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Published on 27 April 2021

France - Anne Rosencher : "Un chagrin nommé Halimi"

Dans l'affaire Sarah Halimi, l'émotion s'est exprimée à l'épilogue - c'est ainsi dans les tragédies. Mais il faut entendre la colère qui monte : c'est un besoin de République.

Publié le 25 avril dans L'Express

Le 14 avril dernier, la Cour de cassation a donc livré l'épilogue judiciaire de "l'affaire Sarah Halimi", du nom de cette retraitée juive de 65 ans assassinée dans la nuit du 3 au 4 avril 2017 rue de Vaucouleurs dans le XIe arrondissement de Paris. L'ancienne directrice de crèche a été rouée de coups pendant de longues minutes dans son appartement, puis défenestrée par un jeune voisin, Kobili Traoré, aux cris de "c'est pour venger mes frères", "Allahu akbar", "j'ai tué le sheitan" (le démon). 

Quatre ans après les faits, la Cour de cassation a donc rendu son verdict. Confirmant la décision de la cour d'appel de Paris, elle a estimé que la prise de cannabis en grande quantité avait entraîné chez Kobili Traoré une "bouffée délirante" de nature à abolir son discernement. Par conséquent, le meurtrier ne sera pas jugé.

La Cour de cassation a dit le droit, c'est entendu. Elle a fait valoir que les dispositions de l'article 122-1, alinéa 1er, du Code pénal "ne distinguent pas selon l'origine du trouble psychique ayant conduit à l'abolition du discernement" - autrement dit, que Kobili Traoré ait décidé de se droguer, entraînant lui-même sa bouffée délirante, est égal aux yeux de la loi -, c'est entendu. 

Quelque chose d'un scandale

Emmanuel Macron a dit vouloir que, sur ce point, la loi soit changée, c'est entendu. Au cours de la procédure, l'instruction s'est appuyée sur l'avis des experts psychiatres : ces derniers étaient unanimes, hormis le premier, Daniel Zagury, qui considérait qu'il y avait "altération du jugement" et non "abolition". C'est entendu. Voilà. Et après ? Et alors ? Pas de chance ? Fatum ? Mauvaise personne au mauvais endroit, au mauvais moment ? Triste histoire ? On prie pour Sarah et on tourne la page, sinon c'est du "populisme judiciaire" ? Il va falloir entendre que non.

L'émotion s'est greffée sur l'épilogue ; c'est ainsi dans les tragédies. Et qu'importe si le dernier épisode n'est pas le plus scandaleux, "techniquement parlant". Il y a, depuis le départ, dans l'affaire Halimi quelque chose d'un scandale. Et l'irresponsabilité pénale de l'assassin, confirmée par notre plus haute juridiction, en fait, aux yeux de beaucoup, un scandale achevé. Une sorte de parabole. Car, tout de même, rappelons deux ou trois choses. D'abord que, dans les semaines qui ont suivi, la presse, craignant une affaire montée en épingle par une "paranoïa communautaire" - ainsi me l'a-t-on rapporté dans plusieurs rédactions -, a mis plus d'un mois à commencer d'enquêter (hommage en soit rendu au Figaro et à L'Express). 

L'affaire Halimi, c'est la parabole du déni

Rappelons que les responsables politiques, craignant de faire le jeu de Marine Le Pen entre les deux tours de la présidentielle, se sont tus. Et, enfin, que la magistrate ayant instruit l'affaire en première instance - craignant quoi, on n'en sait rien - a entretenu les relations les plus exécrables qui soient avec les parties civiles, refusant même d'organiser une reconstitution. Une femme a été sauvagement assassinée, mais tout le monde a semblé craindre autre chose que sa mort, et cherché autre chose que son explication. L'affaire Halimi, c'est la parabole du déni.

On dira que j'exagère. Vraiment ? Pas plus tard que le 9 avril dernier, pourtant, le sociologue Eric Fassin, pape de la nouvelle gauche "intersectionnelle" et "inclusive", écrivait dans L'Obs que le "nouvel antisémitisme" était une "invention" (sic !), la première pierre d'un processus réactionnaire visant à faire prendre les victimes - les "racisés", comme il dit - pour des bourreaux. 

Citons ses mots : "La première [étape du processus], c'est l'invention du 'nouvel antisémitisme' : à la différence de l'ancien, dont il prendrait le relais, il serait ancré à gauche ; en outre, c'est dans les 'banlieues', autrement dit les classes populaires issues de l'immigration, qu'on le rencontrerait surtout." C'est fortiche, tout de même. Les "réacs" auraient donc fantasmé de toutes pièces un mal qui n'existe pas... et qui a tué 11 Français juifs ces dernières années - de l'assassinat d'Ilan Halimi en 2006 à celui de Mireille Knoll en 2018. On rirait volontiers du culot de M. Fassin, si l'on n'avait pas tant envie de pleurer.

Moins de kaddish* et plus de République

D'un Halimi à l'autre. Douze ans. Onze morts. Et le déni est toujours là. Pourquoi ? Dans le camp des Fassin en tout genre, la réponse est simple : le nouvel antisémitisme vient chahuter leur clientélisme identitaire, et infirme leur lecture essentialisée des "victimes" (dominées) et des "bourreaux" (dominants). Donc : chuuut. S'il faut s'émouvoir, on parlera de "loups solitaires" (comme pour Mohammed Merah, en 2012), ou de "bouffées délirantes", donc... Mais, surtout, ne pas relier les points entre eux. Surtout ne pas parler de l'islamisme et de son volet antisémite. Car ça, c'est l'oeuvre malfaisante des infréquentables.

Cependant, si ces professionnels du déni deviennent légion à la gauche de la gauche, ils sont loin d'être majoritaires dans le pays. Pour la majorité des Français, je crois plus volontiers au sentiment d'impuissance. Qui nous frappe tous, face à un ennemi commun dont on ne sait comment venir à bout. Reste qu'il faudrait en finir avec les silences. 

Par impuissance, donc, mais aussi par prudence, par lâcheté, par indifférence..., trop se taisent. Ou renvoient à "l'émoi de la communauté juive". Quelle horreur, cette expression. Il faut croire qu'à force de soutenir les luttes en non-mixité certains ont oublié qu'en République il n'y a qu'une communauté, la communauté nationale. Et que s'en prendre à un citoyen en raison de sa religion, de sa couleur de peau ou autre, c'est s'en prendre à la nation tout entière. Les Français juifs se savent parmi les premiers visés par un mal qui nous menace tous. Je crois que, parfois, ils voudraient moins de kaddish* et plus de République.

* Prière des morts dans la religion juive.