Tribune
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Publié le 14 Novembre 2014

Le génocide des Tutsis n’avait pas été préparé quatre ans à l’avance

Par André Guichaoua, Professeur des universités, sociologue, publié dans le Monde le 13 novembre 2014

Au cours des 20 années d’existence du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), le travail de vérité et l’œuvre de justice ont avancé de pair pour illustrer et comprendre les très concrètes « politiques du génocide ». Il ne s’agissait plus alors de questionner le « pourquoi » de ce génocide, dont tant de conférences et colloques exposaient les fondements présumés, mais de répondre au « comment ».

Comment, quand, qui a décidé, mis en œuvre, entretenu pendant trois mois le génocide des Rwandais tutsis au printemps 1994. Cette histoire factuelle de l’accomplissement des massacres s’est attachée à établir le plus objectivement possible comment « les choses se sont passées » dans les différentes préfectures, selon les groupes d’acteurs et les individus.

L’impressionnante documentation et les savoirs accumulés grâce aux investigations et aux dispositifs d’enquêtes de terrain mis en œuvre par le TPIR constituent des acquis incontournables.

L’histoire de la guerre enclenchée par la rébellion du Front patriotique rwandais (FPR) en octobre 1990 et du génocide de 1994 est une histoire complexe. Elle éclaire les processus de décision au sommet, les stratégies d’exacerbation du clivage ethnique par les blocs armés – forces régulières et rebelles - et celles visant à étouffer les aspirations et les forces démocratiques, elle éclaire aussi la volonté d’en découdre de ces mêmes blocs armés à partir du 6 avril, après l’attentat contre l’avion Présidentiel.

Cette histoire s’efforce de reconstituer la mise en place du gouvernement du génocide et sa prise de contrôle de l’appareil d’État. Les enquêtes restituent les ambitions, les calculs et les actions des entrepreneurs de massacres, mais aussi les résistances aux ordres de tuer et les sauvetages de Tutsis et d’opposants en danger de mort.

Les résultats de ces recherches ont fait l'objet de dépositions contradictoires devant les chambres du TPIR et nourri de nombreux jugements. Ainsi, au nom des faits examinés, les juges de toutes les chambres se sont refusé à entériner une histoire intentionnaliste du génocide des Tutsi qui voudrait qu'il ait été préparé depuis 1990 au début de la guerre déclenchée par le FPR, voire depuis la proclamation de la République « hutu » en 1959, selon l’actuelle vulgate proclamée.

On comprend mieux alors l’animosité des autorités rwandaises suscitée notamment par les jugements les plus importants et les plus récents du TPIR visant les accusés réputés être les cerveaux du génocide qui ont systématiquement refusé d’entériner les postulats de l’historiographie officielle selon laquelle les différentes composantes de l’État rwandais étaient autant d’organisations criminelles.

Le gouvernement en place le 6 avril 1994 n’était pas génocidaire. Son Premier Ministre (assassinée le 7 avril) et le Haut commandement militaire n’étaient pas génocidaires. Le génocide est l’aboutissement d’une stratégie politique, mise en œuvre à partir du 7 avril par des groupes politico-militaires extrémistes hutus, ceux qui avaient le plus à perdre s’ils ne s’imposaient pas, qui ont estimé qu’après l’attentat et la reprise inéluctable de la guerre le moment était venu de trancher par les armes le conflit avec le FPR et d’en finir avec les forces politiques qui le soutenaient à l’intérieur. Le gouvernement intérimaire alors constitué a ensuite érigé le génocide des Tutsi en « politique publique »… Lire la suite.