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Publié le 27 octobre dans Le Parisien
L’enquêteur s’avance face à cette résidence typique des années 1950, arrive devant la double porte vitrée de l’entrée, près du digicode. Il est 21h30, le 23 mars 2018. Trois heures plus tôt, le corps poignardé et en partie calciné de Mireille Knoll, une femme de 85 ans, est retrouvé par les pompiers dans son appartement de l’avenue Philippe-Auguste (Paris, XIe). Au deuxième jour du procès de Yacine Mihoub et Alex Carrimbacus, les auteurs présumés de ce meurtre, qualifié d’antisémite par la justice, des enquêteurs embarquent la cour d’assises sur les lieux du crime, dans l’appartement où la victime a vécu la majorité de sa vie.
Appelé pour l’enquête de flagrance, pour laquelle il commence par les premières constatations sur la scène de crime, Éric R., brigadier-chef au 2e DPJ à l’époque, pénètre dans l’immeuble de onze étages, longe le hall carrelé de blanc, passe les boîtes aux lettres grises, et monte jusqu’au palier du deuxième étage. L’appartement de gauche, c’est celui de Mireille Knoll, là où elle s’est installée au milieu des années 1950 avec son mari, Kurt, en rentrant du Canada. Là où elle a élevé ses fils Allan et Daniel, tous deux parties civiles dans ce procès, au côté d’Alexandre, le petit-fils de la victime.
Les murs noircis par les flammes
À droite de la porte, un petit boîtier avec code permet aux aides à domicile de récupérer la clé et d’entrer dans les lieux sans avoir à faire déplacer la vieille dame qui ne marche qu’avec un déambulateur. L’enquêteur pousse la porte en bois verni et entre dans l’appartement de l’octogénaire. Face à lui un quatre-pièces, desservi en étoile. À gauche, la petite cuisine disposée en longueur. Au sol, deux couteaux sont tombés. Selon l’enquêteur, c’est la chaleur du feu qui a provoqué la fonte de la porte couverte de plastique. Les boutons de la gazinière sont tous ouverts.
Pièce suivante, le salon, observe-t-on sur les écrans de la cour d’assises. Les murs sont noircis par les flammes, les photos et les souvenirs qui s’y trouvaient accrochés ont disparu. Une chaise est renversée près d’une table médicalisée, d’un canapé en tissu rouge et d’une table ronde recouverte d’un grand napperon blanc. Le canapé et la chaise médicalisée de la victime sont calcinés, signe pour les experts en incendie que c’est à ces endroits que le feu a été déclenché. « On peut voir la puissance de l’incendie, on voit le pan de fenêtre qui s’est désolidarisé et qui est tombé sur la table », commente l’enquêteur à la barre.
Un passage par la salle de bains et son lavabo en faïence bleue, ses carreaux aux couleurs désuètes, puis arrivée dans la chambre d’ami. Là où ont vécu un temps l’aide-ménagère de Mireille Knoll et sa fille adolescente, que Yacine Mihoub a agressée sexuellement en 2017. Une photo de la pièce montre une armoire ouverte qui abritait « ses fourrures, ses manteaux » et une table à repasser où sont entassés des vêtements. Selon l’enquêteur, « potentiellement, ça a pu être fouillé ». Les deux accusés pourraient en effet s’être rendus chez la victime pour « un plan thunes » et auraient tenté de lui dérober des objets de valeur. L’accusation soutient que les deux savaient que l’octogénaire était de confession juive et qu’ils la considéraient de ce fait comme « aisée ».
Le visage meurtri de la victime
Enfin, Éric R. se dirige vers la scène de crime principale : la chambre de Mireille Knoll. Sur les écrans de la cour d’assises, s’affiche l’horreur. Dans la salle d’audience, Daniel, fils de Mireille Knoll, préfère sortir, tandis que son frère Allan, fils aîné de la victime, pointe le doigt vers le box des accusés. « Regardez ! » crie-t-il, les enjoignant de faire face à ce dont on les accuse.
Au milieu de la pièce, un lit médicalisé, dont le dossier est relevé et porte les traces noires d’un incendie. Ces traînées de suie remontent jusqu’au mur et noircissent les portes de l’armoire blanche à droite du lit. Au bout du matelas repose Mireille Knoll. Son corps, dont la partie supérieure a été grièvement brûlée, est en travers du lit. Ses bras sont en croix, mais ses mains, dont on distingue les bagues aux doigts sont recroquevillées. Ses pieds, habillés de chaussettes blanches et de sandales dorées, pendent du lit, touchent presque le sol. Dans un premier temps, le président de la cour d’assises, Franck Ziantara, refuse de montrer au public de la salle les gros plans du corps de la victime. Mais Me Gilles-William Goldnadel, avocat des parties civiles, insiste : « Il n’y a aucune raison de ne pas les montrer. »
Alors, pendant quelques secondes, le visage meurtri de Mireille Knoll apparaît. Ses yeux sont clos, une partie de sa tête est calcinée. Puis les blessures au couteau sur son corps s’affichent sur les écrans. Au départ, l’enquêteur n’en compte que quatre dans le dos « dont deux particulièrement profondes » et « deux autres plus légères ». Il note le drap taché de sang et les deux départs de feu sur le matelas. Ce n’est qu’à l’autopsie que le policier comprendra l’ampleur du calvaire vécu par la vieille dame : onze coups de couteau sont découverts sur son corps.
Alors qu’Éric R. fait ces tristes découvertes dans l’appartement, les deux accusés sont filmés à quelques centaines de mètres des lieux du crime, entrant dans un bar. Yacine Mihoub s’installe au comptoir, Alex Carrimbacus à une table. Tandis que le premier semble léger, présentant un visage joyeux, selon les témoins, le second semble somnoler et mal en point. « Je me souviens pas des conversations », répond-il au président de la cour d’assises. Pas de commentaire non plus pour Yacine Mihoub.
À une heure du matin le 23 mars 2018, Éric R. termine ses constatations, referme l’appartement de Mireille Knoll à clé, puis repasse par la porte d’entrée de l’immeuble. C’est à ce même endroit que les policiers cueilleront Yacine Mihoub, le principal suspect, le lendemain, alors qu’il semble y revenir.