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Synthèse de l'enquête "L'Europe et les génocides : le cas français"* pour la FONDATION JEAN-JAURES réalisée par l’Ifop, en partenariat avec l’AJC Paris, la FEPS et la Dilcrah :
On note d’abord que la Shoah reste plus connue que d’autres génocides du XXème siècle : 90% des Français ont entendu parler de l’Holocauste, 85% du génocide des Arméniens et 79% du génocide des Tutsis du Rwanda. Soulignons d’emblée l’importance de la formulation de la question au sujet de la connaissance de la Shoah. En effet, il a pu être reproché au sondage réalisé pour CNN d’avoir interrogé les Français sur leur connaissance de « l’Holocauste », un terme largement employé aux Etats-Unis, mais moins en Europe. C’est pour éviter cet éventuel biais que l’Ifop a préféré le terme « génocide des Juifs ». Pour autant, il est frappant de constater que les chiffres sont très proches malgré l’utilisation de termes différents.
Dans le détail, l’âge, la catégorie socio-professionnelle et le niveau de diplôme constituent des variables déterminantes de méconnaissance de la Shoah :
Sur le plan politique, on observe une connaissance relativement similaire selon les préférences partisanes (supérieure à 90%), à l’exception des sympathisants du Rassemblement national et des Français qui ne se déclarent proches d’aucune formation politique, qui sont respectivement 12% et 15% à n’avoir jamais entendu parler de la Shoah.
Interrogés sur la période historique à laquelle a eu lieu le génocide des Juifs, 79% des Français sont capables d’indiquer la Seconde Guerre mondiale (soit néanmoins 11 points de moins que ceux qui disent avoir entendu parler de la Shoah). Arrive en deuxième position l’entre-deux-guerres (9%), ce qui pourrait éventuellement s’expliquer par le fait que l’émergence du nazisme, qui a conduit à l’Holocauste, a eu lieu durant cette période. Il est néanmoins marquant de constater que 10% des Français placent le génocide des Juifs lors de la Première Guerre mondiale (6%), ou même avant (4%), probablement du fait d’une confusion entre les différents conflits qui ont opposé la France à l’Allemagne au cours du XXème siècle. Toujours est-il que ces résultats indiquent que le fait d’avoir entendu parler de la Shoah n’implique pas nécessairement une connaissance précise des différentes dimensions historiques de l’Holocauste.
L’ensemble des résultats de l’enquête indique une hausse du soutien à la lutte contre l’antisémitisme depuis 2014. Ainsi 77% des Français qualifient la Shoah de « crime monstrueux » contre 63% en septembre 2014 ; 88% soutiennent qu’il faut « lutter contre l’antisémitisme et le racisme pour qu’une tragédie comme la Shoah ne se reproduise pas » contre 85% en 2014 et 85% pensent qu’il faut « enseigner la Shoah aux jeunes générations afin d’éviter que cela ne se reproduise » contre 77% en 2014. La perception de la gravité de l’Holocauste et la nécessité de se prévenir d’une répétition tragique de l’histoire fait donc encore davantage consensus alors que la France a été frappée depuis 2015 par plusieurs attentats, dont celui de l’Hyper Casher de Porte de Vincennes en janvier 2015 et que le Premier ministre alertait l’opinion publique en novembre 2018 quant à la recrudescence des actes antisémites en France (+ 69 % sur les neuf premiers mois de 2018). Dans ce contexte, les Français sont une majorité à penser que les Français juifs se sentent en insécurité (53%) et à comprendre ce ressenti (58%).
Comment les Français, et en particulier les plus jeunes d’entre eux, sont informés au sujet de la Shoah ? Est-ce que le détail de ces moyens d’information permet de mieux comprendre les raisons de la méconnaissance de l’Holocauste dans cette tranche d’âge? Auprès de l’ensemble des Français, l’école occupe le haut du classement avec 58% des citations, suivi des films ou livres (41%), de la transmission familiale (17%), de la presse (16%), des commémorations (16%), des musées (11%) et enfin d’Internet (6%). Education nationale et productions audiovisuelles ou littéraires constituent donc en France les deux principales sources d’apprentissage de ce qu’a été le génocide des Juifs.
Concernant les moins de 35 ans, l’école joue un rôle prépondérant (76%), au détriment des autres sources d’informations (30% pour les films ou livres, contre 41% en moyenne et 8% pour la transmission familiale, contre 17% en moyenne). On peut probablement y voir l’une des causes de cette méconnaissance croissante de la Shoah chez les jeunes. Certes l’Education nationale joue auprès de la majorité d’entre eux son rôle pédagogique, mais les relais familiaux, culturels ou médiatiques les atteignent moins que l’ensemble de la population. De fait, ces jeunes générations, si elles peuvent avoir en mémoire un cours ou une partie de leurs programmes scolaires consacrés à la Shoah, sont au quotidien moins exposées à la mémoire de l’Holocauste lors de discussions familiales ou via les médias. On peut également penser que les modes d’appropriation de la culture chez les plus jeunes, et en particulier des œuvres audiovisuelles, davantage structurés par les plateformes de vidéos à la demande comme Netflix que par la télévision, ne sont pas sans conséquences sur la connaissance de la Shoah. Ces évolutions technologiques et le fonctionnement général du numérique conduisent en effet ces publics à visionner de plus en plus des contenus choisis - parmi lesquels ne figurent pas nécessairement des documentaires dédiés à l’Holocauste… – et non plus à regarder sur la télévision familiale des programmes décidés par les chaînes et qui peuvent contenir des œuvres liées à la Shoah. Au total, ce différentiel entre transmission par l’Education nationale et par l’environnement culturel chez les jeunes souligne bien l’importance d’une approche globale pour favoriser le devoir de mémoire.
A ces raisons exogènes peuvent s’ajouter des facteurs endogènes : il n’est pas impossible que les plus jeunes soient plus hermétiques à l’enseignement de la Shoah. Ainsi les 18-24 ans sont 7% à considérer que le nombre de Juifs tués lors de la Shoah est une « exagération » contre 2% pour l’ensemble des Français, et 3% des 25 à 34 ans y voient même une « invention » contre 1% pour l’ensemble des Français. Des chiffres qui font écho aux résultats d’une autre enquête réalisée par l’Ifop avec la Fondation Jean Jaurès en décembre 2017 qui révélait que les plus jeunes étaient de manière générale plus sensibles aux logiques complotistes. Le fait que 9% des moins de 35 ans déclarent avoir acquis leurs connaissances du génocide des Juifs principalement via Internet, contre 6% des Français en moyenne, doit également être pris en compte dans la mesure où les thèses complotistes se diffusent principalement en ligne.
On notera également que les générations les plus âgées sont celles qui citent le plus les « films ou livres, documentaires ou de fiction » et la « transmission familiale » comme vecteurs de connaissances. Ces canaux semblent moins opérants chez les plus jeunes, d’où le rôle central de l’école dans la transmission de la Shoah auprès de ce public.
Les 18-24 ans ne sont que 64% à voir dans l’extermination de 6 millions de Juifs durant la Seconde Guerre mondiale un « crime monstrueux » contre 77% pour l’ensemble des Français, soit 13 points d’écart. L’Holocauste ne suscite donc pas chez eux le même niveau d’effroi que parmi leurs aînés. Nécessairement, cette distance vis-à-vis de la Shoah conduit à une moindre importance accordée à son enseignement : 81% des 18-24 ans pensent qu’il est « important d’enseigner la Shoah aux jeunes générations afin d’éviter que cela ne se reproduise », contre 85% en moyenne chez l’ensemble des Français.
Les jeunes se distinguent aussi par une sensibilité moindre à la lutte contre l’antisémitisme : 80% des 18-24 ans adhèrent à l’idée selon laquelle « on doit lutter contre l’antisémitisme et le racisme pour qu’une tragédie comme la Shoah ne se reproduise pas », contre 88% pour l’ensemble des Français, soit 8 points d’écart. Enfin, malgré une histoire récente marquée par des attentats antisémites très fortement médiatisés, telles que l’attaque de Mohammed Merah contre une école juive à Toulouse en 2012 ou la prise d’otage de l’Hyper Casher de la porte de Vincennes en 2015, seuls 43% des 18-24 ans pensent que les Français juifs se sentent en insécurité et 47% disent comprendre ce sentiment d’insécurité contre respectivement 53% et 58% des Français.
*Télécharger l'enquête complète en bas de cet article