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Published on 14 November 2019

Mémoire - J'aimerais qu'il reste quelque chose : filmer la Shoah de façon contemporaine

Ludovic Cantais a filmé les bénévoles qui accueillent les proches de déportés désireux de léguer des objets au mémorial de la Shoah, à Paris.

Publié le 13 novembre dans Le Point

Documentariste, plasticien, auteur notamment d'un portrait d'Hubert Selby Jr, Ludovic Cantais a plusieurs métiers. En 2012, alors documentaliste au mémorial de la Shoah, à Paris, le temps d'une exposition, il découvre le travail des bénévoles qui accueillent les rescapés ou les enfants de déportés désireux de confier au musée les traces de leur histoire. Son documentaire J'aimerais qu'il reste quelque chose donne à voir le processus indicible par lequel ces témoins se défont d'objets essentiels de leur histoire personnelle, appelés à devenir, dans le cadre muséal, les pièces d'un puzzle par lequel la mémoire se conserve. Rencontre avec le cinéaste.

Le Point : Comment ce film est-il né  ?

Ludovic Cantais : En 2012, j'ai travaillé comme documentaliste sur une exposition intitulée « Les Enfants dans la Shoah ». Il fallait contacter les différents mémoriaux : Auschwitz, Yad Vashem, etc. J'ai découvert à ce moment-là qu'il y avait une permanence, tous les mardis, au mémorial où les familles juives arrivaient avec leurs archives. Ils venaient souvent pour les donner, parfois simplement pour en parler, avoir un avis, faire un double. J'ai trouvé cela passionnant. Voir les gens confier de l'intime, c'est profondément émouvant, mais ça va au-delà, il y a une circulation de la parole, un échange, entre les témoins directs et les bénévoles qui en dit long sur la transmission du témoignage et le fonctionnement de la mémoire. Quelque part, il s'agissait de filmer la Shoah de façon contemporaine, avec un angle différent, autour de ceux qui donnent et ceux qui reçoivent.

Que vous a appris la rencontre avec ces témoins ?

Ce que j'ai découvert, c'est le saut de générations. Les gens qui ont vécu la Shoah n'en ont souvent pas parlé à leurs enfants pour les épargner, pour réussir à passer à autre chose… Mais, ensuite, ils se sont souvent confiés à leurs petits-enfants. J'ai aussi été frappé par la pluralité sociologique des témoins. Il y avait des ouvriers, des fonctionnaires, des médecins…

Comment ont-ils accueilli la caméra ?

Je suis venu plusieurs mardis de suite sans caméra. Ça me permettait de me faire accepter, et aussi de réfléchir à l'angle. Je ne voulais pas de contrechamp, mais un plan-séquence fixe pour être discret, pour être dans l'écoute. J'ai décidé de faire des noirs, de montrer les coutures, pour illustrer la dimension parcellaire de la mémoire.

Quels moments vous ont particulièrement saisi ?

Quand on est allés à Clermont-Ferrand, avec les bénévoles, à la rencontre des gens de la région. Une femme est arrivée avec des documents, dont un brassard bleu marqué « Juif ». J'ai vu aussitôt que c'était une pièce exceptionnelle, comme neuve. Et la réaction des bénévoles du mémorial l'a confirmé. C'est donc devenu un passage essentiel du film : ce qui arrive ensuite à ce morceau d'Histoire, comment il est répertorié, archivé, comment il sera un jour exposé… On ne peut pas écrire ce genre de film à l'avance, il faut aussi savoir s'adapter à ce qui se passe.

 

J'aimerais qu'il reste quelque chose de Ludovic Cantais, sortie le 13 novembre 2019.