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Avant de proposer un bilan de la situation actuelle de l'Allemagne face à l'antisémitisme, Monsieur l'Ambassadeur a choisi de mettre l'accent sur le 27 janvier, date de la Journée internationale pour les victimes de la Shoah. Une manière d'appuyer la volonté de l'Allemagne à toujours oeuvrer pour le travail de transmission de la mémoire de la Shoah.
"La Journée dédiée à la mémoire des victimes de l’Holocauste existe en Allemagne depuis 1996. Le président fédéral de l’époque, Roman Herzog, en fixa la date au 27 janvier, jour de la libération du camp d’extermination d’Auschwitz par l’Armée rouge. Cette date est désormais un événement important, un moment de recueillement en Allemagne et plus particulièrement dans le monde politique. Ce fut à nouveau le cas cette année. Une survivante de l’Holocauste, Anita Lasker-Wallfisch, âgée de 92 ans, a notamment prononcé un discours bouleversant au Bundestag, nous rappelant l’importance de ne pas oublier ce qui s’est passé et d’en transmettre le souvenir à la jeune génération.
D’ici quelques années, les voix des témoins de cette époque, d’une autorité et d’une intégrité morale incontestables, se seront éteintes. Plus que jamais, nous aurons donc le devoir de continuer à sensibiliser à l’ampleur du crime commis autrefois. En tant qu’ambassadeur d’Allemagne en France, je m’efforce de faire comprendre aux jeunes l’importance que revêt le 27 janvier pour nous, Allemands. Cette année, je me suis ainsi rendu avec Haïm Korsia, le Grand rabbin de France, à l’école juive Maïmonide de Boulogne-Billancourt afin d’échanger avec les élèves de terminale sur la Shoah et les évolutions actuelles de la société en Allemagne et en Europe. Cette visite m’a beaucoup marqué. Les élèves ont fait preuve dans leurs questions et par leur écoute de beaucoup de maturité et de sensibilité."
Concernant l'entrée du parti politique d'extrême-droite AfD au Bundestag, Monsieur l'Ambassadeur appelle à la vigilance.
"Parmi les évolutions observées en Allemagne figurent malheureusement la montée de l’extrême-droite, qui a fait son entrée au parlement avec le parti « Alternative für Deutschland ». Cela représente certes un tournant pour le Bundestag, cependant, au regard de la composition du parlement et de la solidité incontestée des institutions démocratiques en Allemagne, l’inquiétude n’est pas encore de mise. Nous devons en revanche être extrêmement attentifs."
Selon lui, le combat le plus important - et le plus difficile - aujourd'hui, est celui contre la haine, dans l'espace public et sur Internet.
"Ce qui doit nous préoccuper, c’est notamment la violence grandissante que l’on observe dans notre société et plus particulièrement sur internet et les réseaux sociaux, comme l’a souligné le président du Bundestag Wolfgang Schäuble dans son discours à l’occasion de la Journée dédiée à la mémoire des victimes de l’Holocauste.
Cette violence se traduit aussi par une multiplication des agressions antisémites. Les mots peuvent faire beaucoup de dégâts. J’invite chacun à une très grande sensibilité en matière d’expression politique et à une vigilance accrue. Les insultes envers des Juifs ou l’acte de brûler un drapeau israélien sont des agissements inacceptables et injustifiables, en particulier en Allemagne. Quelles que soient leurs origines, tous les citoyens vivant en Allemagne appartiennent à ce que le président Gauck avait appelé « Verantwortungsgemeinschaft », c’est-à-dire la « communauté de responsabilité » face à l’histoire de l’Allemagne."
Concernant l'implication du gouvernement allemand dans la lutte contre l'antisémitisme et le négationnisme, Nikolaus Meyer-Landrut se montre ferme et déterminé.
"Les réactions à ces évolutions sont donc sans ambiguïté. La CDU, le SPD, le FDP et les Verts ont ainsi déposé dès le début de l’année une motion commune devant le Bundestag comprenant une série de mesures pour lutter contre l’antisémitisme en Allemagne. Une grande partie de ces mesures sont reprises dans le contrat de coalition du futur gouvernement, notamment avec la nomination d’un « délégué du gouvernement fédéral à la vie juive en Allemagne et à la lutte contre l’antisémitisme » (Beauftragter der Bundesregierung für das jüdische Leben in Deutschland und den Kampf gegen Antisemitismus). Un programme appelé « Jugend erinnert » (« La jeunesse se souvient ») favorisera les échanges et les rencontres pour les jeunes avec un double objectif : d’une part approfondir les connaissances des jeunes et étendre leur perception de la Shoah, et d’autre part promouvoir la vigilance face aux tendances antisémites, à l’incitation à la haine et aux agressions."
Interrogé sur la nouvelle motion allemande qui oblige les grandes plateformes Internet à supprimer les messages illégaux ou les comptes que les internautes ont signalés dans un délai de 24 heures*, l'Ambassadeur a rappelé que chaque citoyen était tenu de respecter la loi, dans la rue comme sur Internet.
"La haine et la violence n’ont aucune place dans notre société, quelles que soient les personnes visées ou l’endroit où elles s’expriment. Il est aujourd’hui nécessaire de trouver des solutions pour lutter contre les propos discriminatoires ou offensants et contre les fausses informations qui circulent en particulier sur internet. Pour ce faire, le Bundestag a adopté une loi venant compléter un règlement de 2007, afin de garantir que les valeurs de la Loi fondamentale et les principes de la démocratie s’appliquent également sur les réseaux sociaux. Rien qu’en Allemagne, trente millions de personnes utilisent Facebook. Les opinions et les commentaires qui y sont échangés ne sont pas tous à prendre au sérieux, et même s’ils ne sont pas dangereux dans la plupart des cas, il est impératif que les propos tenus respectent les lois et droits en vigueur. Les insultes voire les menaces et les appels à la violence sur internet ne doivent pas échapper à la justice. De même que les éditeurs et les journalistes sont responsables de leurs déclarations, les opinions exprimées sur les réseaux sociaux doivent se conformer à un cadre juridique. Dans six mois, les entreprises chargées d’appliquer la loi adoptée, dont Facebook ou Twitter, devront rendre un rapport recensant l’ensemble des contenus supprimés ainsi que les motifs de ces suppressions. Le gouvernement évaluera alors l’impact de cette nouvelle loi et en tirera les conclusions qui s’imposent."
Enfin, Nikolaus Meyer-Landrut a conclu en réitérant la volonté sans faille de l'Allemagne de persévérer dans le travail de mémoire et de lutter contre l'antisémitisme.
"Le 27 janvier est et restera une date capitale pour la société allemande. Les deux exemples cités ici montrent que l’Allemagne est toujours aussi résolue à transmettre le souvenir de la Shoah et à rester vigilante face à toute forme d’antisémitisme."
*En Allemagne, depuis le 1er janvier 2018, une nouvelle loi impose aux grandes plates-formes de supprimer en moins de vingt-quatre heures les contenus illégaux. Elles seront condamnées à une amende de 50 millions d’euros si elles ne parviennent pas à supprimer les messages illégaux, signalés par les internautes, dans le délai imparti. Une avancée dans le domaine de la lutte contre la hainte sur Internet qui mérite que l'on s'y penche davantage.
Propos recueillis par Marie-Sarah Seeberger
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