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Publié le 18 Mars 2025

Inauguration de la Place Ady et Gilberte Steg à Paris

Lundi 17 mars 2025, dans le 12e arrondissement de Paris était inaugurée une place en l’honneur d’Ady et Gilberte Steg, avec sous leurs noms cette déclinaison de ce qu’ils ont été : « médecins, résistants, militants des institutions juives de France ».

Ady Steg qui fut Président du Crif entre 1970 et 1974, et sa femme Gilberte sont deux personnalités extrêmement inspirantes, humanistes, engagées et dont l’esprit de justice était la colonne vertébrale de leur existence.

L’inauguration de la place portant leurs deux noms a réuni autour de la Maire de Paris, Anne Hidalgo, de ses adjoints Patrick Bloche et Laurence Patrice, la Maire du 12e arrondissement de Paris, Emmanuelle Pierre-Marie, le Maire de Paris Centre, Ariel Weil, le Président du Crif, Yonathan Arfi, le Grand Rabbin de France Haïm Korsia, le Président de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, Pierre François Veil, le vice-président du Mémorial de la Shoah, François Heilbronn, mais aussi de nombreux représentants de l’Alliance Israélite Universelle et bien entendu Gabriel et Jean-Michel Steg, les enfants d’Ady et Gilberte Steg, qui ont exprimé leur reconnaissance à la Maire de Paris pour avoir donné le nom de leurs parents à une place dans la Ville Lumière.

 

 

Allocution du Professeur Philippe Gabriel Steg, fils d’Ady et Gilberte Steg

 

« Je voudrais commencer par des remerciements. 

  • Remercier chaleureusement la Mairie de Paris qui a pris cette belle décision d’honorer nos deux parents,
  • Remercier l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) où mon père a exercé pendant quarante ans et qui, sous l’impulsion de Martin Hirsch, a baptisé le bâtiment où se trouve notamment la future école de Chirurgie, « Campus Ady Steg ». Ady aurait été heureux du fait que ce soit un bâtiment voué à l’enseignement,
  • Remercier le Grand rabbin Haïm Korsia,
  • Remercier Rachid Azzouz qui a contribué à transmettre l’histoire d’Ady au sein de l’Éducation Nationale et en a fait la source d’un travail sur la mémoire, l‘identité et l’intégration,
  • Remercier enfin Isabelle mon épouse qui a réalisé le magnifique documentaire sur Ady et Gilberte diffusé par France Télévisions et qui n’est surement pas étranger à la décision de la Mairie d’honorer leur mémoire. Jusqu’à la fin de leurs jours, mon père n’a cessé de manifester à ma mère son amour, ne supportant pas d’être séparé d’elle, glissant dans son sac à main de petits mots d’amour, renonçant à ses activités pour s’occuper d’elle lorsqu’elle tomba malade. Je nous souhaite à notre tour de rester unis l’un à l’autre par un lien aussi fort et tendre que celui qui a unis mes parents.

La plaque inaugurée aujourd’hui indique qu’Ady et Gilberte étaient médecins, résistants et militants des institutions juives de France.

 

Médecins

De la carrière médicale de mon père je ne peux qu’ébaucher le tableau : un chirurgien qui a énormément opéré, littéralement nuit et jour depuis les années 50, énormément enseigné (ses conférences d’internat et ses cours étaient célébres et très courus) : il faisait un cours célébre sur la torsion aigue du testicule, qui conduisait souvent un certain nombre d’étudiants masculins à rentrer chez eux précipitamment pour s’autoexaminer…

Grâce à son maître Pierre Aboulker, Ady, qui travaillait en clinique, est revenu au moment de la réforme Debré, à l’AP-HP où il a mené une carrière illustre d’urologue et a été chef d’école.
À son tour, il a été le compagnon et le mentor de plusieurs générations d’élèves et je dois saluer la présence ici de Laurent Boccon Gibod, Thierry Flam, Marc Zerbib, Roland Chiche et tant d’autres.

Ady a joué un rôle important, à travers les rapports pour le Conseil Économique et Social puis pour le Ministère de la Santé, dans la réforme des Urgences Médicales et l’Universitarisation de la Médecine d’Urgence.

Je veux aussi, puisque dans sa grande sagesse la Mairie a décidé d’honorer Ady ET Gilberte, témoigner de l’originalité et l’importance de la carrière médicale de Gilberte, moins connue que celle d’Ady, mais qui a fait d’elle, une pionnière de la Gynécologie Psychosomatique et de la sexologie.

Élève d’Hélène Michel Wolfromm, dont elle terminera le « grand œuvre », (le livre Cette chose là) elle s’intéresse tôt à la gynécologie psychosomatique, thème bien novateur pour l’époque, dont elle sera une voix importante en France. Une des particularités de cette carrière c’est qu’elle ne fut pas un engagement individuel isolé mais celui, militant, de tout un groupe de gynécologues, sexologues, psychiatres et psychanalystes qui réfléchissait, dans le bouillonnement intellectuel post 1968, et je me souviens des réunions du soir organisées à la maison pendant des années par ma mère.

 

Résistants 

Je ne peux qu’être frappé par l’extrême jeunesse à laquelle nos parents s’engagèrent dans la résistance active :
Ady, arrêté par la Police de Vichy à 17 ans, puis devenu responsable du château du Bégué à Cazaubon à 18 ans, après l’arrestation par la Gestapo de son administrateur, Victor Vermont, puis engagé à 19 ans dans les FFI.
Gilberte, membre de ce que l’on appelait la sixième, organisation de résistance des Éclaireurs israélites de France, parcourant à vélo jusqu’au débarquement à 19 ans les routes de l’Orne et de la Mayenne pour aller visiter les enfants juifs cachés dans les fermes.
Et sa sœur Hédy, qui de 18 à 20 ans ans s’occupe à Paris de recueillir et protéger les orphelins de parents juifs déportés, avant d’être arrêtée à son tour par la police parisienne, sous les yeux de sa sœur, Gare d’Austerlitz. Hédy sera transférée à la préfecture de Police puis à Drancy puis déportée à Sobibor quelques jours plus tard où, comme la totalité des personnes de son convoi, elle sera assassinée dans une chambre à gaz à l’arrivée.

Je voudrais citer ma mère et ses souvenirs d’Éclaireuse israélite (ce que l’on appelle les EI) :

"J'ai envie de vous dire que pendant ces quatre ans de l'Occupation et de la persécution, le fait d'être EI a été, sans nul doute, le fait le plus important de notre vie :

  • nous avions entre 15 à 20 ans,
  • nous étions soudés par une fraternité indestructible,
  • le scoutisme juif nous avait bétonné une identité sans faille,
  • la loi scoute avait tracé pour nous une ligne de vie et de conduite.

Pour les EI, à Paris comme ailleurs, c'est la force de la jeunesse, la douceur des liens fraternels, la calme certitude d'une identité assumée et d'une loi acceptée qui ont généré la vigilance, le besoin d'être dans l'action de Résistance, de sauvetage, de lutte et souvent, je crois qu'on peut le dire sans emphase, pour certains de nos camarades, souvent un tranquille héroïsme."

 

Militants des institutions juives de France 

Je veux parler de leur amour de la France et de leur Fidélité à l’identité juive

 

L’amour de la France

De mon père, petit garçon immigré arrivé à l’âge de 6 ans à Paris. Très vite, à l’école, il s’est intégré et il racontait "je vivais la même émotion que mes camarades devant Roland à Roncevaux, le sacre de Charlemagne et Jeanne d’Arc à Domrémy. La Fontaine, Ronsard et Victor Hugo étaient mes sources d’enchantement".
Fidèle à son judaïsme, il se sentait profondément français et disait : "La France est ma demeure culturelle, le judaïsme ma demeure spirituelle".
Il était l’illustration vivante qu’il n’est point besoin de renoncer à son identité pour être authentiquement et profondément français.

  • L’amour de la France c’est aussi celui de la famille de ma mère fuyant les législations antisémites instaurées en Grèce en 1932 et choisissant naturellement pour destination la France, pays des droits de l’homme,
  • Cet amour c’était aussi la reconnaissance de la chaîne continue de solidarités qui avait été la condition indispensable de la survie de chaque juif sous l’occupation et qui s’était manifestée concrètement pour eux.

- Son condisciple Lherbier du Lycée Voltaire qui apprend par son père policier la rafle du Vél d’Hiv prévue pour le lendemain et qui vient les prévenir le 15 juillet 1942 au soir, 
- La concierge de la rue de Cotte qui les cache, sans hésiter une seconde, au péril de sa vie, le soir même
- Andrée Pauly Santoni, la Professeure de Latin au Lycée Jules Ferry qui cache la famille après l’arrestation d’Hédy et organise leur survie. Elle sera reconnue Juste parmi les Nations (et je salue le travail extraordinaire de mémoire organisée par le Lycée Jules Ferry et notamment Madame Marie Cuirot), 
- Les Amitiés Judéo-Chrétiennes et l’abbé Glasberg qui recueillent Ady au château du Bégué à Cazaubon,
- La résistance, notamment les maquis FFI du Gers pour Ady et la résistance juive, pour Gilberte.

  • Cet amour de la France était aussi une reconnaissance pour l’accueil et l’intégration par la France qui leur avait donné la possibilité d’une ascension sociale et reconnu leurs mérites.

 

La fidélité à l’identité juive

Beaucoup de penseurs se sont interrogés sur ce qu’est l’identité juive. Pour Ady et Gilberte c’était avant tout une volonté de persévérer dans son être juif.

  • Ni par la foi, ni par la pratique, ni par un passeport, ni même par la cuisine, (même si mon père plaçait l’œuf à l’oignon, plat typiquement ashkenaze, au sommet absolu de la gastronomie)
  • Mais par la filiation revendiquée avec ceux qui, génération après génération, se sont consacrés à l’étude des textes du judaïsme : activité juive par excellence. Ady connaissait intimement les textes, il aimait étudier et avait étudié avec les plus grands maîtres de la pensée juive : Marcus Cohn, Manitou, André Neher, Emmanuel Levinas.
  • Par la fidélité à son enfance, dont il avait gardé une profonde nostalgie : Ady disait "je viens de mon enfance", celle d’un petit village juif de stricte orthodoxie, aux confins de la Ruthénie, un "shtetl", un monde disparu, effacé.
  • Par la fidélité au souvenir des victimes des persécutions, et Ady disait qu’il n’y avait pas de jour et encore plus pas de nuit, où il ne pense aux enfants juifs, dénudés, terrorisés, et précipités dans les chambres à gaz pour y être asphyxiés. Il en tirait la détermination de s’engager dans le secours aux survivants et la volonté de faire vivre et revivre les Juifs et le judaïsme, fidèle en cela à la parole du psaume : "je ne mourrai point mais je vivrai".  Et si le terme de militants des institutions juives a un sens, c’est bien celui d’avoir contribué à la reconstruction, à la renaissance d’une vie juive en France. Ce choix de la vie, il se manifestait également dans l’affection infinie que nos parents portaient à leurs enfants et leurs petits-enfants et qui nous ont fait grandir dans la meilleure armure qui soit : l’amour inconditionnel des parents.
  • L’ identité juive a enfin une composante essentielle d’amour du peuple juif,  ce que l’on appelle l’ahavat israel, Ady et Gilberte avaient l’amour des Juifs et l’amour d’Israël, renaissant en notre temps, au lendemain de la catastrophe, sur sa terre, en un défi victorieux à tous ceux qui ont voulu l’éradiquer.  Et, effectivement, aujourd’hui comme il y a deux mille ans, comme le chantaient en yiddish les partisans juifs de la Seconde Guerre mondiale : "Mir seinen do" : nous sommes là.

Pour terminer, si je devais résumer la vie de nos parents, je dirais qu’elle fut une vie : 

  • de lutte et de courage,
  • de construction et d’espoir,
  • de souci du prochain,
  • de souvenir et de fidélité,
  • et d’amour pour leurs enfants.

 

En ces temps incertains, voilà une belle ligne de vie pour nous tous. »

 

Allocution de Jean-Michel Steg, fils d’Ady et Gilberte Steg d’Ady et Gilberte Steg

 

« Chers amis,

Ady et Gilberte Steg sont arrivés en France à l’âge respectivement de 8 et de 9 ans en provenance de leur Tchécoslovaquie et Grèce natales.
Pour eux la France ce sera d’abord Paris et plus particulièrement le quartier où ils ont vecu durant leur enfance.
Donc respectivement les 19e (pour notre mère) et 12e arrondissement (pour notre père ) où ils ont pu grandir dans un environnement familial et local serein.

Nous voudrions particulièrement remercier la mairie de Paris d’avoir permis l’établissement de cette place dans un endroit qui aurait raisonné fortement auprès de notre père. Il a grandi au 12 de la rue de Cote au coin de la place d’Aligre, à 200 mètres d’ici, dans l’appartement que son père avait trouvé pour établir sa famille.

Comme il le dit dans le film récent à son sujet, c’est en jouant avec les amis qu’il s’était fait dans le jardin voisin du square Trousseau qu’il a appris le français. C’est à l’école primaire de la rue des hospitaliers Saint-Gervais qu’il a fait ses premières études et il a accompagné souvent son père sur le chemin des entrepôts vinicoles de Bercy ou celui-ci était employé à rouler des barques ou bien à la synagogue de la rue Basfrois.
Bref, nous sommes ici, grâce à la mairie du 12e arrondissement, dans un environnement qui a été le sien et qui lui était très cher.

Mon frère a fort bien évoqué les activités professionnelles et personnelles de notre père et de notre mère. Ce sont celles dont la reconnaissance publique fait que nous nous retrouvons ici aujourd’hui. Mais je voudrais souligner que ces activités les ont mis en contact avec beaucoup de gens qui sont devenus leurs amis. C’est un privilège que certains d’entre eux soient avec nous encore ce matin. Je les en remercie profondément et l’affection et l’amitié des uns et des autres ont étés des facteurs essentiels de ce qui fut, malgré les épreuves épouvantables traversées, une longue et belle vie pour l’un comme pour l’autre.

Je souhaite donc remercier du fond du cœur tous ceux qui les ont entourés. Ils sont nombreux et je n’en citerai donc qu’un, ou plutôt une, Jannick D’Hollande qui les a assisté pendant plus de quarante ans et particulièrement, quand l’âge a réduit profondément leur mobilité, a habité avec eux durant la période du Covid. Mon frère et moi savons combien ce qu’elle a fait à contribué à leur bien-être et à la prolongation de leur existence.
Avec Diane, mon épouse qui s’est aussi tant occupé d’eux, et de toute notre famille, nous la remercions profondément, comme nous vous remercions tous de votre présence aujourd’hui en ce lieu. »

 

 

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