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Il est clair que des cas de sauvetages et de protection ont existé, et ce livre - que je n'ai malheureusement pas encore lu - en parle. Il est clair aussi qu'il conviendra de conserver, sur ce sujet précis comme pour toute la Mémoire de la Shoah, une rigueur historique évitant les exagérations et les légendes. On notera, ainsi, par exemple, cette critique du livre publiée sur le site du Comité Français du Yad Vashem. Des travaux approfondis d'historiens existent déjà, et on peut espérer que cet ouvrage encouragera encore d'autres recherches sur le sujet. Nous voudrions aussi ajouter qu’il est faux de dire qu’aucun Musulman n’a reçu de médaille de Juste; des cas existent dans des pays étrangers, ils concernent des dizaines de personnes honorées en Bosnie et en Albanie ; il faut aussi rappeler que cette médaille n’est donnée que sur la base des témoignages des personnes sauvées elles-mêmes, et que c’est l’absence de ces témoignages qui a fait que le dossier de la Grande Mosquée de Paris n’a pas été poursuivi. Par ailleurs, il n’est pas certain que l’essentiel du sauvetage, s’il a eu lieu, ait été le fait du Recteur de l’époque, d'autres dans son entourage ayant pu œuvrer en coulisses.
Mais dans tous les cas, il convient de saluer la démarche et les propos de Mohamed Aïssaoui, qui forcent la sympathie.
Jean Corcos
Président de la Commission du CRIF pour les Relations avec les Musulmans
Sa plume est l’un des fleurons du « Figaro littéraire ». Mohamed Aïssaoui retrace, dans une enquête minutieuse et tenace, le parcours de Kaddour Benghabrit, fondateur de la Mosquée de Paris et se penche sur son rôle dans le sauvetage de Juifs pendant la guerre.
Actualité Juive : Votre écriture est extrêmement touchante. Cette sensibilité s’explique-t-elle par la phrase : «Moi qui ne connais rien de mes grands-parents, ni de mes parents d’ailleurs » ?
Mohamed Aïssaoui : On se penche sur la vie des autres sans forcément bien connaître la vie des siens. Pour l’instant, peut-être est-ce par pudeur, la vie des autres m’intéresse davantage...
Cette vocation de « justicier des oubliés » fait écho à la phrase de la Bible que vous citez et qui figure à Yad Vashem : « E t j e leur donnerai dans ma maison et dans mes murs un mémorial et un nom qui ne seront pas effacés »...
J’ai toujours eu envie d’écrire un livre «utile». « L’affaire de l’esclave Furcy » m’a permis d’aller au-delà de mes espérances : raconter l’histoire d’un esclave qui a assigné son maître en justice et le sortir du silence. Je suis quelqu’un de rationnel, mais il m’a semblé, à travers ses lettres, qu’il me lançait un appel. Mon travail de journaliste m’aide à ouvrir des portes, fouiller dans les archives, enquêter et le travail d’écriture me permet de faire sortir de l’oubli.
Pourquoi citez-vous en exergue la phrase d’Élie Wiesel : «Celui qui écoute le témoin devient témoin à son tour» ?
Cette phrase qu’il m’a dite et qui, à ma connaissance, ne figure dans aucun de ses livres est le fil conducteur de mon propos. J’ai immédiatement su que j’essaierais d’être ce témoin.
Kaddour Benghabrit, fondateur de la Grande Mosquée de Paris, était un homme aux multiples facettes...
Voilà un dignitaire musulman qui aimait les femmes artistes, écrivait des pièces de théâtre et accueillait des écrivains, des dramaturges et des musiciens. Ce croyant musulman, et c’est ce qui m’a plu chez lui, ne regardait pas la confession religieuse des autres. J’ai l’impression d’assister aujourd’hui à une régression ; de nos jours, il n’aurait pas pu exister.
Tout est parti d’un constat : aucun Arabe, aucun Musulman n’a jamais été fait Juste parmi les Nations...
Je connaissais trop les liens séculaires qui ont uni Juifs et Musulmans pour ne pas m’étonner qu’aucun Arabe, aucun Musulman n’ait été nommé Juste parmi les Nations. L’autre déclic, tout aussi important, est moins factuel et plus personnel : j’avais envie de prononcer le mot «philosémite». Ces deux ans et demi d’enquête m’ont permis de retrouver des Musulmans du Maghreb et de France qui ont sauvé, directement ou indirectement, des Juifs de la déportation.
Aussi soulignez-vous que Kaddour Benghabrit tout comme Mohamed V devraient recevoir cette distinction...
Le fondateur de la Mosquée de Paris a un dossier à Yad Vashem. Le Roi Mohamed V a œuvré, quant à lui, pour éviter que les lois de Vichy soient intégralement appliquées à ses sujets juifs.
Êtes-vous d’accord pour dire que l’enquête dans laquelle vous nous entraînez manque de preuves ?
Mon livre a consisté à faire la part des faits avérés, de ceux à vérifier et de la légende. Certains éléments sont invérifiables parce que les témoins ont disparu ; d’autres le sont grâce à des documents attestant que la Mosquée de Paris servait de lieu de passage ou de délivrance de fausses attestations, notamment à des Juifs séfarades.
Une enquête semée d’obstacles, de freins...
Cette difficulté, cette suspicion -notamment en Algérie-, je ne les imaginais pas. J’avais anticipé les difficultés d’ordre administratif, mais qu’un tel tabou existe, dès lors que l’on veut parler de liens entre Juifs et Musulmans, m’a surpris.
Outre les actions extraordinaires exhumées des archives, vous livrez le témoignage de Philippe Bouvard...
Je savais qu’il connaissait Kaddour Benghabrit. Il m’a raconté l’histoire de son père adoptif, juif arrêté par la Gestapo pour avoir confectionné des costumes pour les déserteurs allemands. La mère de Philippe Bouvard est allée voir Kaddour Benghabrit qui est parvenu à le faire sortir de prison, lui permettant ainsi d’échapper à la déportation.
Le grand mufti de Jérusalem et son désir de détruire les Juifs sont, selon vous, au fondement du conflit israélo-palestinien...
Je n’ai pas voulu occulter un certain délire antisémite qu’a symbolisé le grand mufti de Jérusalem qui a failli diriger la Grande Mosquée et qui, à sa mort, a été célébré comme un chef d’État héroïque. Mais, de manière subjective, je dis combien j’aimerais qu’on retrouve l’entente entre Juifs et Musulmans. Je tiens à dire que, pour parler de mon livre, j’ai reçu un accueil merveilleux de la part de la communauté juive.