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Publié le 21 avril dans La Croix
Le 14 avril 2021, le Garde des Sceaux présente à l’Assemblée Nationale un Projet de loi « Pour la confiance dans l’Institution judiciaire », pensée pour restaurer la confiance des citoyens en la Justice. Signe qu’il y a bien un malaise. Le même jour, la Cour de Cassation confirme l’irresponsabilité pénale du meurtrier de Sarah Halimi, assassinée dans des conditions effroyables chez elle, le 4 avril 2017. Cette décision est d’autant plus incompréhensible pour tout citoyen soucieux de justice, que dans le même arrêt, la Cour reconnaît le caractère antisémite du crime, donc implicitement que l’assassin savait ce qu’il faisait. De plus, elle reconnaît savoir que les trois experts psychiatres étaient partagés. Elle a donc fait un choix, celui que le crime ne serait jamais jugé, tout en se retranchant derrière l’appréciation souveraine de la Cour d’Appel.
Oui, Monsieur Dupont-Moretti a beaucoup à faire pour restaurer la confiance en la Justice. Mais peut-on avoir confiance, devant un tel déni non seulement de justice, mais aussi un déni de bon sens. Les spécialistes pourront multiplier les arguties pour justifier la motivation de la Cour de Cassation. La vérité est simple : une femme a été assassinée par un islamiste radical parce qu’elle était juive, et ce crime ne sera pas puni, ni même présenté devant une Cour d’Assises. La raison avancée est que le meurtrier, ayant volontairement absorbé du cannabis, a été pris d’une « bouffée délirante aiguë ».
Sur ce point nous pouvons tous être d’accord : l’antisémitisme est bien une bouffée délirante aiguë, qui dure depuis des siècles et qui n’a jamais cessé de se renouveler au cours des temps. Édouard Drumont, l’auteur de La France juive (1886) en avait régulièrement. Chez Hitler et chez les nazis comme Heydrich ou Eichmann, le phénomène était permanent. Aujourd’hui, dans des pays arabes, où circulent les Protocoles des Sages de Sion, on fait respirer ces « bouffées délirantes » aux enfants dès l’école, dans les manuels scolaires. Ces bouffées étaient présentes chez les policiers du Tsar qui avaient rédigé ces fameux Protocoles, mais aussi chez les officiers français qui envoyèrent le capitaine Dreyfus au bagne, et les terroristes de Daesch en sont imprégnés.
Comme le dit Joann Sfar, l’auteur de la merveilleuse BD Le chat du rabbin, « la folie la plus ancienne et la plus irréfutable, c’est la haine des juifs » (Tribune juive, 16 avril 2021). Le jugement de la Cour de Cassation nous apprend que ce genre de folie qui conduit partout et toujours au crime, doit rester impuni. Un boulevard s’ouvre devant les criminels antisémites, dès lors que leur antisémitisme est « une bouffée délirante aiguë ». En revanche l’automobiliste qui, sous l’emprise d’alcool ou de drogue, provoque un accident, sera condamné. Comprenne qui peut.
L’arrêt de la Cour de Cassation tombe à un moment où la société française se fracture de plus en plus, où les haines se répandent, se croisent et s’entrecroisent, se nourrissent les unes les autres, où les débats sereins et nuancés semblent être devenus impossibles. En particulier la haine antisémite se répand, se banalise, s’affiche sans vergogne. Le seul rempart dans une démocratie, c’est l’État de droit, c’est une justice inflexible. Ce rempart semble céder. Tous les démocrates doivent s’inquiéter d’une telle justice. Car sans justice équitable, il n’y a pas de démocratie.
Alors la mobilisation citoyenne doit prendre le relais pour ne pas laisser nos compatriotes juifs seuls face à la haine, face aux meurtres comme face à l’antisémitisme quotidien. Les actions de solidarité ont été bien timides depuis l’assassinat d’Ilan Halimi en 2006, malgré la succession des violences, et notamment l’assassinat d’enfants juifs à Toulouse, pour la première fois depuis 1945. Les juifs de France se trouvent bien seuls dans leur douleur. Les chrétiens, du fait de leur histoire commune et trop souvent douloureuse avec les juifs, portent une responsabilité particulière pour témoigner aux juifs non seulement leur amitié et leur soutien, mais pour affirmer une position politique courageuse, pour affirmer que l’antisémitisme est impossible, pour être ce rempart dont notre société a besoin. C’est à ce courage qu’ont appelé les évêques avec leur Déclaration solennelle Lutter ensemble contre l’antisémitisme et l’antijudaïsme (1° février 2021), c’est à ce courage qu’appelle le pape François. L’heure est à la mobilisation pour éveiller les consciences.