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Monsieur le Premier Ministre,
Une nouvelle fois, vous vous prêtez de bonne grâce à cette rencontre annuelle avec le CRIF. Ce dialogue entre le Premier Ministre de la République et le judaïsme français nous permet de faire entendre nos préoccupations et nos espoirs. Nous vous en sommes très reconnaissants.
En cette aube du troisième millénaire, le destin du monde restera marqué par une formidable explosion de violence.
Nous sommes très soucieux des risques qui pèsent et continueront de peser sur le monde, sur la France, sur les Juifs en France, et sur Israël. Car les racines du mal sont profondes et survivront à Ben Laden.
Jamais les promesses d’une ère de lait et de miel, où l’agneau irait paître avec le loup n’ont paru aussi éloignées.
Comment oublier le cauchemar du 11 septembre, ces avions se fracassant sur les Twin Towers, ces désespérés se jetant des tours ? Alors que nous pouvons marcher sur la lune, des fanatiques nous ramènent au moyen âge.
Le combat du peuple américain est le nôtre.
Mais l’ensemble du monde musulman ne doit pas être tenu pour responsable de ces actes criminels.
En effet, comme le dit André Chouraqui : « C’est l’amour en cet être ineffable que j’ai découvert dans chaque psaume de la Bible, chaque verset des Evangiles, chaque Sourate du Coran, un chant égal d’unité et d’amour ».
Hélas, l’idée que l’ Islam est une religion d’amour n’est pas partagée par tous. Comment espérer la réconciliation quand l’innocence des enfants est utilisée par des fanatiques pour distiller la haine ?
Cette entreprise de mort se déroule devant nos yeux, dans le monde entier.
Et l’Europe n’est pas à l’abri. Faut-il rappeler les attentats qui ont frappé les rues et le métro de Paris, ou la caserne du Drakkar au Liban ? Ou les menaces contre la cathédrale de Strasbourg ?
Les opérations contre New York, et contre le Pentagone montrent la cruelle efficacité de ces hommes. Le monde se réveille, confronté à un ennemi qui pourrait disposer d’ armes biologiques, voire nucléaires.
Nous qui vivons le judaïsme comme une religion, mais aussi , comme une éthique, comme une morale, comme une culture, ne pouvons pas imaginer qu’il en soit autrement pour l’Islam. Nous sommes certains que de nombreux responsables musulmans exprimeront enfin, de manière audible, de manière forte, leur rejet du fanatisme.
Bien des peuples ont été frustrés, humiliés, persécutés, méprisés, et le peuple juif fut de ce lot, mais aucun n’a eu recours à des actes aussi barbares.
La conférence de Durban contre le racisme qui avait précédé ces attentats s’était transformée en un concert planétaire de haine anti-juive. On y entendait : « Un juif, une balle ». Et les plus virulents étaient ces dictateurs qui maltraitent chez eux, et souvent martyrisent femmes, enfants, homosexuels, opposants politiques, et minorités ethniques ou religieuses, ces pays où la mutilation, et la lapidation sont des pratiques légales.
La France, patrie des droits de l’homme, ne pouvait pas assister en spectateur passif au combat pour la liberté et la tolérance. D’où les prises de position fermes du Président de la République. D’où les mesures décidées par votre gouvernement. Nous sommes fiers d’être avec le gouvernement de la France, et avec l’immense majorité du peuple français aux côtés des américains dans le camp de ceux qui refusent l’esprit de Munich.
Certains estiment que l’Amérique a été visée parce qu’elle serait arrogante, et trop solidaire d’Israël. On oublie le sacrifice de tant de G.I. sur la terre de France à deux reprises au 20° siècle. On oublie que le premier attentat contre le World Trade Center date de 1993, l’époque euphorique des accords d’Oslo. On oublie que la préparation des attentats de septembre est antérieure au début de l’intifada.
Cette recherche d’explications permet de justifier les horreurs commises. La justification entraîne la demande de rester à l’écart du conflit. En un mot la lâcheté. Complétée parfois par le refrain célinien : « Tout ça, c’est la faute des juifs ».
Nous ne parvenons pas à faire de distinction entre le bon terrorisme et le mauvais. Celui qui serait justifié , et celui qui ne le serait pas. Les terroristes sont des assassins, quelle que soit leur nationalité. Et la couleur du sang de leurs victimes n’est pas différente selon qu’il s’agit d’américains, d’ israéliens ou de passagers du métro parisien.
Vous aviez été, Monsieur le Premier Ministre, parmi les premiers à appeler les mouvements terroristes par leur nom. Nous espérons que les quelques Français , de tous bords , qui vous ont alors lapidé moralement, comprennent aujourd’hui leur erreur.
Nous espérons aussi que les acteurs de toutes les prochaines campagnes électorales resteront au niveau des débats d’idées sans s’abaisser à suivre les recommandations politiciennes à courte vue de soi-disant spécialistes.
NOUS SOMMES CONFRONTES A LA HAINE ANTI-JUIVE
Le Président de la République, par sa déclaration du 16 Juillet 1995, qui fut à la fois historique et essentielle, Monsieur Alain JUPPE et vous-même, Monsieur le Premier Ministre, en créant les commissions Mattéoli et Drai avez reconnu la responsabilité de la France dans le comportement de Vichy. Et vous avez créé la Fondation nationale pour la Mémoire de la Shoah. Ce retour douloureux sur le passé était méritoire.
Sur cette terre où nos sangs donnés à la patrie se sont mélangés avec ceux de nos compatriotes, où tant des nôtres ont contribué à la grandeur de la France dans les domaines des sciences, des arts et de la culture, nous nous sentons menacés. La haine des juifs est réapparue. Et pour la première fois depuis plus d’un demi-siècle des cris de « mort aux juifs » résonnent sur le pavé parisien, et des synagogues sont brûlées.
L’extrême droite est divisée, mais des millions de Français, égarés, continuent de partager ses idées racistes. Le climat d’inquiétude risque de renforcer ces tendances. Et les thèses négationnistes se propagent.
Les démocrates ne supportent pas cette haine, de même qu’ils n’ont pas compris la visite d’état accordée au Président syrien, auteur de propos anti-juifs violents.
Nous rendons hommage à l’Eglise de France qui a accompli des pas de géant pour que l’enseignement du respect succède à l’enseignement du mépris.
Nous tenons surtout à éviter qu’à l’antisémitisme de l’extrême droite vienne s’ajouter des conflits avec la communauté musulmane.
Nous souhaitons un dialogue confiant avec les musulmans de France. Nous tendons la main à nos concitoyens musulmans. La majorité des Juifs de France vient du Maghreb, et connaît sa culture. Nous avons, tous ensemble, des combats à mener contre l’extrême droite, et pour la paix civile. Nous rêvons de réunir des commandos de l’amitié venant de tous les horizons, en une sorte de pacte des hommes soucieux de construire l’avenir.
Nous sommes heureux de voir apparaître , à l’initiative du Ministère de l’Intérieur, un organisme regroupant les Musulmans de France. Mais si ce Conseil ne donnait pas une place suffisante aux musulmans modérés, et aux laïcs, si ce Conseil ne se sentait pas soumis aux principes républicains, le risque de dérive vers le fanatisme serait grave. Or , nous pensons, Monsieur le Premier Ministre, que ce risque existe.
NOUS SUBISSONS LA VIOLENCE DES MOTS
En 1939, les Juifs français , dont les noms ornaient les monuments aux morts de nos villes, se croyaient protégés par des siècles de présence en France, sans remonter à Rachi de Troyes, ou aux Juifs du Pape en Avignon. Ils ont partagé le sort des victimes du nazisme.
Nous savons d’expérience que quand un Juif est menacé, parce que juif, tous les Juifs sont en danger. Et, quand les Juifs sont menacés, c’est la liberté qui est en danger. Rien n’est plus proche de l’antisémitisme que l’anti-sionisme.
Certes, chaque événement peut être traité sous plusieurs éclairages : ainsi un terroriste palestinien a été, selon une agence de presse internationale, « tué », selon une autre, « exécuté » , selon une troisième, « assassiné ». Ainsi un mot , un seul, suffit à transformer une information en opinion.
La sémantique palestinienne est largement utilisée. Le bébé israélien, tué par un tireur d’élite palestinien muni d’un fusil à lunette, est devenu un « bébé colon ». On annonce :« Deux morts: un palestinien et une femme colon ». Comme si ce qualificatif de colon justifiait l’ assassinat, comme si ce mot de colon n’avait pas une connotation culpabilisante du fait de notre passé algérien. « L’Esplanade des Mosquées » a remplacé le Mont du Temple. « Les Israéliens sont tués, et les Palestiniens assassinés ». Le qualificatif « extrémiste » est réservé aux seuls Israéliens. Et les terroristes deviennent des « combattants », même quand leurs cibles sont des bébés.
Ceci est accentué par des images, des caricatures, et des opinions de spécialistes, parfois juifs, qui , dans ce cas, paraissent avoir des comptes à régler avec leurs aïeux.
Curieusement, l’absence de toute critique côté arabe devient même assourdissante, pour qui a l’ouïe fine.
Des fonds publics, des entreprises publiques françaises soutiennent des instituts, des manuels scolaires et la télévision palestinienne. Tous propagent la haine des juifs. C’est intolérable.
Nous savons que les journalistes sont animés par le devoir d’informer, et travaillent avec conscience et sérieux. Mais il y a parfois une connaissance insuffisante de l’environnement.
Permettez-moi de rappeler
Permettez-moi de rappeler que
Dans ces conditions, qui est David ? Qui est Goliath ?
Enfin, au delà des faits, quelques uns perçoivent Israël comme une intrusion colonialiste et impérialiste. Israël devient ainsi le Juif des nations, et si des Juifs se comportent mal, la tare de Vichy devient plus légère.
Nous sommes sûrs que les journalistes, les propriétaires des médias, le CSA, partagent avec nous ce grave souci de l’existence d’extrémismes qui peuvent tirer parti d’un climat pour susciter des actions violentes.
CAR NOUS CRAIGNONS POUR LA SECURITE DES JUIFS EN FRANCE
Notre communauté a été traumatisée par les attaques de l’automne 2000 contre nos synagogues. Or depuis un an la tension s’aggrave. Chaque jour apporte son lot d’insultes, et d’agressions. Il est périlleux pour un religieux juif de se promener seul dans certains quartiers. Des synagogues, des écoles, et même une école maternelle, ont été l’objet d’attentats.
Nous sommes conscients des efforts des Autorités pour protéger les écoles, et les lieux de réunion laïcs ou religieux, et qui ont permis jusqu’ici d’éviter le pire. Mais, ce qui est en jeu, ce sont les libertés fondamentales de la République.
Aussi nous attendons de la police et de la justice, une rigueur beaucoup plus grande que par le passé, et dans la recherche des responsables et dans les sanctions qui doivent les frapper. Seule une grande sévérité réduira le risque des explosions de violence.
Car les dangers de rupture de la paix civile sont immenses. Nous n’avons jamais souhaité développer des milices parallèles pour défendre nos droits. Nous ne voulons surtout pas que nos jeunes, qui découvrent ces phénomènes de haine des Juifs, soient tentés de répondre aux agressions.
C’est la responsabilité des pouvoirs publics.
A la lumière des évènements récents, et en appui d’une présence renforcée des policiers et des juges, nous pensons que les Pouvoirs Publics pourraient utilement accroître la sécurité des écoles, et de tous les lieux de réunion, en prenant en charge notamment des installations de télé surveillance.
Il faut que vous sachiez, Monsieur le Premier Ministre, que l’angoisse sécuritaire étreint une grande partie de la population juive, et que nous attendons beaucoup de vous dans ce domaine. Certes, ce problème sécuritaire n’est pas particulier à la communauté juive, c’est un problème de société.
Allons-nous baisser les bras devant la violence, laisser des jeunes maltraiter en toute impunité les femmes, les vieux, les enseignants, les policiers, les juges ? La violence des armes, des gestes, des mots, des comportements doit être domptée. Ce qui est en jeu c’est l’avenir de la société française.
Cela passe nécessairement, et par l’intégration sociale, et par un énorme effort d’instruction civique, de respect des biens, des personnes, et des valeurs auxquelles nous sommes attachés y compris l’hymne national et le drapeau français.
Nous ne sommes pas seulement préoccupés par les questions de sécurité en France. Les dangers qui pèsent sur le Proche Orient paraissent aujourd’hui d’une gravité extrême.
COMME EN 1948 LA LEGITIMITE D’ISRAEL EST CONTESTEE PAR SES VOISINS
Que doit faire Israël pour que ses enfants ne risquent pas leur vie ? Vous connaissez suffisamment Israël, Monsieur le Premier Ministre, pour savoir combien son peuple est épris de paix.
Israéliens et Palestiniens disaient à Oslo en 1993, « Toi et Moi ». Arafat depuis Camp David en Juillet 2000 répond : « Toi ou Moi ».
Arafat parle avec la force du révolutionnaire qui n’a jamais quitté son uniforme même quand il recevait le prix Nobel de la paix.
Qui peut comprendre cet homme qui a dit non à la paix, contre l’intérêt de son propre peuple ? Il a refusé cette main qui lui accordait tout ce qu’il demandait.
Les Israéliens ne sont pas des nazis. Et le boucher de Sabra et Chatila n’est pas juif. C’est un chrétien, libanais, parlementaire, ancien ministre de M. Hariri : M. Elie Hobeika. On tue des musulmans, et un juif est accusé. C’est une vieille histoire.
Les 600.000 Israéliens de 1948 ont fait fleurir le désert, ils ont ressuscité une langue, ils ont construit une économie moderne. Ses voisins seraient bien inspirés de les prendre pour modèle et non pour cible.
Qu’espère le Crif dans ce domaine du gouvernement français ?
Que sa politique au Proche-Orient soit équilibrée.
Parce que la France est généreuse avec les Palestiniens, elle peut leur faire passer un message : ils doivent accepter l’existence à leurs côtés des voisins israéliens.
Et cette acceptation implique que M. Arafat fasse taire ses terroristes en les arrêtant. Tous les dirigeants arabes, sans aucune exception, savent utiliser la manière forte, voire très forte, avec leurs opposants. Il n’y aura la paix que lorsque M. Arafat fera de même.
Nous sommes sensibles aux souffrances du peuple palestinien. Le fanatisme est le résultat du malheur des hommes et de l’absence de perspectives. Nous souhaitons qu’il soit mis un terme à l’enchaînement du malheur. La France devrait exercer son influence pour que les manuels scolaires, et les discours, et les prêches, enseignent au peuple palestinien que la paix est possible, que la coexistence est nécessaire, qu’il existe un avenir à condition d’accepter l’existence de l’autre.
Vis-à-vis des Israéliens, ce que souhaite le Crif, c’est que la France fasse quelques gestes significatifs. Par exemple, en acceptant le demi million d’Israéliens francophones dans la Francophonie.
Le Quai d’Orsay est la vitrine de la France dans le monde. A-t-on vu la France prendre parti entre l’Inde et le Pakistan, ou entre la Grande-Bretagne et l’Irlande, ou entre la Grèce et la Turquie ?
Ceux qui, dans nos chancelleries, critiquent les violations du droit humanitaire international qui seraient commises par Israël, auront un immense champ d’action, s’ils se donnent la peine d’élargir leur champ de vision.
Nous pouvons comprendre la nécessité d’initiatives de paix, et les efforts déployés par la France en vue de la création d’un état palestinien.
En contrepartie, ne pourrait-on espérer que la France soit la première puissance mondiale à prendre l’initiative de reconnaître formellement un fait simple, réel, c’est que Jérusalem, est la capitale de l’Etat d’Israël ?
Nous sommes une petite partie de la nation, mais une partie agissante, qui apporte sa contribution à l’harmonie nationale dans le respect mutuel des convictions.
Nos pensées restent fidèles à notre culture, à nos traditions, à nos martyrs, dans une démarche citoyenne conforme aux traditions républicaines.
Nous voulons une France forte, juste, fraternelle, tournée sans frilosité vers l’avenir de tous nos enfants.
Nous souhaitons la sécurité et la paix pour la France, pour Israël et pour le monde.
Merci, Monsieur le Premier Ministre, de nous écouter, et j’espère de nous entendre.