News
|
Published on 31 August 2016

La légitimation internationale de l’amalgame nazifiant (Durban I, II, …)

Cette conférence devait être l’occasion d’un retour sur les traumatismes du passé (colonialisme et esclavagisme) et la persistance du racisme...

Seulement, les buts de la Conférence ont été détournés...

Introduction par Marc Knobel, directeur des Etudes au Crif :
 
Nous publions ci-dessous avec l’aimable autorisation de son auteur un chapitre de l’ouvrage que le philosophe, politologue et historien des idées faisait paraître aux éditions Les provinciales, 2011, 281 pages, « Israël et la question juive. Boycott pour un massacre. »  Dans cet extrait, Pierre-André Taguieff revient sur un immense scandale : la conférence sur le racisme de Durban 1, notamment.
 
De quoi s’agit-il ? La Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance s’est ouverte à Durban, en Afrique du Sud, du 31 août au 4 septembre 2001. Cette conférence devait être un moment de réflexion : l’occasion d’un retour sur l’Histoire, les traumatismes du passé (colonialisme et esclavagisme), et la persistance du racisme. Seulement, les buts de la Conférence ont été détournés… Quelques années plus tard, la seconde conférence de Durban dite Durban 2, s’est tenue à Genève des 20-24 Avril 2009. Pierre-André Taguieff rappelle que le projet de résolution qui devait être adopté au terme de cette conférence mentionnait Israël comme un pays «raciste et occupant». Le projet de document final comportait cinq paragraphes consacrés à Israël, accusé de mener une politique raciste similaire à l’apartheid vis-à-vis des Palestiniens. On ne saurait s’en étonner, compte tenu de la composition du Bureau du comité préparatoire, dont les membres ont été élus en août 2007: la Libye y figure en tant que présidente, Cuba en tant que rapporteur, la République islamique d’Iran comme vice-présidente, et le Pakistan s’y affirme comme porte-parole militant de l’Organisation de la conférence islamique (OCI), rappelle le politologue.
 
C’est ce grand cirque que Pierre-André Taguieff démonte ici, avec brio et intelligence. Ce passage est d’autant plus intéressant que, comble de cynisme, doit se tenir le 22 septembre 2011, au siège des Nations-Unies, à New-York, la commémoration de Durban 1! Il faut être reconnaissant à Pierre-André Taguieff dans l’ensemble de son œuvre et dans ce dernier ouvrage de démonter cette hystérie anti-israélienne et anti-juive.
 
Texte de Pierre-André Taguieff :
 
Massivement diffusé par les pays arabes et l’empire soviétique au cours des années 1960 et 1970, l’amalgame polémique entre « sionisme » et « racisme » a été fortement et mondialement légitimé par la honteuse Résolution 3370 adoptée le 10 novembre 1975 par l’Assemblée générale de l’ONU, condamnant le sionisme comme « une forme de racisme et de discrimination raciale ». L’adoption de cette Résolution pseudo-antiraciste s’est faite d’une façon mécanique : depuis plusieurs années déjà, les Palestiniens bénéficiaient d’une majorité « automatique » à l’ONU. Ironisant sur ce vote de l’Assemblée générale de l’ONU, Abba Eban, ministre israélien des Affaires étrangères de 1966 à 1974, a déclaré à l’époque que cette même majorité, « s’il fallait voter que la Terre est plate, voterait que la Terre est plate ». Le rôle de la bêtise dans l’Histoire est aussi important que celui du conformisme majoritaire, avec lequel il fonctionne souvent en symbiose. Cette Résolution, qui présupposait l’existence de fortes ressemblances entre le « sionisme » et des systèmes racistes comme le nazisme ou le régime sud-africain d’apartheid, ne sera abrogée que le 16 décembre 1991. Mais le mal avait été fait : l’accusation de « racisme » avait été mise en orbite, légitimée par cette Résolution de l’ONU durant une quinzaine d’années. Elle s’était inscrite dans le discours « antisioniste » d’usage international. Réciproquement, l’accusation de « sionisme » avait été intégrée dans l’arsenal des thèmes « antiracistes ». Depuis le milieu des années 1970, l’association des mots « racisme » et « sionisme » est devenue une évidence idéologique, qui a inspiré nombre de slogans et de mots d’ordre, en particulier ceux qui appellent au boycottage d’Israël (en matière de commerce, de culture, de recherche et d’enseignement, etc.), ainsi traité en État criminel. La force symbolique de l’amalgame nazifiant a donc survécu à l’abrogation de la Résolution 3370.
 
L’une des plus significatives manifestations internationales du pseudo-antiracisme visant le sionisme et Israël aura été la première « Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance », organisée par l’ONU à Durban (Afrique du Sud) du 31 août au 8 septembre 2001, quelques jours donc avant les attentats antiaméricains du 11-Septembre [15]. La corruption idéologique de la défense des droits de l’homme et de la lutte contre le racisme, détournés et instrumentalisées par les promoteurs d’un néo-tiers-mondisme mâtiné d’islamisme, s’est révélée à travers le déchaînement de haine contre Israël et l’Occident qui marqua cette prétendue « Conférence mondiale contre le racisme ». Ce qui s’est passé à Durban, où des milliers d’ONG ont déversé leur haine, a montré que la démonisation « antiraciste » d’Israël et du « sionisme » restait le principal geste rituel des nouveaux judéophobes. Mais l’accusation de « racisme » véhiculant une série d’autres accusations diabolisantes et criminalisantes, qui culminent dans celle d’extermination et de génocide, une nouvelle figure du Juif comme ennemi absolu a été construite. Condamner l’État d’Israël comme « État raciste », en l’assimilant au Troisième Reich ou au régime sud-africain d’apartheid, c’est le vouer à la destruction. On ne discute pas avec l’ennemi absolu, on l’élimine physiquement.
 
Huit ans plus tard, du 20 au 24 avril 2009 s’est tenue à Genève la Conférence de suivi, dite de « Durban II ». L’objectif de cette seconde Conférence mondiale de l’ONU contre le racisme était de « préciser les acquis de Durban ». Le projet de résolution qui devait être adopté au terme de cette Conférence mentionnait Israël comme un pays « raciste et occupant ». Fin février 2009, le projet de document final comportait cinq paragraphes consacrés à Israël, accusé de mener une politique raciste similaire à l’apartheid vis-à-vis des Palestiniens. On ne saurait s’en étonner, compte tenu de la composition du Bureau du comité préparatoire, dont les membres ont été élus en août 2007 : la Libye y figure en tant que présidente, Cuba en tant que rapporteur, la République islamique d’Iran comme vice-présidente, et le Pakistan s’y affirme comme porte-parole militant de l’Organisation de la conférence islamique (OCI). C’est sous la pression de l’OCI qu’avaient été inclus, dans les dernières versions du projet de déclaration finale, jugées inacceptables par les pays européens, outre une violente mise en accusation d’Israël, le thème de la « diffamation des religions », puis la notion de « stéréotype négatif des religions », à l’évidence en vue d’interdire toute critique de l’islam. Cependant, le 17 avril 2009, le troisième et dernier comité préparatoire de la conférence d’examen de Durban, après un dur marchandage, s’est conclu sur un « compromis minimal ». Huit pays ont néanmoins décidé de boycotter la conférence avant même son ouverture : Israël, le Canada, les États-Unis, l’Italie, la Pologne, les Pays-Bas, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Ils ont été rejoints par la République tchèque le 20 avril 2009, après la diatribe anti-israélienne du président iranien, présentant comme une action criminelle la création de l’État d’Israël et dénonçant le « gouvernement raciste » d’Israël. La veille de son discours à la tribune genevoise de l’ONU, Mahmoud Ahmadinejad a déclaré à la télévision iranienne que « l’idéologie et le régime sionistes sont les porte-drapeaux du racisme », précisant que les sionistes « pillent les richesses des nations en contrôlant les centres de pouvoir du monde » et qu’ils « ont créé les conditions pour que rien ne puisse être dit au sujet de ce phénomène diabolique dont les effets pèsent sur les habitants des nations ». Il a ajouté que la Conférence de l’ONU se tiendrait alors que « le sionisme mondial va employer tous les moyens pour étouffer les voix innocentes contre la tyrannie ». Les institutions internationales les plus prestigieuses sont ainsi devenues des scènes sur lesquelles les représentants des pires dictatures donnent des leçons de liberté et de fraternité au genre humain. 
 
Dans son intervention du 20 avril 2009 à Genève, le jour de l’ouverture du Colloque de l’ONU   qui coïncidait avec la journée annuelle du souvenir de la Shoah  , le président iranien a accusé Israël d’être le « régime le plus cruel et le plus raciste ». Il a stigmatisé la création de l’État hébreu après la victoire des Alliés sur le nazisme, esquissant pour l’occasion un récit historique parfaitement fantaisiste mettant une fois de plus l’Occident en accusation :
 
« Après la fin de la Seconde Guerre mondiale, ils [les Alliés] ont eu recours à l’agression militaire pour priver de terres une nation entière sous le prétexte de la souffrance juive. […] Ils ont envoyé des migrants d’Europe, des États-Unis et du monde de l’Holocauste pour établir un gouvernement totalement raciste en Palestine occupée. »
 
Les propos virulents du président iranien, applaudis par les pays musulmans et de nombreux pays africains et asiatiques, ont provoqué le départ de la salle du siège de l’ONU à Genève, sous les huées de la salle, d’une quarantaine de diplomates représentant 23 pays européens (4 autres pays ayant boycotté la réunion). Pourtant, Ahmadinejad avait décidé au dernier moment, pour des raisons tactiques, d’atténuer la virulence de son allocution [16]. Le même jour, le leader du Nouveau parti anticapitaliste (NPA), Olivier Besancenot, effectuait une visite en Israël et à Gaza pour « témoigner de sa solidarité avec la population palestinienne et avec ceux qui, en Israël, s’opposent à la politique criminelle de leur État ». Lors de cette journée hautement symbolique, la connivence entre le camp islamiste (ou pro-islamiste) et le camp de la gauche radicale est apparue au grand jour. 
 
La diabolisation d’Israël, portée par la campagne BDS et les provocations pseudo-humanitaires des « flottilles » pour Gaza, a préparé le terrain pour ce qui s’annonce comme un Durban III, la quatrième « Conférence contre le racisme, la xénophobie, la discrimination et l’intolérance qui y est associée », organisée à New York entre les 17 et 22 septembre 2011, à l’occasion de laquelle devrait être soumise au vote onusien la création d’un État palestinien [17]. Parmi les « enjeux » de cette nouvelle conférence internationale, la militante pro palestinienne et « altermondialiste » Mireille Fanon-Mendès France fait un sort particulier à cette série d’accusations contre Israël : « Instauration d’un apartheid d’État en Israël à l’égard des Palestiniens d’Israël mais aussi contre les Palestiniens des territoires illégalement occupés, imposition d’un blocus à l’égard de la population de la Bande de Gaza, au prétexte qu’elle est une “entité hostile” alors que l’ensemble de ces populations sont [sic] victimes de discrimination sociale, politique et juridique. »
 
La diabolisation d’Israël sera bien à l’ordre du jour. On sait que la diabolisation de l’État juif, traité comme l’incarnation du mal, implique une mise en accusation permanente de la politique israélienne fondée sur trois bases de réduction : le racisme/nazisme/apartheid, la criminalité centrée sur le meurtre d’enfants palestiniens (ou musulmans) et le « complot sioniste mondial » (pour la domination, contre la paix, etc.). La série des conférences internationales au cours desquelles Israël a été mis en accusation a donné une légitimité institutionnelle aux formes les plus mythiques de diabolisation de l’ennemi désigné, « l’entité sioniste » - comme ils disent. Or, de la diabolisation dérive la délégitimation radicale de l’État juif, la négation de son droit à l’existence. C’est pourquoi il faut mettre en question la légitimité elle-même de ces conférences pseudo-antiracistes, mises en scène trompeuses du droit international dont le véritable objectif est de rendre acceptable l’élimination d’un État-nation, Israël, le seul au monde à être traité comme un État en trop. 
 
Notes : 
[15] Pierre-André Taguieff, La Nouvelle Judéophobie, Paris, Mille et une nuits, 2002, pp. 130-131, 140-145 ; Id., Prêcheurs de haine. Traversée de la judéophobie planétaire, Paris, Mille et une nuits, 2004, pp. 336 sq. 
[16] Pour une analyse plus approfondie de Durban II, voir Pierre-André Taguieff, La Nouvelle Propagande antijuive, op. cit., pp. 188-199. 
[17] Voir Mireille Fanon-Mendès France, Conseil scientifique d’ATTAC, Fondation Frantz Fanon, « La prochaine conférence sur le racisme, la discrimination, la xénophobie et de l'intolérance qui y est associée : que s'y joue-t-il ? », avril 2011, http://www.e-joussour.net/fr/node/9151; http://www.e-joussour.net/files/DURBAN19avril2011.pdf. L’autorité que s’arroge cette militante d’extrême gauche se réduit à l’effet symbolique produit par le jumelage de ses deux patronymes prestigieux, soigneusement mis en avant. 
 
(Pierre-André Taguieff, « Israël et la question juive », Les provinciales, 2011. Extraits : chap. 7, 11 et 12)