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Published on 1 March 2019

Haine sur Internet - Y a t-il une opportunité pour changer la face du Web ?

La question de la régulation des comportements haineux et contraires à la loi pose des questions éthiques et politiques. La tentation de la réponse législative est forte dans un environnement très complexe. C'est pourtant un moment clef pour façonner enfin un Internet plus sûr pour tous. Encore faut-il mettre à contribution toutes les parties prenantes avec une vraie ambition et des valeurs universalistes claires.

Publié le 27 février dans Les Echos

Un article de Nicolas Chagny, Président de l'Internet Society France

Le président de la République et le ministre Mounir Mahjoubi ont annoncé qu'une proposition de loi serait prochainement soumise aux parlementaires pour lutter plus efficacement contre la hausse des contenus illégaux en ligne. Le Web n'est pas une zone de droit. Et pourtant, sa jeunesse, son extraterritorialité et son volume de contenus croissant s'opposent aux systèmes de contrôle traditionnels. Des initiatives existent, mais leur périmètre est souvent limité. Le système judiciaire, épaulé par des forces de l'ordre organisées dans un dispositif éprouvé, existe, mais n'a pas la puissance des géants d'Internet.

Si la prise de conscience de l'exécutif est indispensable, est-elle suffisante ? Faut-il répliquer un tandem justice/police du monde réel à l'identique ? Quels acteurs sont indispensables à la construction d'un meilleur web pour tous ? Un certain nombre d'actions concrètes sont possibles à court et moyen termes.

En finir avec le faux argument technique de la masse des données

Ce n'est pas le web qui crée la haine. Les réseaux sociaux sont une caisse de résonnance. Les questions du réinvestissement de nos sociétés par des extrémismes doivent être posées plus largement. Les vidéos incitant au djihad ne sont pas à l'origine du fondamentalisme islamique, elles aident son développement. Pour autant, les plateformes doivent cesser de se défausser sur l'argument du nombre des données impossible à traiter. La preuve, Facebook est capable de censurer des tétons de femme en quelques secondes.

La régulation n'est possible qu'avec l'aide des opérateurs

Il n'y a pas que les plateformes et la police qui doivent mettre les mains dans le cambouis. Confronter les auteurs d'appels au meurtre, au viol, à la haine raciale n'est pas possible sur la base d'incantations. Si on demande aux personnes de fournir un papier d'identité en cours de validité pour s'inscrire sur une plateforme, elles iront sur une autre moins regardante, opérée par un état moins à cheval sur les droits de l'homme, il en existe déjà de nombreuses.

Si on somme les plateformes de repérer les auteurs, moyennant des amendes colossales, des menaces, on n'arrivera pas à grand-chose dans la mesure où les cybercriminels et les criminels opèrent souvent en mobilité, c'est-à-dire avec des téléphones ou des tablettes. Car l'identification des auteurs par leur adresse IP est rendue difficile en mobilité, les opérateurs partageant les adresses IP (v4) massivement.

Ce que protéger (tous) les internautes veut dire 

Cela signifie que même si l'exécutif tord le bras des plateformes, elles ne peuvent pas atteindre les personnes les plus nuisibles. Ce sont les opérateurs techniques, qui eux, ont cette capacité de repérage.

La Belgique a réuni la justice et les opérateurs dans un code de bonne conduite, limitant le partage des IP. Le challenge de la montée de la haine en ligne est un moment de prise de responsabilité et de co-construction. Aux plateformes de protéger les internautes non violents en rendant invisibles vite et bien les contenus contraires à la loi. Au combo plateforme-opérateur-justice d'identifier et d'apporter une réponse pénale aux personnes coupables de ces actes. Lutter contre la haine en ligne nécessite d'impliquer toutes les parties prenantes.

L'Internet que nous voulons

Nous sommes aujourd'hui à un tournant, avec 3 décennies de recul, sur Internet. Si nous le souhaitons, nous avons les outils techniques, législatifs et la volonté politique pour le réformer en profondeur et en bannir la haine des femmes, des juifs, des homosexuels, etc. C'est un enjeu gigantesque qui en préfigure un autre.

Demain, nous déciderons du type de robots que nous fabriquerons. Les intelligences artificielles comme les robots les plus mécaniques seront fabriqués par des hommes et des femmes qui leur donneront leur champ d'apprentissage, et leurs règles. La question de la mobilisation multi parties prenantes - du privé, du public, des politiques et des citoyens - se reposera très vite. Il serait bon d'avoir acquis la capacité de travailler en bonne intelligence pour faire respecter les valeurs démocratiques et républicaines.