Marc Knobel
La presse relève souvent que les Juifs du Maroc ont toujours été très attachés à ce pays et elle souligne souvent ce que le Maroc doit aux Juifs, évoquant tel ou tel apport successif. Il est juste de dire que les Juifs firent partie de la vie marocaine aussi bien dans le monde rural que dans les cités, où ils jouèrent un rôle important dans le tissu économique. Emarrakech.info l’affirme donc : « Il n'est de pire injure, pour les 5 000 juifs qui refusent de quitter le Maroc, leur patrie, que de s'entendre dire qu'ils sont «eux aussi» Marocains. Ce «eux aussi» signifie implicitement, qu'ils sont une population «de plus», ou de second rang. Or, eux considèrent que leurs racines plongent si profondément dans le terroir marocain que le judaïsme est bien, historiquement, la première religion monothéiste qu'ont embrassée les premiers habitants de ce pays, les berbères. Une histoire riche de 2 000 ans, bien avant l'apparition du christianisme et, de loin, avant la conquête islamique », souligne Emarrakech.info. C’est cet attachement sans équivoque que la presse marocaine relaye dans ses colonnes.
Pour étayer ce sentiment profond, Emarrakech.info a demandé à Simon Lévy, secrétaire général de la Fondation du patrimoine culturel judéo marocain et directeur du Musée du judaïsme marocain, de raconter cette histoire. « Le 17 mai 2003, soit le lendemain des attentats de Casablanca, une délégation du Conseil de la communauté israélite marocaine partie visiter ses coreligionnaires dans les synagogues pour s'enquérir de leur moral, a été surprise de trouver les synagogues remplies de personnes en prière. Les membres de la délégation n'en revenaient pas : le moral des juifs ainsi rencontrés était au beau fixe. Le monde entier, pensaient ces derniers, connaît des attentats, pourquoi faudrait-il s'en alarmer outre mesure ? Aucune panique, aucune rancune. «Cela dit, ajoute Simon Lévy, je connais des juifs qui ont reçu des lettres de menace, mais cela ne les a nullement poussés à envisager de partir vivre ailleurs, parce qu'ils se sentent chez eux, dans leur pays.»
Les Juifs qui ont émigrés en Israël, en France, au Canada et aux Etats-Unis :
La presse marocaine ne fait cependant pas l’impasse sur le sujet. Nul n’ignore au Maroc que 90% des juifs ont émigré en Israël, en France, au Canada, aux Etats-Unis et ailleurs. La communauté juive s'est réduite ainsi en peau de chagrin, pour passer de quelque 280 000 âmes (jusqu'à 300 000) en 1947, à environ 5 000 soixante ans plus tard, en 2007. 5 000 juifs - selon les estimations les plus optimistes - qui ont voulu rester au Maroc vaille que vaille, résident essentiellement à Casablanca qui en compte 90%, le reste étant réparti sur quatre ou cinq grandes villes du Maroc. Dans les petites villes ou localités connues jadis pour leurs fortes communautés juives comme Sefrou, Azemmour, Essaouira,l Taroudant et Debdou (région d'Oujda), il n'en reste plus aucun. « Ces Marocains de confession juive avaient-ils très peur ? Y avait-il, comme dans d'autres pays, des pogroms qui auraient pu leur faire craindre pour leur sécurité ? Ni l'un ni l'autre, répondent les historiens. Avec du recul, les survivants (et leurs enfants) se disent même incapables de comprendre ce qui les a poussés à quitter si brutalement le Maroc, terre de leurs ancêtres, pour émigrer dans des pays qui ne sont pas les leurs. Deux facteurs auraient milité pour pousser à ce départ, note Simon Lévy : l'action du mouvement sioniste, qui présentait l'immigration en Israël comme la seule perspective de salut, et la pauvreté due à une période de sécheresse durement ressentie par la majorité des juifs marocains. Le racisme, l'antisémitisme ? «Le vrai racisme et le vrai antisémitisme, c'est avec les Français que je les ai vécus dans ma chair. En fait, jusqu'en 1956, note M. Lévy, les départs pour Israël ont concerné principalement les couches défavorisées, pauvres de toujours et aussi victimes directes ou indirectes des changements économiques induits par la colonisation... Il faut dire que le conflit israélo-arabe au Moyen-Orient a eu des retombées négatives, comme les émeutes anti-juives de 1948 à Oujda et Djerrada, qui ont fait de nombreuses victimes.»
Intéressant commentaire, mais qui minore néanmoins quelques circonstances et évidences. Premièrement, dans leur grande majorité les Juifs du Maroc sont sionistes. Rappelons simplement que la première vague de départs a été catalysée par la création de l'Etat d'Israël en 1948 : pas moins de 90 000 juifs marocains quittent leur terre nourricière jusqu'à 1956 (1). Deuxièmement, poussés par les conflits politiques qui opposèrent le monde arabe à l'État d'Israël après la création de ce dernier, quelque deux cent vingt-cinq mille juifs (que comptait le Maroc en 1956) presque tous émigrent dès l'indépendance du pays (2).
Jacky Kadoch, né à Marrakech dans les années 50, est l'un des rescapés de ces vagues successives d'immigration. Actuellement président de la communauté israélite de Marrakech-Essaouira, il avance le chiffre rond de 240 juifs qui résident encore dans la ville ocre, et de 7 à Essaouira. Les deux villes comptaient des dizaines de milliers de juifs au milieu des années 1940. Parlant la darija avec l'accent d'un pur Marrakchi, Jacky Kadoch appartient à une famille installée à Marrakech depuis plus de cinq siècles. Comme beaucoup de ses coreligionnaires qui vivent encore au Maroc, il est dans les affaires et le négoce, notamment la promotion immobilière et l'agroalimentaire. Que pense-t-il de la petite communauté juive encore installée à Marrakech ? Kadoch répond : « Nous sommes des Marocains comme tous les autres, répond-il, à cette différence près que nous essayons autant que faire se peut de jouer le rôle d'ambassadeurs pour les 50 000 à 70 000 visiteurs juifs d'origine marocaine qui viennent chaque année passer leurs vacances au Maroc, ou pour participer aux moussems. Aucun attentat ne peut éroder notre moral et notre détermination à rester dans notre pays. Il y en a qui reviennent investir dans la restauration, l'hôtellerie : une centaine l'ont fait en 2006 ».
Les professions exercées par les Juifs du Maroc :
Le journal se penche ensuite sur les professions exercées par les Juifs du Maroc et sur les responsabilités ministérielles ou politiques qu’ils peuvent exercer dans le royaume : « On les trouve notamment dans la finance, la communication et les professions juridiques. Ils sont aussi ingénieurs et médecins, voire ministres et même conseiller du Roi (André Azoulay). Au moins deux fois, le gouvernement marocain a compris en son sein un ministre juif : le Tangérois Léon Benzaquen, chef du département des PTT dans le premier gouvernement de l'indépendance dirigé par Mbarek Lahbil Bekkai, et l'avocat meknassi Serge Berdugo, ministre du tourisme dans les années 90. » Ce dernier, d'ailleurs, occupe aujourd'hui la présidence du Conseil de la communauté israélite du Maroc, tout en assumant le poste d'ambassadeur de la paix que le Roi Mohammed VI lui a confié. Les juifs marocains sont aussi dans la communication, le cinéma, la musique, le showbiz, dans le mouvement associatif et les droits de l'homme. Les juifs marocains sont aussi des hommes de lettres, des historiens et des militants invétérés des droits de l'homme: Germain Ayyache pour l'histoire, Edmond Amran El Maleh pour le roman, Abraham Serfaty et Sion Assidon (fondateur de Transparency Maroc) pour la cause des droits de l'homme, pour ne citer que ceux-là. Pour ceux-ci, et comme pour tant d'autres comme Simon Lévy, et pour tous ces juifs modestes et usés par les ans, qui habitent toujours place de Verdun, à Casablanca, judaïté et marocanité sont indissociables : la première n'est rien sans la seconde, et vice-versa. Et il y a ce sentiment tenace d'appartenance à une communauté ne serait-ce que pour préserver un patrimoine religieux et culturel marocain pour qu'il ne finisse pas dans l'oubli. »
Notes
1) Selon le journal, une deuxième vague d'émigration, clandestine cette fois-ci, se produira entre les années 1955 et 1961, avec environ 65 800 personnes. Il faudra attendre 1961 et 1962, sous le règne de Hassan II, pour voir l'émigration reprendre avec force, aussi bien clandestinement que légalement, avec l'autorisation des autorités marocaines selon un pacte conclu avec l'Agence juive. Des informations parlent même de transactions entre les autorités et ladite agence, celle-ci ayant versé 25 dollars pour chaque juif émigré. Avec la guerre de 1967, 40 000 juifs sur les 70 000 restants quittent le territoire.
2) «La guerre des six jours, reconnaît Simon Lévy à Emarrakech.info, a été la première et la seule à avoir entraîné des actions contre la communauté juive marocaine : boycott, campagnes de presse et même un assassinat. Au bout d'un mois et demi, la tension s'est calmée mais le mal était fait. Des personnes qui n'avaient jamais songé à s'expatrier le firent».
On avait créé, selon M. Lévy, un climat de départ : on envoyait des cars de la CTM dans les villages les plus éloignés de l'anti-Atlas, avec la complicité de l'Etat, pour embarquer les juifs, en leur affirmant que c'était leur dernière chance de partir. Le plus surprenant est que ces incitations au départ «ont été contrées par la population musulmane elle-même qui parfois s'y opposait physiquement. Ce fut le cas notamment à Ighil, à 60 Km d'Ifrane»