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Publié le 22 Juillet 2019

Vel d'hiv - Discours de Francis Kalifat à la cérémonie nationale commémorant le Vel d'Hiv

Découvrez l'intégralité du discours de Francis Kalifat, Président du Crif, à la cérémonie nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites et d'hommage aux Justes de France, commémorant la rafle du Vel d’Hiv, hier, le dimanche 21 juillet 2019.

Cérémonie nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites et d'hommage aux Justes de France, commémorant la rafle du Vel d’Hiv

21 juillet 2019

Discours de Francis Kalifat, Président du Crif

"Chaque année nous nous retrouvons ici, pour nous souvenir et rappeler les rafles des 16 et 17 juillet 1942 mais aussi pour fixer les bornes symboliques qui permettent de prévenir l’oubli.

L’oubli qui guette le moment opportun ou les témoins ne seront plus.

L’oubli qui séduit, l’oubli qui charrie dans son sillon les ombres malveillantes de ceux qui veulent passer à autre chose, l’oubli qui cède la place à une révision de l’histoire, 

L’oubli si contraire à la tradition juive qui nous ordonne ZAKHOR, souviens toi.

Mes chers amis survivants de la Shoah, c’est votre inlassable détermination qui a rendu au Vel d’Hiv une histoire puis une mémoire. Celles et ceux qui ont vécu les terribles journées des 16 et 17 juillet 1942 s’en souviennent parfaitement. J’ai choisi les mots d’Arlette et Charles Testyler tirés de leur livre « Les enfants aussi ! », pour nous donner aujourd’hui la précision de ce souvenir :

« Vers trois ou quatre heures du matin (…) on frappa avec insistance à la porte. Deux policiers revêtus d’une pèlerine et coiffés d’un képi se campaient dans l’embrassure de la porte ». L’un d’eux tenait une fiche à la main. « On vient chercher Abraham Reinman ! » « Mais messieurs mon mari n’est plus ici, vous l’avez déjà arrêté et envoyé au camp de Pithiviers ». « Très bien alors c’est vous qu’on emmène ! Vous avez cinq minutes pour préparer un bagage, avec le nécessaire pour deux jours. Nous emmenons les enfants aussi, à savoir Madeleine Reinman et Arlette Reinman. » (…) Sous les hurlements de la police française, lors d’un court arrêt dans une rue que je ne connaissais pas, les autobus déversèrent les familles devant une immense bâtisse. » Cette immense bâtisse c’était le vélodrome d’hiver.

Le Vel d’Hiv est une histoire française. Les 16 et 17 juillet 1942 sont de ces journées qui ont défait la France. 

13 152 juifs, dont 4115 enfants, sont arrêtés immeuble par immeuble par la police française. Les familles sont entassées au Vel d’Hiv, les couples sans enfants et les célibataires sont internés à Drancy. Ils seront déportés à Auschwitz, les uns depuis les camps du Loiret, Pithiviers et Beaune la Rolande les autres depuis Drancy.

Ce qui s’y est passé a été dénoncé et raconté par une femme d’exception, Denise Tavernier. Le 16 juillet 1942, assistante sociale stagiaire à la préfecture de police de Paris, elle est envoyée au Vel d'Hiv à la demande de la Croix Rouge;elle décrit : « Des gens étaient couchés par terre. D'autres se tenaient debout, gesticulant. De petits enfants, dans les bras de leur mère, pleuraient. Je suis alors abasourdie. On me demande à boire, à manger. Je me rends compte de mon inutilité » ajoutant plus tard : « Il y a des moments où on n’est pas fier d’être français ! » 

C’est cette fierté d’être Français que nous ressentons aujourd’hui en évoquant  ces femmes et hommes de tous milieux,  qui au risque de leurs vies, ont eu  le courage exceptionnel de cacher, de nourrir, et de sauver des camps de la mort une partie de ceux dont le seul crime fut d'être juif. 

Ces Français élevés au rang de Justes parmi les Nations, sont l’espoir forgé dans l’humanisme des Lumières sur lequel notre République s’est construite. L’aide, le soutien, l’empathie ont eu mille visages.

Ils eurent le visage amical du Capitaine Pierret, témoin du désespoir des internés du Vel d’Hiv et qui bravant l’opposition d’un officier de la garde républicaine, prit la décision d’ouvrir les vannes pour leur donner à boire de l’eau. Lui et ses hommes reçurent des centaines de petits messages griffonnés à la hâte, qu’ils s’appliquèrent dès le lendemain à poster et distribuer. Son fils, Alain présent parmi nous ce matin, a été ambassadeur de France en Israël.

Ils eurent le visage résistant de Rémy Dumoncel, Juste parmi les Nations, dont nous honorons la mémoire ce matin en même temps que celle des 4099 Justes de France.

Ils eurent le visage combattant de Georges Loinger, grand résistant juif qui sauva près de 400 enfants les faisant passer en Suisse.

Ils eurent la voix de la protestation, de ce « Non Possumus », cette lettre pastorale « lue en chaire le dimanche 23 août 1942 » rédigée par Mgr Saliège, Archevêque de Toulouse.

Ils furent le cri de Jan Karski en 1942 pour témoigner du génocide et se heurtant à l’incompréhension des alliés. La ville de  Paris a honoré sa mémoire le 17 juin dernier et uneplace du 10ième arrondissement porte aujourd’hui son nom.

Tous, ont été ces étincelles d’humanité dans la nuit nazie.

Depuis le discours historique du Président Jacques Chirac en 1995, tous les Présidents de la République ont eu le courage de la vérité. L’an dernier, le Premier ministre Edouard Philippe a rappelé cette continuité républicaine tout en pointant l’importance d’une mémoire vivante. Cette mémoire, que nous perpétuons, est présente en nous comme constitutives de notre histoire. 

Madame la Ministre, les douze mois qui nous séparent de la commémoration ici-même l’an dernier en présence du Premier Ministre ont démontré une nouvelle fois que l’antisémitisme se porte de mieux en mieux dans notre pays. Loin d’être relégué aux livres d’histoire, il reste malheureusement d’une inquiétante actualité.

Depuis le début des années 2000 notre situation de Français juifs se dégrade en pente douce ou par à-coups, en silence ou à la une des médias, de meurtre en meurtre et sans sursaut durable.

Le premier semestre 2019 ne montre malheureusement aucune amélioration bien au contraire. Comme les années précédentes, des Français juifs ont été insultés, harcelés, menacés, volés, agressés ou frappés parce que juifs. Et lors de mes nombreux déplacements à Paris,en banlieue ou en région, j’entends de plus en plus de Français juifs s’inquiéter pour l’avenir de leurs enfants en France et pour la pérennité d’une vie juive dans notre pays.

En 2017 et 2018, de nouveaux paliers ont été franchi avec l’assassinat de deux vieilles dames juives, Sarah Halimi et Mireille Knoll, chez elles, à leurs domiciles.

Comment comprendre alors, l’ordonnance rendue par les juges d’instruction dans le meurtre barbare de Sarah Halimi, concluant qu’il existe des « raisons plausibles » de penser que le discernement du suspect était « aboli » au moment des faits.  Depuis le début de cette affaire nous assistons à des atermoiements qui consistent à vouloir nous présenter cet assassin comme démentalors que sa mise en scène et sa personnalité nous indiquent clairement que Sarah Halimi est une nouvelle victime du terrorisme islamiste et que ce crime est antisémite.

Pourtant si elle est sans surprise cette décision est difficilement justifiable. La prise volontaire massive de cannabis, à l’origine de la bouffée délirante, viendrait exonérer de sa responsabilité  l’assassin de Sarah Halimi, alors même que délinquant et fumeur de cannabis multi récidiviste, il n’a jamais été décelé chez lui le moindre antécédent psychiatrique. Quelle est cette nouvelle règle qui rend inapte à un jugement un assassin sous l’emprise volontaire de la drogue alors qu’elle condamne avec une plus grande sévérité un automobiliste auteur d’un accident sous l’emprise de la même drogue ?

Nous accueillons avec satisfaction l’appel du parquet devant la chambre de l’instruction, pourtant si la France est aujourd’hui sous l’émotion de ces assassinats antisémites à fort pouvoir symbolique,  il existe une continuité entre ces meurtres et les violences physiques, les mezouzot arrachées, les graffiti sur les murs, les courriers anonymes et les insultes, menaces et crachats qui font cet antisémitisme du quotidien, qui rend insupportable la vie de tant de Français juifs qui souffrent, eux, depuis des années et souvent dans l’indifférence.

Les mots sont terribles, mais ne disent rien de la vie des victimes de cet antisémitisme qui gangrène ces quartiers que l’on nomme « difficiles » et qui conduit de plus en plus de Français Juifs à un inexorable exil intérieur. Ceux qui en ont les moyens fuient. Les autres restent dans un climat hostile fait, chaque jour, d’incivilités, de menaces et de violences.

Notre pays a pris ces derniers mois des orientations positives qu’il faut aussi souligner. Je pense à la loi AVIA pour lutter contre les discours de haine sur les réseaux sociaux. C’est une étape importante, nécessaire mais insuffisante car une lutte efficace contre l’antisémitisme doit traiter tous ces ressorts. L’un d’entre eux est aujourd’hui la Shoah, lorsqu’elle est moquée, banalisée, relativiséeet, parfois, tout simplement niée. Un autre ressort, est cette haine des Juifs exprimée à travers l’obsession haineuse de l’état d’Israël, contesté dans sa légitimité, l’antisionisme qui n’est rien d’autre qu’une expression contemporaine de l’antisémitisme. Une définition de l’antisémitisme, illustrée d’exemples, fait aujourd’hui référence, celle de l’IHRA, l’Alliance Internationale pour la Mémoire de la Shoah. Elle en couvre tous les aspects, y compris le négationnisme et la haine de l’Etat Israël.

Lors du dernier dîner du Crif, le Président de la République a confirmé je cite «que la France qui l’a endossée en décembre avec ses partenaires européens mettra en œuvre la définition de l’antisémitisme adoptée par l’alliance internationale pour la mémoire de la Shoah (IHRA) pour permettre aux forces de l’ordre, aux magistrats, et aux enseignants de mieux lutter contre ceux qui se cachent derrière le rejet d’Israël la négation même de l’existence d’Israël, la haine des Juifs »

Une proposition de résolution, signée par 170 députés, reprenant la définition de l’IHRA était inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée Nationale du 29 mai dernier. Malheureusement cédant aux pressions du lobby antisioniste (qui confond sciemment délégitimation et critique  politique) et à l’activisme effréné des soutiens du mouvement délictueux d’appel au boycott d’Israël (BDS) qui prospère en toute impunité dans notre pays, son examen a été reporté  à octobre prochain à condition qu’elle soit réécrite. Cela nous inquiète car nous craignons qu’elle soit vidée de sa substance.

Douze Français Juifs femmes, hommes et enfants ont été assassinés dans notre paysdepuis le début des années 2000 au seul motif qu’ils étaient juifs. Combien de morts faudra-t-il encore pour qu’enfin on s’attaque à l’antisémitisme sous toutes ses formes et en particulier sur son aspect  le plus pernicieux qu’est l’antisionisme qualifié comme sa « forme réinventée » par le Président Emmanuel Macron ici même le 16 juillet 2017.

Nous avons besoin de résultats et d’efficacité, dans la lutte contre l’antisémitisme car les haines se nourrissent du laisser-faire, des renoncements et de l’impuissance. Le combat contre la haine doit être un combat qui fédère et unit et non pas un combat qui clive et qui divise.  Il doit être porteur d’un projet de société qui fait une place à chacun et qui donne à chacun des droits mais aussi des devoirs.  C’est le combat de la République toute entière. C’est donc le combat du Crif et à travers lui le combat des Français juifs."

Francis Kalifat, Président du Crif

Source vidéo : Ministère des Armées

Crédit photo : Erez Feld