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Publié le 8 février 2022 dans Le Point
Israël, coupable d'apartheid contre les Palestiniens ? L'accusation, ancienne, est revenue au premier plan avec le rapport qu'Amnesty International lui a consacré le 1er février. Le statut de la Cour pénale internationale, rédigé en 1998, décrit l'apartheid comme un ensemble d'« actes inhumains » visant à perpétuer un « régime institutionnalisé d'oppression systématique et de domination » d'un groupe racial sur un autre. En clair, un crime contre l'humanité. Amnesty conclut que l'État d'Israël considère et traite la population palestinienne comme un groupe racial « non juif » inférieur.
La charge a beau être accablante, elle est factuellement erronée, moralement injuste et politiquement contre-productive. La supercherie est dévoilée par les auteurs du rapport eux-mêmes qui soulignent (page 14 de la version originale anglaise) que le traitement des Palestiniens par Israël n'est ni « identique » ni même « comparable » à la manière avilissante dont la minorité blanche sud-africaine opprimait les Noirs entre 1948 et 1994.
Un travestissement de l'Histoire
Dès lors, pourquoi établir un parallèle ? Pourquoi brandir le terme d'apartheid, dont Amnesty n'use pas pour décrire le sort des Kurdes en Turquie, ni celui des travailleurs du sous-continent indien dans les monarchies du Golfe, ni même le traitement des musulmans dans la région du Xinjiang en Chine, enfermés par centaines de milliers dans des camps de « rééducation » et stérilisés de force par les autorités communistes ?
On n'ose imaginer qu'il s'agisse simplement de diaboliser l'État juif, de lui signifier qu'il n'a pas sa place dans le concert des nations. De fait, Amnesty s'inscrit dans le droit fil de la résolution de 1975 de l'Assemblée générale de l'ONU, qui assimilait « sionisme » et « racisme ». Bien que la même Assemblée eût révoqué ce texte en 1991, la thèse a prospéré, portée par la vague « woke » qui place les questions identitaires et raciales au centre de la grille de lecture des rapports de domination. Elle a resurgi à la conférence de Durban organisée par l'Unesco en 2001, ou dans le boycott de produits israéliens lancé par des ONG qui invoquent leur « antisionisme », nouvel avatar « éveillé » de l'antisémitisme.
Amnesty, cependant, va un cran plus loin. Son rapport met dans le même panier non seulement la politique d'occupation menée par Israël, et en particulier les implantations de population juive en Cisjordanie qui sont illégales au regard du droit international, mais aussi les discriminations contre les citoyens arabes d'Israël. Ceux-ci (20 % de la population israélienne) sont pourtant représentés au gouvernement, au Parlement, à la Cour suprême… Issawi Frej, deuxième ministre musulman de l'histoire d'Israël, militant de gauche humaniste entré en 2021 au gouvernement, a résumé ce qu'il fallait penser du rapport d'Amnesty : « Israël a beaucoup de problèmes qui doivent être résolus, dans le pays et aussi, évidemment, dans les territoires occupés, mais Israël n'est pas un État d'apartheid. »
Que l'État d'Israël lui-même soit juif est un héritage de l'Histoire qui a beaucoup à voir avec l'antisémitisme européen qui culmina dans la Shoah. L'accuser d'apartheid n'est pas seulement un mensonge. C'est un travestissement de l'Histoire à des fins politiques. C'est une relativisation insupportable des crimes contre l'humanité qui furent commis contre la majorité noire en Afrique du Sud. C'est enfin une faute politique, car le conflit israélo-palestinien n'est pas fondé sur une inimitié ethnique. Il exprime le choc de deux nationalismes qui s'affrontent pour le même territoire. Il ne pourra donc s'achever que par un compromis territorial. La tâche est éminemment complexe. Encourager la délégitimation d'Israël, comme le fait Amnesty, la rend encore plus inextricable.