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Après la réprobation des journalistes de RFI, on pouvait espérer une indignation unanime à ses propos. Le site vigie-media-palestine affirme pourtant : « Alain Ménargues a fait l'honneur de RFI en appelant chat un chat... et en dénonçant un racisme que d'autres on dénoncé avant lui, comme Yeshayahou Leibowitz, Israël Shahak, Michel Warshawsky ou Eyal Sivan... ». En 2002, c'est la même justification qui avait servi à un journaliste égyptien d’Al Ahram (1 - 7 August 2002, Ibrahim Nafie, « Who are the racists ») lors de son inculpation pour avoir affirmé que « la matza juive était faite avec le sang arabe » : « En ce qui concerne la pensée de ces mouvements [sionistes], il n'existe pas une grande différence entre l’idéologie nazie et celle des groupes sionistes extrémistes. Il ne s'agit pas là de mon opinion personnelle, ni de celle d'auteurs arabes uniquement. [Israël] Shahak, penseur israélien aujourd'hui disparu, était parvenu [à cette conclusion] dans son ouvrage sur le fondamentalisme juif.»
Si on connaît bien en France deux de ces « alibis » - Michel Warshawski dont on retrouve les articles dans le journal de la LCR Rouge, mais aussi dans Le Monde ou Eyal Sivan, dont les films sont projetés sur nos petits écrans - on ne connaît pas en revanche Israël Shahak cité à leur côté. Une incursion dans le catalogue de la Bibliothèque Nationale a de quoi troubler.
On y découvre en effet un ouvrage intitulé « Histoire juive, religion juive, le poids de trois millénaires », édité en 1996.... par la Vieille Taupe (éditeur négationniste de Roger Garaudy) et dont la préface est signée Edward Saïd. La version française n’est vendue que par l’éditeur, elle est à la Bibliothèque Nationale et à la bibliothèque des Langues Orientales mais de larges extraits circulent sur Internet. La version anglaise est vendue par tous les libraires par Internet et peut même être lue en ligne dans son entier. Comme Noam Chomsky sur la couverture de l'édition anglaise datée de 1994, ou comme l’autre préfacier Gore Vidal qui affirme : « Shahak est le plus récent – sinon le dernier – des grands prophètes », Edward Saïd y vante la grande érudition historique et biblique de l'auteur.
Un an après son décès, Edward Saïd reste néanmoins l'une des figures emblématiques de la gauche progressiste. Ainsi, le jour même où il publiait en « Une » un article intitulé « le négationnisme de Sharon », le Monde relatait un colloque organisé par l'université Paris-VII et l'antenne parisienne de l'université Columbia de New York en hommage à l’écrivain palestinien, qualifié de « grand humaniste ».
Alors que l’ouvrage de Shahak est cité en référence sur près de 500 sites Internet francophones et sur plus de 8000 sites anglophones de toute sorte (principalement pro-palestiniens) cette préface n'apparaît curieusement dans aucune bibliographie de son auteur et on n’en trouve de critique argumentée que sur un site anglophone (http://www.wernercohn.com/Shahak.html et http://www.wernercohn.com/Said.html). Pour justifier sa préface d'un ouvrage de Faurisson, Noam Chomsky avait argué d'une utilisation abusive d'un de ses écrits. Edward Saïd et lui pourraient-ils donner la même justification de leur lien avec Shahak ? Pour en savoir plus, il faut d’abord se pencher sur la personne et « l’œuvre » de Shahak puis étudier ses rapports avec la gauche pro-palestinienne.
1- Qui est Israël Shahak ? :
Né à Varsovie en 1933, il aurait passé son enfance au camp de Bergen Belsen et serait venu en Israël en 1945 où il est décédé en 2001. Il fut président de la Ligue israélienne des droits de l'homme et du citoyen qu’il a fondée en 1970. Père du concept de « judéo-nazisme » et de l’application du terme « holocauste » aux Palestiniens (Journal of Palestine Studies, n°3 1981) il s'est d’abord fait connaître par un rapport intitulé « Le racisme de l'état d' Israël : ligue israélienne des droits de l'homme et du citoyen » publié en 1975 (date de l'adoption de la célèbre résolution des Nations Unies), que le site Internet de l'Institut du Monde Arabe met en bonne place dans sa bibliographie (www.imarabe.org/perm/biblio/bibliographie-palestine.html).
Dans un article publié par Kol Ha’lr le 19 mai 1989, il écrit : « Je ne suis pas d’accord avec l’opinion de Haim Baram selon laquelle le système d’éducation israélien instille une ‘conscience de l’Holocauste’ aux élèves (Kol Ha'Ir 12.5.89). Ce n’est pas une conscience de l’Holocauste mais plutôt un mythe de l’Holocauste ou même une falsification de l’Holocauste (dans le sens où ‘une demi-vérité est pire qu’un mensonge) qui leur a été inculqué ». Et il se réclame de sa propre expérience.
Concernant le livre publié à la Vieille Taupe, quels sont donc les éléments d'érudition qui lui valent tant de compliments ? Tout d’abord il veut réhabiliter les manifestations d'antisémitisme de l'histoire, tel le massacre de Chmelnicki (dans l’Ukraine du 17è siècle) qui selon lui devrait être célébré comme un soulèvement progressiste. Selon lui aussi, quand les Juifs se lavent les mains avant et après le repas, la première fois c'est pour glorifier Dieu, la deuxième pour glorifier Satan.
L'une de ses principales thèses est qu’il y a une haine des Gentils d'origine talmudique, que le Talmud autorise le meurtre des non Juifs et permet de leur refuser des secours quand ils sont en danger. Parmi ses autres « révélations », on trouve que les expropriations et expulsions n'ont été rendues possibles qu'en prenant appui sur la Halakha qui interdit aux juifs de vendre un bien immobilier à un non-juif Tout est, dit-il, une question de rapport de forces. Si les juifs sont assez puissants, le devoir religieux est d'expulser les Gentils (en l’occurrence les Palestiniens). Il ajoute que le Talmud réitère à leur endroit les exhortations à l'extermination contenues dans la Thora à l'égard des Cananéens et des Amalécites (et il cite le Deutéronome). Ces génocides bibliques, dit-il, sont invoqués par les rabbins actuels pour justifier les nombreux massacres de populations arabes par les Israéliens (Deir Yassin, Quneitra, etc.).
D'ailleurs, continue-t-il, tous les sionistes, et en particulier les sionistes de gauche, partagent les vues du judaïsme strict. Il s'en prend ainsi particulièrement à Martin Buber qui « critiquait le nazisme, mais couvrait simultanément de louanges la religion juive et passait sous silence sa déshumanisation des non-juifs », et à Moses Hess dont les opinions sur la « pure race juive » sont identiques au raisonnement d'Hitler sur la « pure race aryenne ».
Pour achever d'être convaincus du sens de ses théories, il suffit de connaître les livres que le site Amazon.com dit avoir été d'achetés en même temps que les livres d'Israël Shahak :
- “Judaïsm's Strange Gods”, de Michael A. Hoffman II
- “51 Documents : Zionist Collaboration With the Nazis”, de Lenni Brenner
- The Politics of Anti-semitism, by Alexander Cockburn, Jeffrey St. Clair
- “The transfer Agreement : The Dramatic Story of the Pact Between the Third Reich and Jewish Palestine”, d’Edwin Black.
2- Les relations de Shahak avec l’extrême gauche pro-palestinienne :
Israël Shahak, fondateur et président durant plus de 20 ans de la Ligue israélienne des droits de l’Homme (affiliée à la Fédération internationale) a formé des générations de jeunes de tous pays à la recherche d’une cause. Même si son nom est ignoré par le plus grand nombre, il a eu une influence durable –directe ou indirecte – sur la pensée du mouvement pour les droits de l’Homme en ce qui concerne la relation entre le conflit israélo-palestinien et le judaïsme. Ce qu’un psychiatre aurait probablement diagnostiqué comme un traumatisme de l’enfance doublé d’un complexe de culpabilité du survivant (transfert de culpabilité de l’Holocauste des nazis vers les Juifs, et de là une culpabilité des actions d’Israël attribuée non à l’action politique des homme, mais à l’essence même du judaïsme et donc au fait juif lui-même) ses émules l’ont interprété comme le comble de l’humanisme.
De fait, il n’a pas été nécessaire de chercher longtemps pour trouver trace des longues, amicales (et pas secrètes du tout) relations entre Israël Shahak et différents auteurs palestiniens ou de la gauche extrême tels Edward Saïd, Michel Warschawski ou d’autres : alors même que Roger Garaudy est mis à l’index, Israël Shahak reste lui fréquentable. Ainsi l’historien Samir Kassir pouvait écrire dans AI Nahar publié à Beyrouth : « Des avocats tels que Zola ou Sartre, il faudrait les chercher dans l'autre camp, Israël. Et, de fait, nombreux sont ceux qui assument cette responsabilité chez l'ennemi: citons Israël Shahak, David Grossman, Amos Oz ou encore Tom Séguev. (…)Ce repli atteint aujourd'hui son paroxysme avec la campagne de soutien à Garaudy ... Il ne suffit pas que Garaudy soit pro arabe pour qu'il soit respectable »
Ainsi, dès 1979, dans « The question of Palestine », Edward Said comptait Chomsky et Shahak parmi les quelques intellectuels occidentaux « qui ont essayé de voir ce que le sionisme a fait aux Palestiniens, pas seulement en 1948, mais au long des années. C'est l'un des plus effrayants, épisodes culturels du 20e siècle, ce silence presque total sur les doctrines sionistes et le traitement des Palestiniens ». En 1997, Saïd lançait l'ouvrage du même auteur « Open Secrets.- Israel Nuclear and Foreign Policies » en écrivant cette phrase sur la couverture : « Shahak est un homme très courageux qui devrait être honoré pour ses services à l'humanité. Il est l'un des individus les plus remarquables du Moyen-Orient contemporain ». En août 1998, il en fait à nouveau l'éloge dans le Monde Diplomatique. Dans cet article où il est précisé que toutes les notes « sont de la rédaction du Monde diplomatique », la note 2 précise : « Ancien dirigeant de la Ligue des droits de l’homme, M. Israël Shahak a été l’un des intellectuels juifs israéliens les plus engagés dans la défense des droits des Palestiniens. Il a notamment écrit Jewish History, Jewish Religion. The Weight of Three Thousand Years, Pluto Press, Londres, 1994 (voir Le Monde diplomatique, août 1994) ». Un an après, Edward Saïd réalisait pour une chaîne de télévision américaine un documentaire dont Shahak était l'une des vedettes.
Noam Chomsky qui a poussé la version anglaise de l’ouvrage d’Israël Shahak sur les Juifs a aussi participé avec lui à de nombreux meetings ou émissions de radio. Ces relations lui ont été amplement reprochées aux Etats-Unis, pas en France. Ainsi, Michel Onfray peut tranquillement compter Noam Chomsky parmi « des philosophes dignes de ce nom, ceux qui tournent le dos, par leur vie, leur pensée, leur œuvre, leurs écrits, leurs comportements, leurs engagements, aux compagnons de route de l’infamie » (le Monde diplomatique d’octobre 2004).
A la mort de Shahak en 2001, le « pacifiste » israélien Michel Warshawski fait dans la Revue Jerusalem Quarterly file (qui dépend de l'Institut d'études palestiniennes) un vibrant éloge de « l'érudit » qu'il présente comme « l'un des derniers philosophes de l'école des Lumières du 18è siècle (...) pour qui la raison était le seul critère valable de la vérité et un guide de conduite personnel ». Michel Warshawski est l’un des compagnons préféré des tournées de conférence en France de Leila Shahid.
Israël Shahak est d’ailleurs apparu régulièrement entre 1975 et 2000 dans le Journal of Palestine Studies - dans lequel écrivent aussi divers israéliens (Uri Avneri, Daniel Barenboïm, Mordehaï Bar-On, Amira Hass etc.) américains (Norman Finkelstein) ou français (Pascal Boniface, Jacques Berque …) de la gauche progressiste que ce soit pour des articles, des entretiens ou des revues d’ouvrages.
L'association France-Palestine solidarité dans son commentaire du livre du journaliste belge Lucas Catherine, Palestine, la dernière colonie ? (traduit en français en 2003), note que l’auteur lui rend un hommage appuyé parce qu’il a « dénombré les villages palestiniens détruits et a toujours été attentif aux prises de position coloniales de la presse israélienne » (http://www.France-palestine.org/article654.html). Selon Oumma.com, voilà comment Lucas Catherine traduit la pensée de Herzl : « Quel sort "La" civilisation herzlienne réserve-t-elle à la "population locale" ? Réponse : "assécher les marais et tuer les serpents " ! (sic) Destination finale des "tueurs de serpents" : "discrètement les expulser du pays" (sic). », ou relate les événements de 1929 : « En 1929, les colons juifs essaient une première fois de s’emparer des lieux saints qui entourent la mosquée al-Aqsa. Il s’ensuit une insurrection générale dans toute la Palestine et, une fois de plus, le bilan est très lourd: 249 morts et 572 blessés. Les sionistes n’obtiennent toutefois pas le contrôle des lieux saints » (version recopiée d’Israël Shahak ou de Chomsky avec qui il avait écrit « Palestine un peuple de trop » en 1988). Le livre de Lucas Catherine est distribué dans toutes les librairies et fera bientôt gageons-le référence en matière d’histoire. Tous ses ouvrages ont été traduits en arabe.
Au vu des sources qui reçoivent l’aval enthousiaste d'universitaires comme Noam Chomsky ou Edward Said, ou de journaux de référence comme le Monde Diplomatique, il faut se poser cette question : si des universitaires supposés attentifs en sont incapables, comment un journaliste égyptien ou français, comment surtout les jeunes de nos banlieues seraient-ils capables de faire la part entre la vérité et le mensonge ou entre l'antisémitisme et la critique d'Israël ?
Anne Lifshitz-Krams