Par Pierre-André Taguieff pour le Huffington Post
Texte extrait de l’article « Antiracisme », à paraître dans : Pierre-André Taguieff (dir.), Dictionnaire historique et critique du racisme, Paris, PUF, coll. « Quadrige », mai 2013 (environ 2000 pages). L'ouvrage comprend 540 articles rédigés par 250 spécialistes de diverses disciplines.
Depuis la fin du XIXe siècle, dans les sociétés occidentales, le racisme se manifeste de façon prédominante sous la forme du nationalisme, alors qu'il avait été longtemps porté par l'esclavagisme moderne et l'impérialisme colonial. Il apparaît d'abord dans le nationalisme xénophobe classique visant préférentiellement le pays voisin (ainsi qu'en témoignent les propagandes croisées ayant accompagné les guerres franco-allemandes), ensuite, et de plus en plus depuis les années 1960, dans les ethnonationalismes contemporains qui rejettent les minorités et les "immigrés", jugés dangereux pour l'identité ou l'homogénéité du peuple dominant, ou pour l'ordre intérieur, voire la souveraineté de l'État-nation considéré. Il paraît donc nécessaire que la lutte contre le racisme tienne compte de ces vecteurs privilégiés du racisme que sont les mobilisations nationalistes ethnicisées, qu'elles prennent appui sur des États-nations existants - cas du Front national en France ou du British National Party en Grande-Bretagne - ou s'affirment contre ces derniers en prenant la forme de micro-nationalismes séparatistes à base ethnique - cas des ethno-nationalismes corse, breton, basque, flamand, lombard, etc. On comprend que, depuis les années 1970, l'antiracisme ait souvent pris le visage d'un antinationalisme radical. En France, par exemple, la dénonciation de la "montée du racisme" ou de la "racialisation" s'est opérée par recours à une formule emblématique, devenue slogan : la "lepénisation des esprits et des politiques", le patronyme du leader du Front national devenant ainsi l'éponyme du racisme.