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Publié le 21 avril dans La Règle du Jeu
L'effroi de la jurisprudence de la Cour de cassation a glacé la Nation française. Derrière les circonvolutions juridiques et les fausses habilités pour masquer le naufrage, les conséquences de cette jurisprudence sont terribles.
Un élément de contexte tout d’abord, dans le cadre d’un crime perpétré contre une personne de confession juive, l’irresponsabilité des tueurs est reconnue dans 15% des cas. Ce taux ne s’élève qu’à 1% en dehors de cette appartenance religieuse.
Quant aux faits ayant conduit à la mort de Sarah Halimi ils sont les suivants :
Dans la nuit du 3 au 4 avril 2017, dans le 11ème arrondissement à Paris, le tueur sonnait chez son voisin, qui lui ouvrait la porte. La fille de ce voisin appelait la police à 4h25 et indiquait, selon l’enregistrement de l’appel effectué, qu’elle était séquestrée avec sa famille.
Les policiers de la brigade anti-criminalité, arrivaient sur place, entendaient le tueur hurlant et récitant des prières en arabe, sans pouvoir immédiatement ouvrir la porte du domicile. Dans le même temps, le tueur s’introduisait dans le domicile de madame Halimi en passant par le balcon.
Il était ensuite aperçu par un témoin des faits, réveillé par des gémissements assez forts provenant de l’appartement de Sarah Halimi, en train de donner des coups sur le visage et le corps de la victime avec un acharnement que le témoin qualifiait de « bestial », en criant notamment « tu vas fermer ta gueule, grosse pute, salope, tu vas payer ».
Selon le témoin, il hurla à plusieurs reprises « Allah Akbar » et « que Dieu me soit témoin » en continuant à frapper. Il saisissait ensuite madame Halimi par les poignets, la soulevait et faisait basculer son corps par-dessus la rambarde du balcon. La victime tombait depuis le troisième étage au sol, dans le jardin de la résidence de l’immeuble, et une voisine entendit le tueur, étonnamment conscient, dire « appelez la police, elle s’est suicidée ».
Le corps de la victime était immédiatement découvert par les policiers, arrivés sur place après avoir été appelés par des voisins.
L’autopsie du corps de la victime conclut que la mort était due à un polytraumatisme par chute d’un lieu élevé. Des traumatismes cranio-faciaux avec hémorragie, de très nombreuses fractures sur l’ensemble du corps ainsi que des lésions de prise identifiables étaient relevées.
L’expert estimera que la chute avait eu lieu alors que madame Halimi était encore vivante.
Le tueur regagnait ensuite l’appartement de son voisin. Il était finalement interpellé à 5h35, soit plus d’une heure après le premier appel, dans la pièce principale, où les policiers, qui étaient parvenus à forcer la porte, le découvraient en train de réciter des prières en arabe. Voilà les faits décrits dans les rapports de police.
Face à l’horreur, la réponse de l’institution judiciaire fut celle que nous connaissons. La Cour de cassation concluait à l’irresponsabilité du tueur, écartant par la même toute possibilité d’organiser son procès devant les juridictions pénales.
Terrible absence, qui heurte profondément une Nation au nom de laquelle la justice est rendue.
Pourtant la reconnaissance de cette irresponsabilité n’est pas sans laisser subsister des interrogations et des doutes quant à sa légitimité.
Première conséquence, si on met de côté les apparences et le verni, la prise de cannabis est désormais une cause exonératoire de responsabilité dans l’hypothèse d’une bouffée délirante.
Au motif que le tueur ne pouvait pas prévoir que la drogue allait amener ces effets, la Cour considère que son discernement était aboli et interdit la tenue d’un procès. Cette situation remet en cause un principe cardinal, issu du droit romain, et d’application constante depuis maintenant vingt siècles : « Nemo auditur propriam suam turpitudinem allegans » (« nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude »).
Voilà que désormais la Cour de cassation inverse ce principe et trouve dans les turpitudes droguées de l’auteur, le fondement de son irresponsabilité. Tragique inversion qui ouvre la voie au pire…
D’autant que le raisonnement de la Cour conduit à considérer qu’un drogué ignore les effets de la drogue et des risques qu’il y a à en consommer. Cela serait comique si ce n’était pas tragique.
Deuxième conséquence, l’institution judiciaire manifestement mal à l’aise, manie l’art de la synthèse molle quitte à insulter la logique.
Comment un crime peut être antisémite, et pourtant délirant ? L’antisémitisme nécessite une pensée, la bouée délirante son absence.
Ces deux qualifications sont alternatives et exclusives.
La Cour de cassation, ne rend même pas une jurisprudence byzantine ou abscons, elle refuse toute logique pour sauver l’institution dont elle a la garde, au mépris de la logique. Car nous ne saurons désormais jamais pourquoi une heure a pu s’écouler entre l’appel aux forces de l’ordre et l’arrestation du tueur. Qu’ont fait les policiers sur place ? D’autres questions ne connaîtront guère de réponse : Quid de la fréquentation par le tueur d’une mosquée salafiste ?
La justice, à grand renfort de paralogismes, nous propose de circuler car, selon elle, il n’y aurait rien à voir…
Troisième conséquence, on a vu très vite apparaître, telle une réaction pavlovienne, des légitimistes de tous pôles, des zélotes du juridique et des antisémites qui trouvaient là une raison d’exister, l’argument simpliste du : « on ne juge pas les fous ». C’est là un faux argument.
Car personne ne demande à ce qu’on juge un fou. La Question qui se pose est : qu’est-ce que la société et l’institution judiciaire considèrent comme fous ? Quelles sont les limites que nous souhaitons entre la raison et la déraison ? On connaît depuis les travaux de Michel Foucault, le rapport instrumental du Pouvoir à la folie, la délimitation de la déraison permettant notamment le renforcement du pouvoir judiciaire.
Malheureusement l’affaire Sarah Halimi en est la parfaite illustration.
Quatrième élément que nous ne pouvons passer sous silence, le communiqué de presse de la Cour de cassation qui est aussi pitoyable qu’infamant.
Tout d’abord, la Cour considère que : « La chambre de l’instruction a placé cet homme en soins psychiatriques contraints sous la forme d’une hospitalisation complète et l’a soumis à une interdiction d’entrer en contact avec les parties civiles et de paraître sur le lieu des faits pendant vingt ans. »
De qui se moque-t-on ? Quelles sont les sanctions qu’il encourt, puisque irresponsable ? Ou bien pourrait-il être tenu pour responsable d’avoir contacté la famille mais non d’avoir tué Sarah Halimi ? La Cour transforme notre droit pénal en déclaration d’intention.
Enfin un point plus juridique : la Cour argumente que cette jurisprudence a été tenue « en cohérence avec des jurisprudences antérieures » et qu’il ne lui appartenait pas de « distinguer là où le législateur a choisi de ne pas distinguer ». Argument fallacieux, la Cour passe son temps, dans le silence du législateur, à distinguer, à créer des catégories juridiques et des régimes juridiques. Cette activité porte même un nom et constitue son cœur de métier : la jurisprudence. En l’espèce il s’agirait même, quand elle revient sur ses précédentes assertions, d’un revirement de jurisprudence.
Face à ce couperet, il ne reste qu’à espérer que cet appel au législateur de la Cour de cassation soit entendu. Afin non pas qu’on juge les fous, mais qu’on supprime de notre ordre juridique cette jurisprudence honteuse, qui sera, nous le craignions, interprétée comme un passeport pour tuer…
Marc Sztulman, avocat, secrétaire général du Crif Toulouse