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Publié le 23 septembre dans Le Monde
Après deux jours de débats, parfois animés, l’Assemblée nationale a adopté, mercredi 22 septembre en première lecture, le premier volet du projet de loi relatif à l’irresponsabilité pénale et à la sécurité intérieure.
Porté par le garde des sceaux, Eric Dupond-Moretti, ce texte intervient après le vif émoi suscité par l’affaire Sarah Halimi. Cette retraitée, de confession juive, avait été assassinée par son voisin Kobili Traoré, en avril 2017. Dans un arrêt du 14 avril 2021, la Cour de cassation a entériné une décision de la cour d’appel de Paris ayant conclu à l’irresponsabilité pénale du meurtrier, atteint de « bouffées délirantes » et sous l’emprise d’une forte consommation de cannabis. Dans la foulée, Emmanuel Macron avait demandé à son ministre de la justice une modification de la loi en vue de combler un « vide juridique ».
A l’ouverture de la séance mardi 21 septembre, le garde des sceaux a rappelé face aux députés la mission qui lui a été confiée : « Le président de la République m’a donné mandat pour faire évoluer le régime de l’irresponsabilité pénale en comblant ses lacunes. » Une « nécessité » de réformer la loi, qu’il entreprend avec une « extrême prudence » car « en démocratie, on ne juge pas les fous ». Le ministre de la justice a, par ailleurs, résumé l’objectif des discussions qui allaient suivre : « Il nous faut pouvoir faire la distinction entre l’individu qui, atteint d’une pathologie psychiatrique, commet des faits répréhensibles, et celui qui doit sa folie à la consommation volontaire de produits psychotropes. »
Jusqu’alors, le premier alinéa de l’article 122-1 du code pénal ne faisait pas de distinction selon l’origine du trouble provoquant l’abolition du discernement : « N’est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d’un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. »
Actes de torture et viols inclus
Seuls les trois premiers articles, sur les vingt que comprend le projet de loi, portent sur l’irresponsabilité pénale. Adopté mercredi par une très large majorité des députés – à 72 voix pour, 5 voix contre et 4 abstentions –, l’article 2 est la disposition qui a provoqué les plus vives réactions dans l’Hémicycle. Par ce texte, deux nouvelles infractions spécifiques sont créées afin de réprimer la prise délibérée de produits psychoactifs tels que les drogues ou l’alcool par une personne « ayant connaissance du fait que cette consommation est susceptible de la conduire à commettre des atteintes à la vie ou à l’intégrité d’autrui », si cette consommation a mené à une abolition du discernement pendant laquelle la personne a commis un homicide volontaire ou des violences « dont elle est déclarée pénalement irresponsable ». Selon le préjudice, les peines peuvent s’étendre de deux ans à dix ans de prison et sont portées à quinze ans de réclusion criminelle en cas d’homicide commis par une personne ayant déjà été jugée irresponsable d’un homicide perpétré dans ces mêmes circonstances.
Lors du débat, l’article 2 a été enrichi d’un élargissement incluant les actes de torture, de barbarie et les viols, à l’initiative de la majorité. « La volonté de lutter de façon efficace contre les crimes sexuels impose la création d’une infraction correspondant à cette hypothèse, a avancé la députée LRM Blandine Brocard. Il arrive fréquemment que des auteurs de viols soient déclarés pénalement irresponsables en raison d’un trouble mental. Cela correspond à environ 8 % des décisions d’irresponsabilité pénale. »
Par l’adoption de ce texte, ce n’est donc pas le crime commis en l’absence de discernement mais la cause de cette abolition de discernement qui est punie. Si, à la droite de l’Hémicycle, les nombreux amendements sont allés dans le sens d’un allongement des peines prévues et d’un abandon total de l’irresponsabilité pénale en cas de consommation volontaire de « psychotropes », à gauche, les députés ont dénoncé un « contournement » qui n’aurait, selon le député de La France insoumise Ugo Bernalicis, rien apporté à l’affaire Sarah Halimi. Ce qu’a reconnu du bout des lèvres le gouvernement. « Aujourd’hui, nous légiférons également – et même surtout – pour l’avenir », a argumenté la députée LRM Laetitia Avia.
« Stigmatisation des fous »
Danièle Obono (LFI), pour sa part, y voit « une commande politique » plutôt qu’« une nécessité du droit ». « Vous voulez combler des trous dans la raquette qui n’existent pas ! », a-t-elle martelé, avant de poursuivre : « Vous allez chercher des raisons externes à l’abolition du discernement au moment de la commission de l’acte, pour contourner ce principe. C’est ce que vous ont dit, vous ne pouvez pas le réfuter, l’ensemble des spécialistes, notamment les psychiatres. » Des arguments déjà émis par le Syndicat de la magistrature qui, s’appuyant sur les travaux sur l’irresponsabilité pénale de la commission des lois présidée par Dominique Raimbourg et Philippe Houillon, dénonce « une série de confusions ». « Le dispositif de l’article 2 va très loin dans la stigmatisation des fous », avertit l’organisation syndicale.
Ce jeudi, l’examen du projet de loi et de ses 412 amendements doit se poursuivre à l’Assemblée nationale. Le débat porte désormais sur le second volet – majoritaire – relatif aux atteintes commises contre les forces de sécurité intérieure.