Discours du Président du Crif lors de la commémoration du 82ème anniversaire de la rafle du Vél d'Hiv

Mardi 16 juillet 2024, s'est tenue la cérémonie nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites et d'hommage aux Justes de France, commémorant la rafle du Vél d'Hiv organisée par le Crif en collaboration avec le Ministère des Armées. Cette année, à l'approche des Jeux Olympiques, la cérémonie s'est tenue au Mémorial de la Shoah. À cette occasion, le Président du Crif a prononcé un discours fort et engagé, dans un contexte national et international difficile.
 

Mesdames et Messieurs,

« Le sport, c’est, par excellence, l’activité désintéressée. Le Juif est la cupidité, l’avidité incarnée.

Le sport, c’est l’effort généreux […]. Le Juif répugne à toute espèce de fatigue physique, surtout dénuée de profit. […]

On peut tout falsifier, mais on ne peut faire que, dans une course en ligne, le second arrive premier. […] L’austérité, l’abstinence, les sévérités d’un régime ne sont pas les faits du sémite. »

Voilà les mots avec lesquels le magazine de l’Institut d’étude des questions juives, « Revivre » – l’ancien Cahier jaune – ouvrait en 1943 son numéro spécial sur les Juifs et le sport.

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Chers amis,

Les préparatifs des Jeux Olympiques (JO) nous ont amenés cette année à nous retrouver pour notre cérémonie, ici, au Mémorial de la Shoah, et non sur les lieux de l’ancien Vélodrome d’Hiver. Comme un clin d’œil de l’Histoire. Avant de devenir le symbole de la trahison de la France, le Vél d’Hiv était bien dédié au sport, des courses cyclistes aux matchs de boxe.

Le 16 juillet 1942, les hommes ont fait de ce lieu de ferveur populaire, le théâtre d’une ferveur mortifère, celle d’un crime contre l’humanité. Au Vél d’Hiv, c’est la France qui sombrait, la France comme l’exprimera le président Jacques Chirac, « accomplissait l'irréparable ».

Le soir du 15 juillet 1942, les enfants juifs de Paris et des environs vont se coucher. Ils ignorent que 4 115 d’entre eux ne dormiront plus jamais dans leur lit. Cette rafle, rappelons-le sans cesse, fut organisée par la police française, sous la direction du chef du gouvernement Pierre Laval, et avec l’accord de Philippe Pétain.

76 000 Juifs sont déportés de France. Six millions de Juifs sont assassinés pendant la Shoah. Nous en sommes tous les héritiers, en tant que Français, et en tant qu’Européens. Voilà le sens de cette cérémonie nationale.

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Chers amis, n’en déplaise aux idéologues de l’Institut d’études des questions juives et aux journalistes zélés du Cahier jaune, que j’évoquais tout à l’heure, il se trouvait parmi ces Juifs condamnés à être réduits en cendres, des athlètes, professionnels ou amateurs, aux résultats de premier plan comme aux performances modestes.

Car, oui, inspirés par la résistance physique de la figure antique de Bar Kochba, ou répondant à l’appel au « judaïsme du muscle » lancé par Max Nordau lors du 2ème Congrès sioniste en 1898, ou encore membres des clubs Maccabi ou Hapoel qui se créent partout en Europe, des Juifs ont choisi de faire de leur corps l’instrument de leur émancipation. Ils ont apporté le plus cinglant des démentis aux préjugés antisémites.

Pensons par exemple à la fabuleuse équipe féminine de gymnastique des Pays-Bas, médaillée d’or aux JO d’Amsterdam en 1928. Parmi elles, Stella Agsteribbe fut déportée et assassinée à Auschwitz. Ses coéquipières Jud Simons, Anna Polak et Helena Nordheim, ainsi que leur entraîneur Gerrit Kleerekoper, furent déportés et assassinés à Sobibor. Seule Elka de Levie survivra à la Shoah.

En France, il y eut aussi le nageur Alfred Nakache, seul rescapé des camps à participer aux Jeux Olympiques de Londres en 1948 ou, bien-sûr, le célèbre boxeur Young Perez. Avec son mètre 55, le little big man du ring, devint en 1931 le plus jeune champion du monde poids mouche de l’Histoire. Déporté à Auschwitz, utilisé pour distraire les officiers nazis dans des combats inégaux contre des poids lourds allemands, Young Perez mourra abattu pendant les Marches de la mort, en janvier 1945.

En Hongrie, Attila Petschauer, escrimeur surdoué, double médaillé d’or olympique en 1928 et 1932, était surnommé le nouveau D’Artagnan. Suspendu à un arbre dans un camp de travaux forcés en Ukraine, il fut aspergé d’eau par ses tortionnaires pour que son corps glace et que mort s’en suive.

C’est le lutteur Karoly Karpati, lui aussi Juif hongrois, qui raconte la mort atroce de son camarade dans ses mémoires. Karpati, lui, avait arraché, la médaille d’or à un lutteur allemand aux JO de Berlin en 1936, devant une foule nazie au comble de la haine.

L’exploit de Karpati rappelle celui de Jesse Owens : cet athlète américain, à la peau noire, qui conquit quatre médailles d’or, devant la même foule fanatique, et sous les yeux d’Hitler.

Si le sport peut souvent s’accommoder de bien des compromis idéologiques, l’Histoire nous apprend aussi que des sportifs ont su mettre leur abnégation physique au service de leur esprit de résistance.

C’est cette alliance de la force de caractère et de la persévérance qu’incarne notre ami Léon Lewkowicz, qui nous avons eu le privilège d’entendre ce matin.

Léon, qui, accueilli par l’œuvre de secours aux enfants (OSE) après la guerre, a trouvé la force de devenir champion de France poids et haltères.

Léon, qui, en janvier dernier, a éclairé de son témoignage le déplacement à Auschwitz Birkenau d’une délégation d’athlètes et de responsables de fédérations sportives, emmenés par le Crif.

Léon, qui hier a fait honneur à notre pays en acceptant de porter la flamme olympique, précisément devant l’emplacement du Vél d’Hiv, comme le fit la veille un autre rescapé, Léon Placek, devant le Mémorial de la Shoah. Jamais peut-être le message humaniste du relais de la flamme olympique ne fut aussi juste et aussi puissant.

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Chers amis,

Les Jeux Olympiques sont une fête, le théâtre de belles épopées et parfois, de terrifiantes tragédies.

Le 5 septembre 1972, des commandos terroristes palestiniens prennent en otage des athlètes israéliens dans le village olympique à Munich. Onze athlètes et un policier sont tués, laissant l’empreinte indélébile du terrorisme sur les Jeux Olympiques.

Ce même terrorisme, le 7 octobre dernier, au nom du Hamas, a arraché la vie à près de 1 200 Israéliens, avec comme matrice toujours la haine des Juifs. Il a provoqué un séisme en Israël. Depuis, partout dans le monde, l’onde de choc du 7 octobre ne cesse de se propager.

Nous, Français juifs, vivons tourmentés, entre sentiment de solitude, inquiétude et colère : peur pour les otages, solidarité avec leurs familles, angoisse pour l’avenir du seul État juif. Inquiétude aussi pour tous les civils, israéliens comme palestiniens, y compris donc ceux de Gaza, sacrifiés et jetés dans la guerre par le Hamas.

Et, bien-sûr, le malaise pour nos enfants, dans les rues de France, assignés à un conflit qui se déroule à 3 000 kilomètres et livrés aux raccourcis coupables de la meute antisémite. Depuis la Shoah, jamais autant d’actes et de propos violents n’ont été commis contre des Juifs en France. La France n’est pas un pays antisémite mais les Français juifs font face à des antisémites décomplexés qui taguent, menacent, insultent, agressent, parfois violent et un jour peut-être, tueront, à nouveau comme ils l’ont déjà fait.

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Chers amis,

Des dynamiteurs de démocratie, dans notre pays, ont sauté sur les peurs et les fantasmes nés du 7 octobre en vue de se bâtir un destin.

Ainsi, La France insoumise (LFI), n’a cessé de placer la haine d’Israël, masquée derrière une solidarité de façade avec Gaza, au centre du débat public, dans les rues, dans les universités. Dans une tragique inversion accusatoire, le terme de génocide, dévoyé, est un champ de bataille politique et idéologique. Cette accusation mensongère contre Israël est devenue un cri de ralliement haineux contre les Juifs.

Jean-Luc Mélenchon, Rima Hassan et quelques autres ont attisé le retour de l’antisémitisme non pas au pouvoir, mais dans les rues de France. Ils portent une responsabilité dans la flambée d’antisémitisme dans notre pays.

Ils portent aussi une responsabilité dans la progression du Rassemblement national (RN), qui profite des outrances de LFI pour avancer dans son entreprise de normalisation. Marine Le Pen prétend désormais se présenter comme le rempart contre l’antisémitisme. L’Histoire démontre pourtant que jamais le populisme n’a protégé les Juifs.

Voilà le sentiment de solitude républicaine des Juifs, pris en étau entre les illusions du populisme et des agitateurs galvanisés à la haine d’Israël.

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Cet étau est le même que celui qui menaçait de renverser la table dans les urnes il y a dix jours. Mais les Français, jetés dans la tourmente politique d’une dissolution fracassante, ont déjoué les pronostics et maintenu, malgré tout, une majorité de députés n’appartenant à aucun des extrêmes.

Les Français, en démontrant leur préférence pour une démocratie raisonnée, rappellent à l’ordre les responsables politiques. À eux de se montrer à la hauteur de l’époque, à eux d’être à la hauteur des citoyens.

Certains ont plié, ont courbé leurs dos et leurs esprits, comme ceux qui se sont précipités au RN pensant rejoindre la victoire.

Mais je le dis ici aussi avec toute la clarté nécessaire : la gauche républicaine a trahi ses valeurs et son histoire en acceptant de nouer un accord avec La France insoumise. Comment cette gauche, dont la lutte contre l’antisémitisme est un marqueur fondamental depuis l’Affaire Dreyfus, peut-elle pactiser avec LFI, sa rhétorique antisémite et sa culture de la violence ?

Péguy prévenait : « Le triomphe des démagogies est passager, mais les ruines sont éternelles ». LFI n’a pas sa place au gouvernement. Il est encore temps pour la gauche universaliste de lui tourner le dos, pour l’honneur de la gauche, pour l’honneur de la République tout entière.

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Il était possible de résister. Il est toujours possible de résister.

Beaucoup de citoyens l’on fait, en votant contre leurs convictions, mais pour la République. Beaucoup aussi ont milité, pour convaincre autour d’eux de l’urgence de la situation.

Les institutions juives de France, elles, ont réaffirmé le choix de la République et se sont largement exprimées : le Crif dont c’est la responsabilité historique mais aussi le Grand rabbin de France, le Consistoire, le Fonds social juif unifié (FSJU), l’Union des étudiants juifs de France (UEJF), le B’nai B’rith, l’OSE, le Mémorial de la Shoah... et tant d’autres qui ont refusé toutes les compromissions.

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Chers amis,

Les nuages continuent d’assombrir l’avenir de la France et, dans ce Mémorial comme au Vél d’Hiv, nous savons combien les démocraties sont fragiles.

« Il serait indigne de se laisser accabler par les malheurs de notre génération et les périls du proche avenir au point de se fermer à l’espérance. Mais il ne le serait guère moins de s’abandonner à l’utopie et de méconnaître les déchirements de notre condition. » nous enseignait Raymond Aron.

Ni angélisme, ni renoncement,

Ni illusion, ni fatalisme,

Forts de l’esprit de résistance de nos aînés,

Nous sommes déterminés à persévérer,

Pour la Mémoire des victimes de la rafle du Vél d’Hiv,

Contre la haine, et pour la République.

 

Yonathan Arfi, Président du Crif