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Published on 14 February 2023

Actualités des régions - Commémoration des 80 ans de la rafle de la rue Sainte-Catherine

À l'occasion de la commémoration des 80 ans de la rafle de la rue Sainte-Catherine, le Président du Crif Auvergne Rhône-Alpes (ARA), Richard Zelmati, a prononcé un discours fort et engagé.
Le 9 février 1943, les nazis organisaient une souricière au siège de l’UGIF, situé 12, rue Sainte Catherine à Lyon. Klaus Barbie et ses hommes ont arrêté 86 personnes parce qu’elles étaient juives. Seules 4 reviendront des camps. Le soir de cette rafle, « le boucher de Lyon » rendit compte de sa basse besogne. Le 4 juillet 1987, la cour d’Assises du Rhône dira que cette rafle était un crime contre l’Humanité et le condamnera à la réclusion criminelle à perpétuité. 
 
Ce dimanche 12 février à 11h, les Lyonnais étaient nombreux pour honorer la mémoire de ces vies brisées par la haine antisémite, avec une pensée pour Robert Badinter, qui a réussi à s’enfuir lors de la rafle et pour son père Simon qui, lui, a été exterminé.
 
Sur fond de violon et d'air Klezmer d'Europe centrale et orientale, en présence des élèves du collège et lycée Notre Dame de Bellegarde, des Éclaireurs Israélite de France, du Maire Grégory Doucet, de la préfète Fabienne Buccio, de Serge et Beate Klarsfeld, de Claude Bloch, dernier survivant d'Auschwitz à Lyon, d'élus et du Président du Crif ARA Richard Zelmati, les noms des victimes ont été lus, suivi d'un temps de prière et de recueillement. 
 
Après le discours du Maire de Lyon, Richard Zelmati a pris la parole pour rappeler avec force de conviction le sens de cette cérémonie : "Commémorer c'est rappeler au premier des Lyonnais qu'il lui revient l'impérieuse obligation morale de mener, comme tous ses prédécesseurs avant lui, [...] le combat essentiel pour les valeurs de la République gravées au fronton de notre maison commune. Notre ville ne doit rien céder [...] aux sirènes de la division et de la discorde , ce, d'où qu'elles viennent et qui affaiblissent la fraternité autant que la lutte contre l'antisémitisme".
 
 
Retrouvez le discours de Richard Zelmati, Président du Crif ARA en intégralité : 
 

 

« Il a 80 ans, ici-même, le 9 février 1943, au numéro 12 de la rue Sainte-Catherine, au 2e étage, dans leslocaux alors occupés par l’UGIF, l’Union générale des Israélites de France, la Gestapo commetait un crime, un crime contre l’humanité, le crime des crimes !

Ce 9 février 1943, à l’issue d’une interminable souricière commencée en début de matinée et achevée en fin d’après-midi, le piège se refermait sur les 93 juifs, alors présents dans les bureaux de UGIF.
 
84 personnes furent conduites au FORT LAMOTHE (l’ancienne caserne Sergent BLANDAN), puis internées au camp de Drancy, avant d’être déportées entre le 13 février 1943 et le 23 juin 1944, par 10 convois, qui les ont conduites vers
l’extermination à Auschwitz-Birkenau, à Sobibor ou à Bergen-Belsen, vers tous ces « terminus » où, pour reprendre les mots d’André Malraux, là où :
 
« Les nazis s’employèrent à faire concurrence à l’enfer »
 
Seuls 4 d'entre eux revinrent de cet enfer... mais détruits... 
 
Ainsi, survécurent : Benno Breslerman, Gilberte Jacob, Armand Steinberg et Rachmil Szulklaper. 
 
Siegfried Driller et David Luxembourg, avaient pu miraculeusement s’échapper du Fort Lamothe, avant leur transfert à Drancy.
 
Heureusement, 7 personnes parvinrent à être relâchées, en mystifiant leurs bourreaux avec des faux papiers ou de fausses  histoires, subitement dictées par les circonstances et l’instinct de survie. 

Un jeune adolescent à peine âgé de 15 ans, missionné par sa mère, inquiète de ne pas voir revenir son mari à l’heure  accoutumée, réussit à échapper de très peu au piège mortel tendu par les hommes de Klaus Barbie. 

Ce garçon se nomme Robert Badinter. 

Il ne reverra jamais son père, Simon, bénévole de l'UGIF. 

Ces 84 victimes, dont la plus jeune avait 13 ans et la plus âgée 72 ans, trop longtemps réduites à l'état de statistiques, de recensements sommaires, de numéros d'écrous ou de convois, nous les connaissons désormais. 

C'est grâce au remarquable et opiniâtre travail d'historien de Serge Klarsfeld que ces malheureuses victimes ont pu sortir de l'oubli. 

Serge Klarsfeld, auquel nous devons tant, leur a donné une identité. Elle est désormais gravée, dans la pierre, sur cette plaque. 

De même que les travaux minutieux de Serge nous ont instruits sur les itinéraires de souffrances et sur les funestes destinations des vicitimes de la rafle de l'UGIF. 

Surtout, nous mesurons mieux, combien en ces sombres et tragiques circonstances, notre ville de Lyonétait une « ville refuge », l’Arche des Juifs d’Europe : ceux qui ont été raflés ici étaient français par leur naissance ou par leur naturalisation, ils étaient aussi polonais, roumains, allemands, autrichiens, tchèques, lecons, russes ou apatrides. 

Ils étaient tous des exilés : 

  • Exilés de l’intérieur pour les premiers, par les lois antisémites de Vichy, 
  • Exilés de toute l’Europe, fuyant l’avancée de l’hitlérisme. 

Ils étaient l’Humanité, tous condamnés par les nazis pour le simple fait d’être venus au monde ! 

Sachez, surtout, qu’au deuxième étage du numéro 12 de la rue Sainte-Catherine battait alors le cœur d’une fraternité, et d’une solidarité exemplaires. 

Ce sombre mardi du mois de février 1943, jour de distribution de secours et de visites-médicales, les permanents et bénévoles de l’UGIF dispensaient tant leurs soutiens que leurs soins aux réfugiés qui se présentaient dans les locaux de l’UGIF, arrivant alors massivement dans la cité des Gaules. 

Ces permanents et bénévoles étaient là pour aider, pour nourrir, soigner, loger, réconforter et organiser les filières de survie, notamment vers des campagnes hospitalières, et également vers la Suisse, lorsqu’elle ne fermait pas ses  frontières… 

Le sinistre récit de cette rafle nous a méticuleusement été restitué par les survivants, les échappés ou les rescapés, lors du procès de Klaus Barbie qui s’est ouvert en notre ville au mois de mai 1987. 

De même que mon Confrère (et ami) Alain Jakubowicz, j’étais alors avocat des parties civiles aux côtés de Serge Klarsfeld : 

- Je n’oublie pas le regard éperdu de Léa Katz, dont le destin a voulu qu’elle s’extirpe par miracle de cette souricière.

- Je n’oublie pas la voix fluette d’Eva Gottlieb, qui travaillait avec sa mère à l’UGIF, racontant le stratagème par lequel elle échappa à la mort, sans pouvoir sauver sa mère Rella, laquelle resta, comme Simon Badinter, du mauvais côté de la porte. 

- Je n’oublie pas le témoignage douloureusement limpide de Gilberte Levy-Jabob, assistante sociale à l’UGIF, rescapée d’Auschwitz et de la marche de la mort, relatant lors du procès ce qui fut pour elle, le dernier jour, du reste de sa vie. 

- Je n’oublie pas enfin l’implacable récit de Victor Sulklaper, sauvé par ses faux papiers, chance qui n’a pas souri à son père Rachmil, auquel les hommes de Barbie, excédés par les identités maquillées qu’ils découvraient au fur et à mesure, lâchèrent : 

« Pourri de pays, on ne reconnaît pas un juif d’un non juif. »

 

Le 4 juillet 1987, au milieu de la nuit, Justice étaient rendue aux victimes de la rafle de la rue Sainte-Catherine, comme à celles de la maison d’Izieu et à celles du convoi du 11 août 1944. 

L’auteur principal de ces crimes contre l’humanité, le lieutenant SS Klaus Barbie, étaient condamné, « au nom du peuple français », par la Cour d’assises du Rhône, à la réclusion criminelle à perpétuité. 

L’œuvre de justice est passée, j’ose le dire, in extremis… 

 

Aujourd’hui, 80 années après, nous avons tous l’incontournable devoir de poursuivre l’œuvre de justice en la prolongeant par une œuvre de mémoire, une œuvre de transmission, une œuvre républicaine, de lutte, sans relâche contre l’antisémitisme.  

L’historienne Annette Wievioka définit la mémoire comme le fait « qu’une collectivité se souvienne de son passé et cherche à lui donner une explication au présent, à lui donner un sens. » 

 

Ainsi, commémorer les vies juives brisées ici-même, c’est rappeler que tout dans l’âme de notre cité et de notre pays doit rejeter le mensonge antisémite, systématiquement précédé de son cortège de préjugés, d’amalgames, de complotisme, de négationnisme, de révisionnisme, d’injures, d’agressions et, hélas, de crimes qui, encore aujourd’hui, défigurent notre pays dans une mécanique immuable où l’ensauvagement des mots précède et prépare toujours l’ensauvagement des actes.

 

Commémorer, c’est rappeler au Premier des lyonnais qu’il lui revient l’impérieuse obligation morale de mener, comme tous ses prédécesseurs avant lui, et ponctuellement Justin Godart, Juste parmi les nations, le combat essentiel pour les valeurs de la République, gravées au fronton de notre maison commune. 

Notre ville ne doit rien céder, d’aucune manière, d’aucune sorte, d’aucune ambigüité, aux sirènes de la division et de la discorde, ce, d’où qu’elles viennent et qui affaiblissent la fraternité autant que la lutte contre l’antisémitisme. 

Non, décidément non ! 

On ne peut pas prétendre combattre et cautionner en même temps. 

Commémorer, c’est également rappeler, sans désemparer à notre jeunesse les « mots sans sépulture », inaltérables de notre regretté Benjamin Orenstein, survivant de sept camps où les nazis ont voulu le rayer de la surface de la Terre. 

Commémorer, c’est se souvenir de la parole d’Ida Natan, dénoncée par sa voisine, déportée à 23 ans, dernière survivante du convoi du 11 août 1944. 

Commémorer, c’est entendre l’inlassable récit de notre cher Claude Bloch, rescapé d’Auschwitz, arrêté à 15 ans par la milice de Touvier et dont le courage de témoigner, encore à 94 ans, auprès de nos collégiens et lycéens, force le respect et l’admiration. 

Commémorer, c’est affirmer que les victimes de la rue Sainte Catherine, que Benjamin Orenstein, qu’Ida Natan, que Claude Bloch ont tous été victimes d’une même haine et la nommer : c’est l’antisémitisme, « cette lèpre de l’humanité ». 

 

Et, si commémorer doit avoir une signification sur les lieux du crime où nous nous trouvons aujourd’hui, c’est pour dire que la ville de Lyon, rassemblée par son passé, flétrie par cette histoire baignée dans le sang et dans les larmes, ne cédera jamais à la tentation de la banalisation de la Shoah à la faveur des comparaisons inacceptables qui défient la raison. 

C’est surtout marteler que les mots ont un sens et qu’on ne peut pas impunément, au prix d’un double manquement à la mémoire des six millions de morts dont 1 million 500 mille enfants, assassinés, et à la vérité des faits, convoquer le mot « déportation », au service d’un confusionnisme insultant et d’une relativisation bien connue de ceux qui professent l’antisémitisme, sous les oripeaux de l’antisionisme. 

Commémorer enfin, c’est rappeler que les victimes de la rue Sainte-Catherine étaient condamnées de naissance,sans autre forme d’incrimination que celle d’avoir, pour reprendre les mots d’André Froissard, commis le « crime d’être nés ». 

 

La spécificité du crime commis dans cette petite rue du quartier de Terreaux appartient à l’histoire universelle, comme l’est et doit le rester, la prison Montluc, conformément à la volonté des rescapés et comme le sera demain, le mémorial de la Shoah de Lyon, au pied de la gare Perrache, d’où partirent les trains vers la mort. 

Nous sommes les dépositaires, non seulement d’une mémoire, mais aussi d’une promesse. 

Du haut de ces deux étages, 84 âmes nous contemplent et nous disent, le doigt pointé vers nous, que de nos pleurs et notre chagrin doit surgir l’averse féconde qui fait germer l’humanité. 

Le crime qui s’est passé ici, nous afflige autant qu’il nous oblige à la conscience et à la lucidité devant ceux qui veulent, encore et toujours, la destruction des Juifs.

 

Souvenons-nous qu’un peuple qui perd son histoire est comme un homme qui perd sa mémoire : 

  • l’un ne se reconnaît plus dans son miroir, 
  • l’autre à honte de s’y regarder. 

 

Je vous remercie. »