomène, comme le rappelle l'adjectif "arabe" qui lui est associé sans équivoque.
Aujourd'hui l'expression enchante un peu moins. Les Printemps sont moins fleuris et leur unité semble moins assurée. Les particularités locales ont pris le pas sur les espoirs universels. L'arrivée au pouvoir des islamistes en Tunisie et en Égypte, le chaos qui règne en Libye, et l'obstination folle du pouvoir syrien forcent au calme et à la mesure.
"Au calme" parce que, comme on peut le constater tous les jours depuis un an, le climat est orageux. Il y a toujours de la passion dans les rues. Mais la démocratie ne semble pas s'installer de manière satisfaisante, soit parce que les processus électoraux sont contestables vu leur déroulement, soit parce qu'il n'y en a même pas eu.
"À la mesure" parce que l'Histoire nous a appris que "La révolution est comme Chronos, elle dévore ses propres enfants". Trop souvent, elle peut mal tourner, et qu'importe les situations géographiques : aucunes des révolutions françaises, anglaises et russes n'ont donné forme à l'espoir qu'elles avaient porté.
Comment s'empêcher, toutefois, d'être, encore aujourd'hui, enthousiaste et de vouloir fêter l'anniversaire des deux ans des Printemps ?
En réalité, le vent d'espoir qui a traversé les pays arabes ces jours de printemps semble nous faire pouvoir ajouter, en plus des trois précédemment citées, deux caractéristiques au phénomène : c'était un phénomène surprenant et jeune.
La surprise nous a frappés, car il n'y avait aucun signe qui annonçait ces révolutions. Elle a pris d'autant plus violemment ceux qui, sans se douter, recevaient encore Kadhafi ou prenaient des vacances chez Ben Ali.
Dans ces pays où la moitié de la population a moins de 30 ans, cette jeunesse n'est pas qu'une caractéristique démographique. C'est une caractéristique politique. Cinquante ans avant, Arendt liait Jeunesse et Révolution dans la Crise de l'éducation : cette Jeunesse est celle qui prend son destin révolutionnaire en main. Face à l'ordre ancien, opprimant sans doute, cette Jeunesse assume qu'il y a autre chose que la mort, la misère ou l'oppression : il y a la lutte, portée par l'espoir d'un monde nouveau. Cette Jeunesse arabe a donc vengé Mohamed Bouazizi tout en lui donnant tort : à son immolation, ils ont substitué la révolution. Pour cela, cet anniversaire ne peut non seulement pas être oublié, mais doit être célébré : à travers lui, c'est une célébration de l'espoir d'un monde meilleur.
À cette date anniversaire, deux questions restent en suspens : comment cet espoir de lutte, volonté révolutionnaire fondée sur l'aspiration à un ordre nouveau, peut se traduire dans des institutions et des politiques durablement à la hauteur ? Comment éviter que cette jeunesse, qui a mis à plat ces régimes autoritaires, n'ait à subir la mise en place d'un nouveau modèle de régime autoritaire : celui de l'islamisme radical ?
Et si, pour l'instant, ces Printemps méritent une belle fête, ils méritent également toute l'attention du monde, car leur vent d'espoir, qui les a déjà traversés, ne semble pas près de se calmer.
Amine Abdelmadjid et Thomas Friang sont créateurs de la Caravane des Printemps, portée par Youth Diplomacy.