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Publié le 13 juin dans Marianne
Présidée par la députée (LFI) Muriel Ressiguier depuis décembre dernier, la commission d’enquête sur la lutte contre les groupuscules d’extrême droite a auditionné près de 80 personnes ces derniers mois, politiques, experts et militants compris. Marianne s’est procuré le rapport de la commission qui doit être rendu public ce jeudi. En ressort un état des lieux de l’ultradroite pour le moins inquiétant, quelques heures seulement après qu’on a appris la mise en examen d’un groupe de cinq hommes. Proche de la mouvance néonazie, ils auraient baptisé leur attelage « l’oiseau noir » et projetaient d’attaquer un lieu de culte juif ou musulman ou bien encore un rassemblement du Conseil représentatif des institutions juives de France.
"Le risque de terrorisme d’ultradroite doit être pris très au sérieux"
Le rapporteur Adrien Morenas (LREM) l’assure, après les attentats contre la mosquée de Christchurch et la synagogue de Pittsburg, « le risque de terrorisme d’ultradroite doit être pris très au sérieux ». En 2017 et 2018, la garde des sceaux, citée dans le rapport, affirme que le parquet antiterroriste a ouvert plusieurs procédures « pour des chefs d’association de malfaiteurs terroriste, apologie du terrorisme, détention d’armes ou d’engins explosifs ou incendiaires, visant des membres de l’ultradroite soupçonnés de fomenter de tels passages à l’acte violents ».
Pourtant, d’après l’historien Nicolas Lebourg, les services de renseignement ne recenseraient que « 2 000 à 3 000 personnes » gravitant dans ces organisations. Un chiffre stable depuis plusieurs décennies, malgré des groupuscules « atomisés, insaisissables, fragmentés. En perpétuelle querelle de chef », précise le rapport. D’un point de vue idéologique, nous dit le rapport, ces militants radicaux sont tous acquis à la théorie du « grand remplacement ». Devant la commission, l’un d’eux a ainsi estimé que derrière ce « terme littéraire » se cachait un « véritable génocide ethnique des Français historiques et des Européens ».
Ce qui a vraiment changé ces dernières années, c’est finalement la présence des membres de cette ultradroite sur le Web et les réseaux sociaux grâce auxquels ils s’offrent une image bien plus proprette que celle de leurs prédécesseurs en bombers sombres et crâne rasé. Et s’érigent en défenseur de la nation dans des domaines où les pouvoirs publics auraient capitulé... « De fait, certaines opérations ont effectivement été menées avec l’intention affichée de se substituer aux autorités publiques dans l’exercice de leurs compétences régaliennes, tandis que les travaux de la commission ont soulevé la question de la participation à des mouvements d’extrême droite de certains membres actifs, de réserve ou retraités des forces armées et de sécurité intérieure », poursuit le rapport. Un phénomène confirmé par Nicolas Lerner en personne, le patron de la DGSI.
D’anciens militaires ou fonctionnaires de police auraient donc rejoint ces bastions extrémistes, avec la prétention de faire régner l’ordre pour palier un État « en faillite ». Une volonté qui transparaît notamment dans les actions de Génération identitaire, arborant un même blouson bleu ciel pour bloquer la frontière franco-italienne sur le col de l’Échelle, près de Briançon, l’hiver dernier, ou un même coupe-vent jaune lors de « maraudes anti-racaille dans le métro». Sortes d’uniformes servant à brouiller les pistes.
Parmi les recommandations phares du rapport, ses auteurs évoquent la nécessité de renforcer le cadre juridique de la « dissolution». A l’heure actuelle, difficile d’imputer à une association les faits commis par ses membres. Surtout quand ces derniers ont eu pour consigne de taire leurs liens : « Mme Lucile Rolland (cheffe du service central du renseignement territorial, ndlr) a souligné que les groupuscules “recommandent à leurs membres ou à leurs sympathisants qui participent à des actions violentes de ne jamais se réclamer du groupe – Génération identitaire, Bastion social – s’ils sont interpellés mais de prétendre avoir agi à titre individuel”. Il arrive en revanche que les groupuscules financent ensuite la défense juridique de leurs membres », détaille le rapport. Pour faciliter la procédure de dissolution vis-à-vis de ces organismes, le rapport préconise donc de pouvoir sanctionner « leur inaction ou leur abstention à faire cesser de tels agissements. »
Parmi les points forts, la commission souhaite également « redonner sa pleine portée au délit de provocation à la haine ou à la violence raciste, en supprimant l’exigence, introduite par la jurisprudence, d’une exhorte ». Comprendre : d’un encouragement. Un point qui, ces dernières années, a fait basculer de nombreuses affaires en faveur d’auteurs d’actes injurieux, comme pour cette candidate FN qui avait comparé l’ex-ministre Christiane Taubira à un singe.
En référence aux « quenelles » de l’humoriste controversé Dieudonné, la commission évoque aussi l’idée « d’ajouter “les gestes” à la liste des moyens et modes de communication des délits de presse (...), élever la contravention (...) au rang de délit, et étendre ce délit à l’exécution de gestes rappelant ceux d’organisations ou de personnes responsables de crime contre l’humanité ». Une manière de réduire les chausses-trappes procédurales de cette loi, et d’empêcher quiconque de profiter du principe de la liberté de la presse dans le but de promouvoir un discours ou des signes haineux.
Le rapport propose enfin de promouvoir « les initiatives du type “name and shame” visant à publier la liste des annonceurs dont les contenus sont visibles sur les sites diffusant des propos haineux. »
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