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Published on 20 May 2020

Europe - Le plan solidaire d'Emmanuel Macron et Angela Merkel pour l’Europe face aux réticences des pays "frugaux"

Pays-Bas, Autriche, Suède et Danemark rejettent le principe de subventions mis en avant par Paris et Berlin, afin d’aider les Etats et secteurs les plus touchés par la pandémie.

Publié le 20 mai dans Le Monde

Rien n’est joué : c’est la formule qui résume le mieux le sentiment dominant dans l’Union européenne (UE) au lendemain de l’annonce d’un accord franco-allemand pour tenter de relancer l’économie européenne, les pays, les régions et les secteurs les plus touchés par la pandémie, à hauteur de 500 milliards d’euros, montant qui serait financé par un emprunt communautaire.

Impossible sans une entente entre Berlin et Paris, le plan satisfera-t-il pour autant les vingt-cinq autres pays membres ? Angela Merkel, elle-même, a évoqué, lundi 18 mai, « une ébauche de solution », tandis qu’Emmanuel Macron indiquait qu’une entente avec Berlin ne signifiait pas − ou plus − la garantie d’une approbation par les Vingt-Sept.

Une initiative « constructive »

Un tabou a été levé − surtout pour Berlin −, à savoir le droit, pour la Commission de Bruxelles, d’emprunter une telle somme au nom de l’Union, dans le cadre du budget européen, puis à reverser cet argent aux Etats membres les plus frappés. Le collège européen n’a toutefois exprimé aucun enthousiasme. Sa présidente, Ursula von der Leyen, a prudemment parlé d’une initiative « constructive » de la France et de l’Allemagne. Elle doit en fait présenter, le 27 mai, une proposition de budget 2021-2027 censée traduire sa propre vision d’un plan de relance. Et ce sera ensuite à Charles Michel, le président du Conseil, de forger un accord à l’unanimité sur cette base.

La philosophie du projet Merkel-Macron, selon laquelle les bénéficiaires des 500 milliards ne seront pas ceux qui devront les rembourser, est différente de celle du futur plan de Bruxelles. Ursula von der Leyen évoquait un niveau de subventions plus faible − moins de 200 milliards d’euros − et envisageait d’apporter l’argent levé sur les marchés en garantie aux Etats, et plus encore aux entreprises qui auraient besoin d’emprunter pour faire face à la crise. « Il y aura des prêts et des transferts », a assuré quant à lui Valdis Dombrovskis, vice-président exécutif de la Commission, mardi.

Désormais lâchés par l’Allemagne, plusieurs Etats membres refusent le principe d’un mécanisme de subvention et souhaitent que l’argent soit remboursé par ceux qui en auront bénéficié. Et disent non au système de redistribution que suppose le transfert budgétaire imaginé par la chancelière allemande et le président français. Lors d’une réunion des ministres des finances par visioconférence, mardi, les Pays-Bas ont, par exemple, jugé que l’initiative franco-allemande permettait « le début, et pas la fin d’une discussion ». Wopke Hoekstra, le ministre des finances néerlandais, estimait que le texte devait insister davantage sur les réformes économiques nécessaires. En clair : pas d’argent octroyé sans condition aux pays du sud.

« Etre solidaire, mais pas payer pour la dette des autres »

Chef de file du camp dit des « frugaux » − qui réunit les Pays-Bas, l’Autriche et les pays scandinaves −, M. Hoekstra, adversaire résolu de toute mutualisation des dettes, sait qu’il est appuyé par une large fraction du parlement de La Haye. Son intransigeance menace toutefois la stabilité de la coalition que dirige Mark Rutte : le parti centriste proeuropéen D 66 ne cache plus son malaise face aux positions défendues par M. Hoekstra et, dans une moindre mesure, par le premier ministre libéral.

Au Danemark, la première ministre, Mette Frederiksen, n’a pas réagi officiellement à l’annonce du plan franco-allemand. Le 24 avril, elle avait indiqué que son pays « voulait bien être solidaire, mais pas payer pour la dette des autres ». Le ministre social-démocrate des finances, Nicolai Wammen, a, lui, déclaré mardi que la position de son pays n’avait « pas été modifiée ». Le gouvernement refuse tout compromis au sujet de la contribution de Copenhague au budget européen, lequel resterait « dans la limite des 1 % du PIB ». Le député social-démocrate Lars Aslan Rasmussen a également rejeté mardi le principe d’une éventuelle dette commune.

Le ton est un peu différent à Stockholm, où Stefan Löfven prépare, depuis quelques semaines, ses concitoyens à l’idée que son pays, qui se vante souvent d’être « le plus avare de l’UE », devrait se montrer plus solidaire. Le 15 mai, il indiquait cependant qu’il était « favorable à un prêt et contre le principe d’une subvention » et qu’il voulait savoir ce que financerait exactement le plan de relance européen. Dans un entretien mardi soir au journal Dagens Nyheter, la ministre des finances, Magdalena Andersson, trouve le projet franco-allemand « trop expansif » et juge que « les pays qui arrêtent les exportations de matériel médical n’ont peut-être pas à parler de solidarité ». Une référence claire à la France, qui avait stoppé des masques suédois en direction de l’Espagne et de l’Italie, au point de susciter un incident diplomatique voilà un mois. En Suède, quelques voix s’élèvent toutefois pour appeler à « renouer le lien historique avec Paris et Berlin ».

« Un compromis qui permet un accord »

En Autriche, le chancelier, le conservateur Sebastian Kurz, a tweeté lundi, deux heures après la conférence de Mme Merkel et M. Macron, que sa position n’avait « pas changé ». Il refuse toute augmentation du plafond du budget européen. Et son ministre des finances, Gernot Blümel, s’est fait plus précis encore mardi : « Nous n’accepterons pas la mutualisation des dettes sous le couvert de la crise. » Pas question, dit-il, de financer des aides post-coronavirus « par des subventions non remboursables ». L’Autriche accepterait des prêts, mais pas des subventions qui se traduiraient par des milliards de charges pour le pays. Vienne négocierait une expression commune avec ses alliés « frugaux » sur ce point.

Une voix discordante s’est pourtant fait entendre chez l’allié écologiste de M. Kurz : la chef de la délégation des Verts autrichiens au Parlement européen, Monika Vana, dit « saluer » le plan Merkel-Macron. « Il s’agit d’un compromis qui permet un accord. C’est la position des Verts autrichiens », affirme-t-elle. Mais à Vienne, les dirigeants de son parti, en coalition avec M. Kurz, gardent le silence. En bout de ligne, la position du chancelier, moins dure que celle des Pays-Bas, pourrait toutefois évoluer, jugent certaines sources. A condition que le plan de 500 milliards prévoie au moins une partie d’emprunts remboursables.

Plus à l’est, le premier ministre libéral tchèque, Andrej Babis, disait, mardi, se poser « beaucoup de questions » sur le projet franco-allemand. A Varsovie, le gouvernement ultra-conservateur de Mateusz Morawiecki semblait ne pas le rejeter par principe, à condition d’en savoir plus sur la répartition des fonds entre les bénéficiaires.

Le ton est, évidemment, très différent à Rome et à Madrid, où quelques critiques étaient seulement entendues aux extrêmes de l’échiquier politique. Le premier ministre socialiste espagnol, Pedro Sanchez, a dit recevoir « positivement » la proposition franco-allemande mais a appelé la Commission à « une réponse ferme, en accord avec la magnitude de la crise que nous affrontons, et dirigée spécialement vers les pays et secteurs les plus touchés ».