Tribune
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Publié le 27 Mars 2012

Néonazis et islamistes, nos cauchemars jumeaux

Par Cesare Martinetti

 

Les premiers suspects des tueries de Toulouse et de Montauban ont été trois anciens paras néonazis. Le massacre d’Utøya, lui, avait été dans un premier moment attribué au terrorisme islamiste. Les deux faces opposées de l’intolérance au multiculturalisme sont souvent très proches.

 

C’est finalement un fou d’Allah qui a émergé de l’enfer de Toulouse. Non pas un parachutiste néonazi couvant dans les obscures entrailles de l’histoire de France, mais un soldat de cette intifada quotidienne qui se consume dans les banlieues françaises.

Une guérilla sourde qui prend de l’ampleur de Toulouse à Paris, dans ces "territoires perdus de la République", comme les a baptisés un célèbre pamphlet documenté dénonçant l’antisémitisme ordinaire qui règne dans les écoles de banlieue.

 

C’est ce mal obscur et particulièrement tenace en France qui réunit les deux pistes explorées par les enquêteurs et l’opinion en ces journées entachées par la folie meurtrière : trois jeunes militaires (d’origine maghrébine) tués de sang-froid, un autre gravement blessé et quatre autres personnes (trois enfants et un homme) poursuivies et abattues comme des bêtes au collège juif Ozar-Hatorah de Toulouse, la ville rose* qui héberge la tombe de Saint Thomas, le plus raisonnable des philosophes chrétiens.

 

Un autre coupable

 

On a d’abord pensé que le tueur pouvait être l’un des trois parachutistes radiés du 17e régiment de paras de Montauban en raison de leurs sympathies néonazies. Les journaux ont publié une photo des trois hommes faisant le salut hitlérien, enroulés dans un drapeau orné de la croix gammée.

 

Des jeunes fanatiques, français, blancs. Ils avaient la biographie type de l’assassin, celui qui se venge des frères d’armes qui l’ont dénoncé, mais abat trois soldats d’origine maghrébine avant de s’en prendre à des juifs dans une école. Le prototype du militant lepéniste, ce qui ne veut pas dire que tous les électeurs de Jean-Marie Le Pen autrefois et de sa fille Marine [candidate de l’extrême droite à la présidentielle française] aujourd’hui sont des assassins en puissance.

 

La réalité nous aura désigné un autre coupable, ce Mohamed Merah, Français d’origine algérienne (un "immigré de deuxième génération", selon l’oxymore en usage) qui, à une heure du matin hier, a appelé le standard de la chaîne de télévision France 24 pour dévoiler les raisons d’une telle atrocité à la journaliste de service – Ebba Kalondo, une femme d’origine africaine (nous sommes dans une société multiethnique) à la voix douce et tranquille.

 

Mohamed Merah a dit être affilié à Al-Qaïda et a déclaré vouloir "venger nos petits frères et nos petites sœurs en Palestine", dénoncer la loi qui interdit le voile intégral pour les femmes musulmanes ainsi que la participation de l’armée française à la guerre en Afghanistan.

 

Comment est-il possible que deux scénarios aussi différents et même opposés aient pu être envisagés pour expliquer ces deux massacres ? La réponse est que l’un comme l’autre étaient également plausibles. Le terroriste islamiste comme le parachutiste néonazi appartiennent aux bas-fonds de la société, deux cauchemars opposés et qui pourtant cohabitent et ne se neutralisent pas l’un l’autre, mais au contraire se renforcent.

 

Le même court-circuit qu'à Oslo

 

Le court-circuit qui a été observé à Toulouse s’était déjà produit en juillet dernier à Oslo, lors du massacre perpétré par le fanatique Anders Behring Breivik : huit morts dans l’explosion d’une bombe, 69 morts par balles dans un camp de jeunes sociaux-démocrates.

 

La première hypothèse fut celle d’un acte perpétré par des terroristes islamistes contre de jeunes Occidentaux. Or, le coupable était un Norvégien trentenaire aux cheveux blonds qui se définissait comme un fondamentaliste chrétien et pro-israélien, hostile au multiculturalisme, au marxisme et à l’islamisme. Il avait voulu frapper des jeunes socialistes qu’il tenait pour responsables d’une immigration musulmane massive.

 

Deux cauchemars différents, donc, mais complémentaires et compatibles au point que la politique a suspendu quelques heures durant une campagne présidentielle particulièrement acharnée. Par respect pour les victimes, certes, conformément à ce savoir-vivre qui en France est enseigné à l’école.

 

Mais aussi pour attendre d’avoir compris afin de ne pas commettre d’impair. Le ton est ferme. [le président Nicolas] Sarkozy a fait du thème de l’immigration et des étrangers son cheval de bataille pour contrer Marine Le Pen, au point que le Wall Street Journal l’a rebaptisé "Nicolas Le Pen".

 

Le président promet aux Français une France plus forte et plus fermée. Il n’a pas exclu de suspendre le traité de Schengen sur la libre circulation des personnes entre les pays de l’Union. Une perspective qui a fortement indisposé Angela Merkel, qui ne semble plus d’humeur à participer aux meetings électoraux de "Sarko" ainsi qu’elle l’avait promis.

 

Voilà le climat qui règne aujourd’hui dans cette France où Mohamed Merah, cellule dormante et solitaire d’Al-Qaïda depuis des années dans le quartier du Mirail de Toulouse, a décidé de passer à l’action. Cela aurait pu être un parachutiste néonazi. À la place, c’est le fantôme de Ben Laden. Ce qui n’a bien sûr rien de rassurant.

 

*en français dans le texte

Traduction : Jean-Baptise Bor