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Publié le 13 février dans L'Opinion
Les faits - Le traditionnel dîner du Crif aura lieu le 24 février, à 50 jours du premier tour de l'élection présidentielle. Francis Kalifat, son président, annonce : ni Jean-Luc Mélenchon, ni Marine Le Pen, et ni Eric Zemmour ne seront invités. Il s’explique.
Le traditionnel dîner du Crif aura lieu le 24 février. Qui avez-vous invité, mais aussi, qui n’avez-vous pas invité ? Et pourquoi ?
En effet, notre dîner annuel se tiendra le 24 février, à 50 jours du premier tour de l’élection présidentielle, en présence du Président de la République et de l’ensemble des candidats, à l’exception de ceux que nous considérons hors du champ républicain.
Ce dîner se tiendra dans un contexte particulier de tensions sociales et sanitaires mais aussi internationales avec la crise ukrainienne.
Traditionnellement, nous invitons dans leur diversité les acteurs politiques de notre pays, majorité et opposition, avec lesquels nous entretenons des relations. Ce qui implique que les partis extrêmes, qu’ils soient de droite ou de gauche, ne sont pas invités puisque nous n’avons ni relation ni échange.
Le dîner du Crif est un dîner républicain et à la table républicaine, les extrêmes n’ont pas leur place. Mais bien sûr, au-delà du monde politique, toutes les composantes de la société seront présentes. Le monde religieux, syndical, intellectuel, artistique, médiatique, économique, judiciaire, diplomatique etc.
Éric Zemmour sera-t-il invité ?
A mes yeux, Éric Zemmour n’est pas un cas particulier. Je ne vois pas en lui autre chose qu’un polémiste devenu homme politique. Ce que je rejette, ce sont ses idées et ses références politiques qui le placent en héritier de Maurras et de Jean-Marie Le Pen donc hors du champ républicain.
Par ses positions extrêmes, il s’est placé à la droite de Marine Le Pen. Par ses tentatives de réécriture de l’histoire, il s’est installé en chef de file du révisionnisme dans notre pays. La brutalité de son discours, confondant souvent Islam et islamisme, sa volonté d’abroger les lois mémorielles, ses propos sur Pétain, qu’il cherche au fond à réhabiliter, sur Dreyfus, dont il interroge l’innocence, sur les victimes de Toulouse mises en équivalence avec leur bourreau et contestées dans leur appartenance à la communauté nationale parce qu’enterrées en Israël, etc… Tout cela en fait un invité indésirable au dîner du Crif.
Par ailleurs, ni Marine Le Pen, ni Jean-Luc Mélenchon, ne font partie de la liste des invités car le rejet des extrêmes est pour nous un impératif moral et politique.
Quel regard portez-vous sur la campagne présidentielle ?
Un regard inquiet face aux fractures de la société et à la multiplication et la progression des extrêmes. Nous avions dans notre pays un parti d’extrême droite et aujourd’hui, il y en a deux, le Rassemblement national de Marine Le Pen et Reconquête ! d’Éric Zemmour. Si on ajoute la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon, à l’extrême gauche, les partis extrêmes totalisent autour de 40 % d’intentions de votes. C’est une véritable inquiétude pour nous, pour la France et pour la démocratie.
L’irruption d’Eric Zemmour dans le débat politique a fixé le tempo, et l’immigration est devenue le sujet essentiel du débat. Certes, la question est importante et elle doit être traitée avec sérieux et responsabilité, sans hystérisation. Cependant, il est utile de rappeler que le pouvoir d’achat et la santé restent les préoccupations premières des Français. Je ne crois pas, comme certains nous le prédisent, qu’en réglant le problème de l’immigration, tous les problèmes de la France seront réglés. Il faut raison garder.
« Nous, Français juifs, nous sommes pris entre l’antisémitisme traditionnel surreprésenté à l’extrême droite, et l’antisémitisme antisioniste surreprésenté à l’extrême gauche. A cela s’ajoute un antisémitisme d’une partie des jeunes musulmans entre 15 et 25 ans dans les “quartiers” et notre statut de cible privilégiée des islamistes »
Vous dites que jusqu’à 45 % des Français envisagent de voter pour un extrême. Pourquoi, selon vous ?
La société française est en crise profonde. Elle doute de son modèle et de son propre destin et la colère domine. Lorsque la société est éruptive, les extrêmes progressent et se renforcent, il y a danger pour la démocratie. Après l’épisode des gilets jaunes et les tentatives de récupération du mouvement par l’extrême droite et l’extrême gauche, nous avons eu la crise sanitaire et son cortège de contestations et de débordements ; contre le confinement, le vaccin, le passe sanitaire et le passe vaccinal.
Tout en faisant preuve d’une grande résilience, les Français vivent avec un sentiment de fatigue, de lassitude et d’incertitude. Des pans entiers de la société française sont dans la défiance, la colère, parfois le complotisme. On sent monter une crainte pour l’avenir. Notre nation prend la forme d’un archipel, comme l’a décrit Jérôme Fourquet (directeur du département opinion et stratégies d’entreprise de l’institut de sondages IFOP, auteur de L’Archipel Français, éditions du Seuil).
L’histoire nous a souvent montré que lorsqu’une société est malade elle cherche des boucs émissaires. Elle se tourne très souvent contre les Juifs et l’antisémitisme progresse.
Vous dites que l’antisémitisme est en progression. Que se passe-t-il ?
L’antisémitisme est un cancer qui gangrène la société. Nous, Français juifs, nous sommes pris entre l’antisémitisme traditionnel surreprésenté à l’extrême droite, et l’antisémitisme antisioniste surreprésenté à l’extrême gauche. A cela s’ajoute un antisémitisme d’une partie des jeunes musulmans entre 15 et 25 ans dans les « quartiers » et notre statut de cible privilégiée des islamistes. Le dernier rapport du ministère de l’intérieur comptabilise 589 actes et violences antisémites en 2021 en hausse de 73 % sur 2020.
De plus, ce même rapport nous apprend que 75 % de la totalité des violences antireligieuses contre les personnes ont visé les Français Juifs, qui représentent à peine 0,7 % de la population française.
On ne peut plus accepter que d’année en année, les Français Juifs subissent entre 40 et 50 % de la totalité des actes racistes antireligieux comptabilisés dans notre pays. J’ai une inquiétude sérieuse face à la persistance de cet antisémitisme qui, malgré les différents plans de lutte qui ont été mis en place, ne recule pas.
N’est-il pas temps de s’interroger sur la pertinence de ces plans. Si chacune des haines qui traversent notre société doit être combattue avec la même détermination et sans aucune hiérarchie, l’efficacité commande que l’on puisse avoir un plan spécifique de lutte contre l’antisémitisme. On ne peut pas traiter toutes les maladies avec le même remède.