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Publié le 6 avril dans Le Monde
Démarche inhabituelle, le musée-mémorial d’Izieu, dans l’Ain, a lancé un appel à témoins pour reconstituer la toute première commémoration de la rafle des enfants juifs, datant du 7 avril 1946. « Nous venons de retrouver un habitant de l’Isère qui était venu jouer dans la fanfare officielle, il avait 10 ans à l’époque. La mémoire collective est vivante, elle s’entretient chaque jour. Un souvenir ou un document anecdotique en apparence peut révéler beaucoup de choses. Cette cérémonie nous délivre des renseignements précieux », explique Dominique Vidaud, directeur de la Maison d’Izieu, inaugurée sur les lieux de la tragédie, le 24 avril 1994, par François Mitterrand. Depuis, Izieu est devenu un site politiquement sensible. Après avoir envisagé la baisse d’une subvention au mémorial, s’attirant de vives réprobations, le président de la région, Laurent Wauquiez, a prévu d’y venir ce 6 avril, trois semaines après Najat Vallaud-Belkacem, son adversaire socialiste.
L’idée de cet appel public est venue d’un lot de clichés inédits, donné l’année dernière par un photographe de Bretagne, proche de la famille de Marie-Antoinette Cojean. Avec son patron, Pierre-Marcel Wiltzer, celle qui était alors secrétaire générale de la sous-préfecture de Belley avait activement participé à l’installation des enfants juifs fuyant la menace nazie, en fournissant meubles, couvertures, tickets de ravitaillement. Sur les photos prises par Marie-Antoinette Cojean le jour de la première commémoration, l’équipe du mémorial a remarqué la présence d’une caméra, parmi la foule. D’où l’idée d’aller rechercher dans les archives des actualités Gaumont…
Une commémoration fondatrice
Bonne pioche ! Une séquence de trente-quatre secondes a été retrouvée l’année dernière auprès de la société cinématographique. Soixante-quinze ans après son tournage, le film montre les visages animés de cette immense foule, grave et recueillie autour du dernier refuge des enfants, arrêtés le 6 avril 1944 par la Gestapo de Lyon, commandée par Klaus Barbie, déportés et exterminés à Auschwitz-Birkenau.
D’autres photos ont été apportées au mémorial, il y a quelques jours, par un ancien responsable local de l’association scoute des Eclaireurs de France, qui gardait un album de cette journée. Là encore, les images confirment l’ampleur de cette commémoration fondatrice, en présence d’environ 3 000 personnes. « C’est la confirmation que les enfants n’ont pas été oubliés. Certes, les travaux de Serge Klarsfeld ont été essentiels pour retracer leurs parcours et faire d’Izieu le symbole des 10 000 enfants juifs déportés de France, mais les bases de la mémoire ont été posées très tôt », analyse Dominique Vidaud.
Une mine d’or
Après l’appel à témoins, l’actuel sous-préfet de Belley a eu l’idée d’aller fouiller dans les sous-sols de sa résidence de fonction. Il a trouvé le dossier entier du comité d’organisation de la commémoration d’avril 1946, miraculeusement préservé. Une mine d’or. Il permet de retracer la minutieuse préparation de la journée, pour laquelle des bus étaient affrétés et de multiples invitations officielles lancées.
Le dossier contient le discours de Laurent Casanova, ministre communiste des victimes de guerre, et du père Chaillet, fondateur des clandestins Cahiers du Témoignage chrétien (qui deviendront l’hebdo Témoignage Chrétien à la Libération) – et même le mot d’absence de l’archevêque de Belley. On apprend aussi la présence de Salomon Poliakoff, venu de Genève, tout juste nommé grand rabbin de Lyon. Sa lettre, en réponse à l’invitation du comité, révèle que la communauté juive a été très tôt associée à la mémoire d’Izieu, contrairement à l’idée qui s’était installée au moment du procès Barbie, en 1987, à Lyon.
A l’époque, Théo Klein, président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), se reprochait « un péché d’oubli » à l’égard des enfants d’Izieu. Le souvenir incomplet de la cérémonie a propagé l’idée que l’appartenance juive des innocentes victimes aurait été délibérément gommée de la plaque inaugurée le 7 avril 1946, comme pour atténuer une mauvaise conscience locale. Or les documents référencent les 771 donateurs de la souscription lancée dès 1945 pour financer cette plaque, posée sur la maison, et le monument érigé sur la route d’accès, à Brégnier-Cordon.
Contrepoison aux racismes
Beaucoup de collectivités de l’Ain, mais aussi d’autres communes et de nombreux particuliers, se sont sentis concernés par la perpétuation du souvenir des enfants et de leurs éducateurs assassinés. « La mémoire, ce n’est pas un acte de repentance perpétuel, c’est affronter le passé sans courber la tête, comme l’a écrit Paul Ricœur. La mobilisation d’un territoire autour de la maison pour la première commémoration, cela signifie un acte positif », affirme le directeur du mémorial.
La condition pour maintenant se tourner vers l’avenir. Fabriquer le contrepoison aux racismes. C’est ce que préconisait Gaston Lavoille, principal du collège de Belley, dans son discours prononcé en 1946 devant les caméras de la Gaumont : « Elever et sceller ces marbres (…) c’est construire un avenir meilleur où les petits enfants ne redouteront plus la cruauté des hommes, iront au-devant de la vie dans la certitude des lendemains clairs, dans la plénitude de la confiance et de la joie, dans l’harmonie et la fraternité. »