Tribune
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Publié le 23 Janvier 2013

Qatar, l’internationale islamiste : de Doha à Alep, le salafisme sera-t-il le genre humain ?

 

Par Daoud Boughezala, rédacteur en chef adjoint de Causeur.

 

La francophilie absout-elle tous les péchés ? Jamais démenti depuis quelques années, le lien privilégié entre la France et le Qatar habite nombre de consciences politiciennes. Parmi les rares voix dissonantes, Julien Dray s’est singularisé en réclamant la création d’une commission d’enquête sur les investissements qataris en France, là où la députée Karine Berger, secrétaire nationale du PS à l’économie, invoque l’islamophobie dès qu’un importun ose attaquer Doha. Mais il y a plus grave que ces querelles picrocholines auxquelles la vie politique nous a accoutumés. Le Qatar n’investit pas seulement dans des équipes de football en perdition ou des palaces parisiens en quête d’une seconde jeunesse. Sur le plan international, les paris qataris se font sur un terrain nettement plus pentu et aventureux que les pelouses du Parc des Princes.

 

On savait l’émir du Qatar grand ami des révolutions arabes et de leurs porte-drapeaux islamistes. Les Tunisiens d’Ennahda sont dans ses petits papiers, de même que les islamistes libyens les plus obtus et la milice salafiste « syrienne » du Front Al-Nosra, largement approvisionné en jihadistes de tous les pays. Mais ce n’est pas tout. En juin dernier, bien avant l’engagement militaire français au Sahel, Le Canard enchaîné nous apprenait que « les insurgés du Mouvement national de libération de l’Azawad (Mnla), les mouvements Ansar Dine, Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et le Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) ont reçu une aide en dollars du Qatar.»

 

Traduction : au moment même où l’Algérie, l’Europe et Amérique comptent sur la France pour faire reculer les troupes jihadistes au nord du Mali, le meilleur ami moyen-oriental de Paris lui savonne la planche. Ce n’est pas donc qu’une question de bienséance, ni même de principes (quoiqu’on puisse trouver l’utopie jihadiste fort peu accommodante avec les femmes, les minorités religieuses et tout ce qui dépasse de son étroite weltanschauung), mais bien un conflit d’intérêts qui devrait inciter le quai d’Orsay à reconsidérer son amitié qatarie. En encourageant la constitution d’un narco -État islamiste touarego-malien, Doha finance à la fois le crime international et le terrorisme. Du point de vue de la dynastie Al-Thani, il est d’ailleurs logique d’arroser de pétrodollars des mouvements archéo-futuristes qui entendent recréer le fantasme des premiers temps de l’islam. Pour peu que les salafistes ainsi stipendiés se montrent reconnaissants et respectent la souveraine émancipée cheikha Moza, l’épouse de l’émir, les aider relève du comportement le plus hallal qui soit. La prédication (da’wa), le grand et le petit jihad ne figurent-ils pas parmi les devoirs du musulman ?

 

À trop se focaliser sur l’Iran, la diplomatie française oublie qu’il arrive que le diable porte pierre. Notre base militaire à Abu Dhabi, inaugurée à grand renfort de médias par un Nicolas Sarkozy alors au pinacle de la popularité, avait clairement désigné l’ennemi : Téhéran et ses velléités nucléaires. C’était faire peu de cas de la nouvelle puissance qatarie et de son sac à dos idéologique, non moins ambitieux que le messianisme khomeiniste. À ceci près que le Qatar s’adresse aux 90% de musulmans sunnites, loin de l’état de minorité qui confine l’Iran chiite dans la marge de l’Oumma. Nos brillants diplomates, d’ordinaire plus lucides, ont peut-être péché par analogie. Il est si tentant de rapprocher le wahhabisme saoudien de son petit frère qatari. Deux pétromonarchies conservatrices alliées des États-Unis, aux familles royales pléthoriques qui comptent nombre de mécènes du jihadisme, semblent a priori faites du même bois. Mais après les électrochocs du 11 septembre et la vague révolutionnaire partie de Sidi Bouzid en 2011, Riyad a perdu une grande partie de sa capacité d’influence. L’ancien allié des despotes déchus Ben Ali (réfugié à Jeddah !) et Moubarak cultive des relations mi-figue mi-raisin1 avec les Frères Musulmans locaux alliés d’Ankara et de Doha.

 

L’épreuve des faits nous montre des Saoudiens attentistes et prudents, attachés au fragile équilibre politique du royaume, dont les visages inquiets et sénescents contrastent avec l’activisme international des Qataris. L’émir du Qatar sera-t-il le Trotski du XXIe siècle ? Si l’hypothèse se vérifiait, on lui déconseillerait vivement de tenter d’exporter le jihad au Mexique…

 

Note :

1. Non fermenté, cela va sans dire !