Tribune
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Publié le 25 Mars 2003

Pour ne pas parler de l’Irak

Il n’est pas facile aujourd’hui d’oublier la guerre en Irak. C’est pourtant ce que tentera de faire la présente chronique, au risque de choquer par un nombrilisme mal à propos. Dans l’actualité internationale, la plupart des quotidiens mentionnent la nomination d’Abou Mazen au poste de Premier ministre en Palestine. A mentionner dans le Monde daté du 20 mars cet article de Michel BOLE-RICHARD au sujet des Palestiniens qui « craignent de nouveaux transferts de population ». Cela ne se passe pas en Israël, mais en Jordanie. L’article rappelle que les Palestiniens « représentent officiellement 43% de la population, mais pour la plupart, détenteurs de passeports jordaniens, ils en forment sans doute plus de la moitié. Amman est à environ 70% palestinienne ». Cela ne les empêche pas de continuer à habiter dans des « camps de réfugiés » comme celui de Baka’a où est réalisé le reportage : « Ils sont omniprésents dans cet immense complexe de maisons basses et de masures de 120 000 habitants, l’une des plus grandes concentrations de réfugiés palestiniens de 1948, puis de déplacés de 1967. (…) Ils sont près de 1,7 millions enregistrés par l’UNRWA. Parmi eux, 18% vivent dans les dix camps de cet organisme de l’ONU, sur treize existant sur le territoire jordanien. (…) Croupissant dans des camps depuis plus de cinquante ans pour beaucoup d’entre eux, ayant le sentiment d’être abandonnés, ressassant sans cesse leur patrie perdue. (…) Le chômage touche plus de 50% de la population. Aujourd’hui, ils se demandent si Ariel Sharon ne va pas profiter de la guerre pour procéder à un nouveau transfert de Palestiniens. Hicham en est sûr, il y a un plan, un complot pour installer les Palestiniens dans le désert d’Azraq (à l’est d’Amman), car ils savent que partout où l’on met les Palestiniens, ils construisent et plantent. (…) Cette possibilité d’un nouveau nettoyage ethnique est dans toutes les conversations ». Vous avez dit objectivité ?




Dans la même veine, ce « Téléphone rouge » du Nouvel Observateur : « Près d’un cinquième des Palestiniens tués par les Israéliens – soit au moins 365 femmes, vieillards, enfants de moins de 16 ans – sont des civils innocents. Le quotidien Haaretz qui a publié ces chiffres donnés par l’armée estime qu’ils sont probablement sous-estimés. Après la mort de deux soldats israéliens abattus par leur propre camp, un éditorialiste accuse l’armée israélienne en train de devenir une machine à tuer ». On aurait aimé que par pur souci d’objectivité, le Nouvel Observateur publie simultanément un article sur les victimes civiles israéliennes. Par exemple le dernier point d’Amnesty International qui évalue à plus de 440 sur 600 (73%) le nombre de victimes civiles israéliennes tuées depuis le début de l’Intifada par des groupes armés palestiniens, dont 82 enfants. Selon cet organisme, « ils ont été tués dans des attaques ciblées visant intentionnellement des familles et autres civils ».

Heureusement, la même livraison de l’hebdomadaire propose une tribune libre de Patrick KLUGMAN qui vient de publier Le sionisme expliqué à nos potes. Tout en déclarant « si je suis sioniste, je n’en suis pas moins français » il affirme « Une certaine hypocrisie consiste à reconnaître le droit d’Israël à exister, mais à lui refuser le droit de se défendre. Les Juifs n’ont pas habitué le monde à cela, mais si l’on veut bien qu’ils cessent d’être d’éternelles victimes, il faut aussi vouloir que l’Etat qu’ils ont créé ait une armée et qu’ils puissent s’en servir ». Ce point de vue développé, il soutient aussi son droit à défendre la cause palestinienne tout en condamnant « sans réserve, sans nuance et sans hésitation les voies par lesquelles une partie d’entre eux ont choisi de se libérer : le fanatisme et le terrorisme ». Pour lui, « ils seront faibles tant qu’ils n’auront pas renoncé au terrorisme aveugle ». Cependant, sûr qu’il « n’est d’avenir pour chacun des deux peuples en présence que dans la reconnaissance de son voisin », il appelle à se rassembler tous ceux « qui veulent bien admettre que ce n’est pas parce qu’eux ont raison que les autres ont tort ».

Dans la foulée, il faut citer l’article de Patrick GAUBERT et Philippe BENASSAYA de la LICRA dans le Figaro. Ils dénoncent « l’antisionisme primaire et bestial qui n’est purement et simplement que le cache-misère pudique et politiquement correct d’un antisémitisme larvé » et proposent quelques mesures d’urgence en direction des jeunes, des familles et des médias, mais aussi de « dénoncer dans nos propres milieux des droits de l’homme, celles et ceux qui, pour des raisons partisanes, condamnent, non pas une politique, mais l’Etat d’Israël en tant que tel, créant ainsi, directement ou indirectement, les ferments d’un nouvel antisémitisme urbain ».

Le plan de Luc Ferry pour éviter les tensions communautaires dans les écoles continue à alimenter les rubriques « société ». Le Parisien cite l’exemple d’un professeur d’Aulnay-sous-bois qui projette le film « Nuit et Brouillard ». Le Figaro consacre avec Cécilia GABIZON une page presque entière au sujet. Dans un premier article, elle fait état d’un appel de l’Association des professeurs d’Histoire et Géographie (APHG) à ne pas accepter et à sanctionner les « dérives », et donne la parole à quelques professeurs qui dénoncent le laxisme des chefs d’établissement. Un deuxième article est consacré à un collège du Val-d’Oise où un professeur constate que « les mots glissent sur eux. Ils sont saturés d’images et de baratin. Rien ne les fait réagir. (…) Seule la seconde guerre mondiale et le nazisme les touche vraiment. Pas toujours dans le sens qu’on pourrait espérer dit la journaliste : des garçons inscrivent des croix gammées sur le cahier de texte, d’autres glorifient Hitler dans le couloir avant de plaquer un camarade juif contre un mur pour faire semblant de le mitrailler. (…) A peine avoué l’épisode est relativisé : Il faut faire la différence entre le vrai racisme… ». Une place est aussi réservée au livre de Patrick KLUGMAN. Le Monde se contente d’une ligne dans un article intitulé « M. Raffarin mobilise ses ministres pour rassurer et réformer ». L’Humanité cite l’appel de l’APHG, mais oublie la demande de sanctions … Quant à Libération, s’il cite Luc ferry, il n’y a pas la moindre allusion au racisme.

L’Express consacre deux pages à un entretien avec le chef d’orchestre Daniel BARENBOÏM qui s’occupe d’un orchestre israélo-arabe. A la question « La remise en cause de la politique de Sharon est souvent taxée d’antisémitisme », il répond : « On ne doit pas confondre la politique d’Israël avec le judaïsme. Même si certains en profitent pour laisser libre cours à leur antisémitisme », mais ajoute « l’histoire du peuple juif a toujours été déchirée entre deux tendance : celle d’un repliement sur soi-même et celle d’une aspiration à l’universel (…). Membre d’une nation démocratique exemplaire, chaque israélien devrait accepter que l’on puisse défendre un point de vue différent du sien ».

Retour à l’Irak par le biais des violences antisémites. Il y a quelques jours, toute la presse s’est fait l’écho d’une dépêche prétendant qu’à la sortie d’une réunion organisée par l’association pour le bien être du soldat israélien des jeunes extrémistes juifs « auraient provoqué les contre-manifestants » postés face à la salle. La version contradictoire des organisateurs et des témoins, beaucoup plus gênante, n’a curieusement été reprise par aucun quotidien. Ce samedi, c’est à des militants de l'Hashomer Hatzaïr, mouvement de jeunesse juif de gauche et pacifiste, que s’en sont pris des manifestants prétendument pacifistes (Johan WEISZ, Proche-Orient.info). D’après un témoin c’est aux cris de « Toi et ta kippa, vous n'avez rien à foutre ici ! » que des membres du CAPJPO auraient agressé un jeune moniteur de 17 ans qui a dû être hospitalisé aux urgences ophtamologiques de l’hôtel Dieu. La scène a été filmée par une équipe de télévision (Yahoo.actualités, http://fr.news.yahoo.com/030323/108/34034.html). Aucune chaîne n’en a voulu ! « En fin de manifestation, une bagarre a opposé des membres d'un centre de jeunesse juif et des manifestants antiguerre. Des incidents mineurs à côté de violents affrontements qui sont intervenus hier à Strasbourg » commente le Parisien de dimanche. La veille à Strasbourg, c’est en effet à un Mc Donald que les manifestants s’en sont pris (DNA), la police est intervenue vigoureusement, incident bien plus grave en effet… Faut-il suivre Alain FINKIELKRAUT quand il affirme dimanche sur RCJ que le choix de notre position dans la guerre en Irak nous est imposé par les amalgames des « pacifistes » ?

Petit zapping télévisuel pour terminer. Vendredi soir 23h30, France 3 a réuni un plateau pour discuter de l’Irak. Parmi les invités, l’économiste libanais Georges CORM (voir « L’air du temps » sur le site du CRIF). Il explique « Nous, ce que nous craignons surtout, c’est l’arme atomique des israéliens. Ils ont déjà tenté de conquérir le Liban sans la moindre provocation et s’y sont livrés aux pires exactions ». Inculture, inintérêt ou crainte de représailles ? Personne sur le plateau ne réagit, laissant ainsi imaginer un large consensus sur ces conclusions.

Nuit de samedi à dimanche, encore l’émission de Thierry ARDISSON. Il veut créer l’événement en opposant Romain GOUPIL à KENZA et au leader des « boucliers humains » Ken O’KEEFE. Mais c’est à la fin de l’émission qu’il gagne à nouveau ses palmes avec le pamphlétaire Alain SORAL. Selon ce dernier, « Alain Finkielkraut donne des leçons d’universalisme à une jeune femme [Juliette Binoche] qui va dans une manifestation pour la paix œcuménique, pour une communauté qui n’est pas la sienne, alors que lui tombe dans le tribalisme ». Car s’il soutient Israël c’est « en tant que juif » ; moyennant quoi, il la fait pleurer. Il est bon ici de replacer l’incident en question dans son contexte. Cela se passe le 30 mars 2002 : les pro-palestiniens manifestent presque chaque semaine aux cris de Sharon SS, (accompagnés de drapeaux du Hamas), les Juifs sont à la fois rejetés dans l’illégitimité pour leur soutien supposé à Ariel Sharon et en butte aux actes antisémites, les attentats sont presque quotidiens en Israël et ont tué plus de 50 personnes (vieillards et enfants) au cours du seul mois de mars. Alain Finkielkraut, dit à Juliette Binoche : « vous avez le droit de soutenir les Palestiniens, mais faites-le les yeux ouverts ; vous ne pouvez pas au nom de votre cause excuser les attentats suicides contre des femmes et des enfants ». Juliette Binoche n’arrive pas à formuler autre chose que les slogans des manifestations et semble prête à parler de « génocide », elle se tait à temps et éclate en sanglots, ce qui lui évite de justifier sa position. Mais pour Alain Soral comme pour l’ensemble du plateau, Alain Finkielkraut est le méchant de l’histoire ….


Anne Lifshitz-Kram
Observatoire des Médias du CRIF